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Berliet Stradair : le bahut looké sur coussins d'air
PAUL CLÉMENT-COLLIN - 5 sept. 2017Né en 1975, je fais partie d’une génération qui, enfant, a connu sur les routes tous ces fabuleux camions des années 60, ces nouveaux seigneurs de la route qui, 10, 15 ou 20 ans après, impressionnaient toujours par le look et contribuaient (encore) à la passion automobile des petits garçons (ou filles) que nous étions. Je ne rêvais pas d’être routier, mais j’admirais ces camions, symboles d’une certaine modernité dans une France rurale encore très « à l’ancienne ». Parmi ces « bahuts » emblématiques, les Camions Bernard (lire aussi : Camions Bernard), Citroën « Belphégor » (lire aussi : Citroën N et P « Belphégor ») et bien entendu le Berliet Stradair.
Ah le Berliet Stradair ! Comme ses concurrents, voilà un camion qui avait de la gueule, avec son museau proéminent et pointu ! Aujourd’hui, cela paraît un peu désuet, mais à l’époque (et même au tout début des années 80, quand je les voyais encore sur les routes), il paraissait non seulement dans le coup, mais même futuriste. Là où son concurrent, le Belphégor, se perdait dans des lignes tarabiscotées, le Stradair, lui, allait à l’essentiel avec des lignes droites, efficaces, et pures. Le dessin de cette cabine était d’ailleurs dû à Philippe Charbonneaux, déjà auteur des camions dits « télévisions » chez Bernard.
C’est au début des années 60 que la firme lyonnaise Berliet décide de combler les trous de sa gamme en proposant un camion d’un PTC de 5 tonnes répondant aux nouveaux besoins du transport sur de courtes ou moyennes distances, dans les centres-ville ou les banlieues. Les besoins changent : jusqu’à présent, on utilisait les « gros camions » pour le transport longue distance, et la camionnette (du genre du Peugeot D3/D4, lire aussi : Peugeot D3/D4 ; ou bien du Citroën Type H : Citroën Type H) pour le transport vers les nombreux petits commerces. Avec le développement des grandes surfaces (le premier hypermarché Carrefour ouvre en 1963 à Sainte Geneviève des Bois), ou le projet de nouveau marché de Rungis (qui ouvrira ses portes en 1969) en lieu et place des Halles en plein centre de Paris, la demande pour un nouveau type de poids-lourd intermédiaire se fait sentir.
Confortable à l’intérieur, accessible de l’extérieur !Citroën comme Berliet arrivèrent aux même conclusions, et lancèrent en même temps leur réponse au marché : le Belphégor et le Stradair sortirent la même année, en 1965. Pour Berliet, durant toute la conception du Stradair, Citroën sera l’obsession. Des rumeurs affirmaient que les types N et P disposeraient de suspensions hydrauliques issues de la DS (en réalité, ils ne reprendront que les amortisseurs et le système de freinage de la DS, mais pas la suspension hydraulique). Il fallait donc opposer aux chevrons un nouveau type de suspension permettant au Stradair de ne pas être distancé en matière de confort et de tenue de route. Ce sera le système Airlam : à l’avant, chaque roue dispose d’une lame à ressort reliée à un coussin d’air ; à l’arrière, chaque lame est reliée à deux coussins d’air. En tout donc, 4 lames et 6 coussins d’air offraient un confort inégalé jusqu’alors.
Pour le lancement du Stradair (une contraction de l’italien Strada, la route, et de Air rappelant le système Airlam), en juin 1965, Berliet va voir les choses en grand : une campagne publicitaire grand public, commençant par un teasing de 15 jours dans Paris Match, puis la révélation, avec une démonstration sur piste, à Miramas, des qualités dynamiques du Stradair. Avec au volant le cascadeur Gil Delamare (voir vidéo en fin d’article), le Stradair effectuait enchaînement de virages, dérapages, zigzags, afin de prouver l’excellente tenue de route du nouveau camion. Et pour enfoncer le clou (et bien démontrer l’efficacité du système Airlam), Delamara s’offrait un saut de plus de 15 mètres, battant le record du monde pour un poids-lourd !
Sous le capot, on trouvait un 4 cylindres de 5,9 litres développant 120 chevaux, accolé à une boîte à 5 rapports synchronisés ! De quoi atteindre les 100 km/h en charge, pas mal tout de même, le tout dans un confort digne d’une voiture. Dès la première année, le Stradair va cartonner, avec 1500 commandes. Pourtant, il ne sera produit que pendant 5 ans, jusqu’en 1970, à environ 3000 exemplaires. Les raisons d’une si courte carrière ? D’une part, et malgré l’enthousiasme des débuts, le système Airlam connut des problèmes de fiabilité (les coussins d’air pouvaient se dégonfler lorsque le camion, en charge, restait trop longtemps à l’arrêt) rapidement réglés mais entâchant la réputation du Stradair. Ensuite, la situation « capitalistique » de Berliet changea : rachetée par Michelin, la société lyonnaise intégrait alors la partie poids lourds de Citroën, condamnant d’une certaine manière les deux modèles pour un modèle « commun ». Enfin, la limitation de circulation dans Paris, tout à coup réduite à 9m2 (le Stradair en mesurait 11m2), le condamnait à rester au delà du périphérique.
Voilà pourquoi, dès 1969, Berliet sortait un nouveau camion, partageant beaucoup avec le Stradair (mais sans le système Airlam), sous le nom de « série » K (mais aussi de Citroën Dauphin) : fini le nez proéminent, raboté, pour ne laisser place qu’à une anonyme cabine « courte ». Adieu système Airlam pourtant fiabilisé : le système de suspension pneumatique se généralisera pourtant plus tard sur les poids-lourds, Berliet avait montré la voie. En 1974, à l’occasion du rachat de Citroën par Peugeot, Renault en profitait pour s’offrir la filiale Berliet et l’intégrer à la SAVIEM. C’en était fini pour la marque lyonnaise.
Aujourd’hui, on ne voit plus de Stradair sur nos routes, et les poids-lourds aux styles « standardisés » ne font plus rêver les gamins. Dommage !
Photos : DR, et Fondation Berliet (http://www.fondationberliet.org)