

Un demi-siècle plus tard, la question peut encore se poser : s’agit-il d’une GS raccourcie ou d’une super Ami 8 ? Au vu de la dénomination de l’engin, l’on serait tenté d’opter pour la seconde hypothèse. D’autant que l’Ami Super qui nous occupe aujourd’hui n’a pas tout emprunté à la familiale Citroën – en particulier, elle s’est vue privée de la suspension hydropneumatique dont fut pourtant doté le coupé M35 issu de la même famille de modèles… Toujours est-il que la plateforme d’origine 2 CV n’aura jamais été à pareille fête, avec son « gros » quatre-cylindres permettant enfin d’envisager de prendre la route avec toute la sérénité que requerrait l’époque. Pourtant l’auto n’a pas trouvé son public, et moins de 45 000 exemplaires sont sortis d’usine en trois ans de production. Cet échec était-il prévisible ?



L’énigme Bercot
Pour comprendre les origines de l’Ami Super, il faut remonter loin ; précisément en 1958, c’est-à-dire au moment où Pierre Bercot prend les rênes de Citroën. C’est ce personnage qui va présider l’entreprise jusqu’en 1970 et, sous son mandat, la stratégie du constructeur va s’enliser de façon difficilement compréhensible. Alors qu’il peut compter, en haut de gamme, sur un duo ID/DS fiabilisé dont la popularité ne va pas se démentir de longues années durant, et tandis que la 2 CV remporte également un grand succès à l’autre bout du catalogue, Bercot témoigne d’une psychorigidité déconcertante qui interdit à Citroën d’appréhender correctement l’évolution du marché. Ainsi, l’ex-Quai de Javel va laisser Peugeot, Simca, Renault ou Fiat capter avant lui l’émergence d’un nouveau segment, celui de la berline compacte, qui apparaît dès le mitan de la décennie 1960. Face à la très innovante 204 par exemple, les Chevrons n’ont rien de sérieux à proposer et la comparaison s’avère même cruelle pour l’Ami 6 présentée en 1961, et qui abrite la plateforme et la mécanique de la 2 CV sous une carrosserie entièrement « en dur » censée l’éloigner de la ruralité et lui conférer une image de petite familiale moderne et urbaine.
Pourquoi viens-tu si tard ?
Malheureusement, et même si le break Ami 6 compte beaucoup d’adeptes, personne n’est dupe : si l’engin ne présente aucune parenté esthétique avec la Deuche, il suffit de démarrer son moteur pour retrouver la tessiture du flat twin maison… et les performances qui vont avec, suffisantes en ville mais de moins en moins tolérables à l’heure de la civilisation des loisirs et des transhumances routières qui l’accompagnent. Le trou béant qui caractérise la gamme Citroën, entre les bicylindres et l’ID, ne peut perdurer ; pourtant la firme va rencontrer bien des difficultés avant de pouvoir enfin le combler – de la sorte, la GS n’apparaîtra qu’à l’automne de 1970, après l’abandon précipité du très ambitieux projet « F » trois ans plus tôt. Entretemps, il a bien fallu continuer à bricoler avec les moyens du bord, d’où l’apparition de l’Ami 8 en 1969 ; toutefois l’auto n’est, en somme, qu’un gros restylage de l’Ami 6 et apparaît de plus en plus dépassée face à une concurrence redoutable à ce niveau de gamme. L’année suivante, la GS arrive donc à point nommé pour rivaliser avec les 304, Renault 12, Ford Escort ou Opel Kadett, qu’elle surclasse très nettement en termes de confort comme de qualités routières.
La révolution GS
Entièrement inédite, la GS adapte dans un format bien plus compact certaines des solutions retenues pour la DS : sa suspension hydropneumatique et son freinage à haute pression, en particulier, renvoient la concurrence à ses archaïsmes techniques. Et son moteur, tout nouveau lui aussi, retient l’attention par son avant-gardisme : ce quatre-cylindres à plat, refroidi par air, témoigne d’une sophistication très éloignée, par exemple, de l’obsolescence des moteurs Ford ou Opel. Indéniable réussite commerciale malgré des débuts un peu difficiles, la GS ne met cependant pas un terme à la carrière de l’Ami 8, qui coûte 25 % moins cher et qui va continuer d’attirer une clientèle en quête d’un modèle à la fois économique et relativement logeable. La répartition des rôles semble donc alors bien établie entre les deux gammes ; pour la première fois, l’offre de Citroën couvre la quasi-totalité des attentes du marché. Mais les ventes de l’Ami 8 finissent par entamer leur décrue et le lancement de l’Ami Super, en janvier 1973, va tenter de redonner un peu de dynamisme à une auto déjà frappée de senescence…

Le fantasme de la « vraie » voiture
Spécialisé depuis longtemps dans la création de machines singulières, le bureau d’études Citroën n’a néanmoins pas dû forcer son talent pour accoucher de ce modèle, habile meccano qui en préfigurait d’autres, plus prosaïques encore – nous songeons aux futures LN et Visa, développées sous l’égide de Peugeot, qui prend le contrôle de la marque à la fin de 1974. En l’espèce, l’idée consistait à faire d’une pierre deux coups, tout d’abord en proposant une alternative aux clients tentés par l’acquisition d’une Ami 8 mais découragés par son lymphatisme, ensuite en renforçant le potentiel commercial du flat four jusqu’alors exclusivement utilisé par la GS, laquelle a également légué son train avant à sa sœur de gamme. C’est sa cylindrée initiale de 1015 cm3 que l’on retrouve sous le capot de l’Ami Super, où il développe précisément 53,5 ch ; de quoi atteindre les 140 km/h fièrement revendiqués jusque sur un autocollant apposé au bas de la lunette arrière, allure inouïe pour une voiture développée sur une base de 2 CV – et qui correspond très exactement, par une ironique coïncidence, à la limitation de vitesse sur autoroute bientôt mise en place par les autorités en réponse au premier choc pétrolier…
Une vraie Citroën !
Hélas, cette vélocité nouvelle ne compense pas le vieillissement d’un modèle dont la base a plus de dix ans d’âge. Tarifée 14 000 francs au millésime 1975 (environ 13 000 euros de 2024), l’Ami Super se rapproche de rivales pas plus rapides, mais plus habitables et mieux finies – avouons-le, il faut être un citroëniste patenté pour tolérer la qualité de construction de l’engin, et les particularismes qui réjouissent les collectionneurs d’aujourd’hui ont fait fuir une bonne partie de la clientèle potentielle du modèle à l’époque. L’équipement minimaliste – pour ainsi dire, seul le levier de vitesses au plancher différencie l’auto d’une Ami 8 –, la position de conduite très « 2 CV » (et pour cause) ou le niveau sonore décourageant à grande vitesse ont fait le reste… Disparue dans l’indifférence générale deux ans avant que l’Ami 8 tire sa révérence, l’Ami Super est très vite devenue rarissime ; c’est exactement le genre de voiture que l’on envoyait sans remords au broyeur. De nos jours, elle attire les amoureux de la marque, dont elle constitue l’une des plus étonnantes créations – et qui a le bon goût de coter deux fois moins qu’une 2 CV contemporaine. À méditer…






Texte : Nicolas Fourny