

La cause est entendue depuis longtemps déjà : à quelques exceptions près, les monospaces sont morts et leur âge d’or est bien loin. Remplacés par des SUV familiaux moins intelligemment conçus mais avant tout destinés à flatter l’ego de leur propriétaire, ces automobiles pensées de l’intérieur vers l’extérieur, modulables à souhait et d’une praticité sans égale, ont souvent, il est vrai, sacrifié le design sur l’autel de la fonctionnalité. Lancée il y a trente ans, la Peugeot 806 – et ses clones badgés Citroën, Fiat et Lancia – en représente peut-être l’exemple le plus emblématique, avec ses formes ostensiblement rectangulaires évoquant davantage l’univers des véhicules utilitaires que celui des automobiles de tourisme. Pourtant, et contre toute attente, la séduction n’était pas absente de cet engin plus compact qu’il en avait l’air mais extrêmement logeable, à condition bien entendu de le gréer de façon adéquate !



C’est l’histoire d’un cube
Depuis combien de temps n’avez-vous pas croisé de 806 sur les routes ? Construite à près de 170 000 exemplaires en huit ans, l’auto a pourtant quasiment disparu de la circulation, massacrée dans l’indifférence générale par les primes à la casse, la plupart des survivantes portant les stigmates d’une existence laborieuse. Et parmi celles-ci, la variante la plus rare est aussi la plus désirable : nous avons nommé la Turbo essence, animée par le fameux XU suralimenté, moteur fort apprécié des amateurs de swaps – ce qui explique que bon nombre de 806 ainsi motorisées aient connu la fin pathétique que le destin réserve aux donneuses d’organes. Et c’est fort dommage : le premier monospace Peugeot, véhicule avant tout familial et a priori peu compatible avec une conduite dynamique, n’en était pas moins une auto fort recommandable – il fallait juste savoir faire abstraction d’un physique de produit blanc, délibérément voulu aussi neutre que possible puisque le projet U60, produit dans l’usine Sevelnord sise à Hordain, conçu dans le but de maximiser les économies d’échelle, était destiné à être commercialisé sous quatre marques aux identités totalement dissemblables : Peugeot, Citroën, Fiat et Lancia !
Dix ans de réflexion
Dans ces conditions, il était difficile d’accoucher d’un design trop typé, ce que la définition même de l’auto n’autorisait guère de toute façon ; d’où cette apparence dont la neutralité revendiquée favorisait en outre le développement de dérivés de type fourgonnette promis à une belle carrière. Apparue exactement dix ans après la Renault Espace (après que Peugeot et Citroën eurent rejeté la proposition de Matra), la réponse conjointe des groupes PSA et Fiat – encore séparés en ce temps-là – arrivait très tardivement dans un segment de marché outrageusement phagocyté par le pionnier européen du genre. Et, en dépit d’une gestation particulièrement longue, les 806, Evasion, Ulysse et Zeta ne se signalaient guère par leur caractère innovant, les responsables du projet s’étant contentés de reprendre sans ambages les solutions retenues par Matra ou Chrysler au début de la décennie précédente. Plancher plat, portes arrière coulissantes et habitacle modulaire étaient donc au rendez-vous, de même que les fameux sièges avant pivotants – équipement aussi spectaculaire et valorisant que très peu utilisé par la clientèle dans la vraie vie…
Comment (ne pas) renverser la table
L’architecture générale ne s’éloignait pas non plus d’une stricte orthodoxie technique propice à limiter les coûts de développement et de fabrication. Les liaisons au sol – du PSA pur jus, le groupe français étant le maître d’œuvre du projet – tout comme la transmission aux roues avant ne risquaient pas de surprendre la clientèle visée ; en revanche, l’implantation transversale du moteur constituait un atout majeur alors que l’Espace, pourtant renouvelée en 1991, subissait encore les inconvénients du montage « en long ». Le rapport encombrement/habitabilité s’en trouvait donc optimisé, tandis que le conducteur découvrait avec ravissement une position de conduite bien plus agréable qu’à bord de la Renault. Rien de révolutionnaire donc, mais un produit cohérent, en phase avec les attentes du marché et ayant recours à des solutions techniques éprouvées. « Et pour le plaisir de conduite, on repassera » ricanèrent les connaisseurs, pour qui les monospaces n’étaient que des camionnettes plus ou moins civilisées – donc substantiellement étrangères à toute notion de performance ou de Freude am Fahren, comme on disait encore à Munich…

Un turbo, sinon rien
Mais comme d’habitude, les cuistres avaient tort, car la 806 (tout comme ses sœurs badgées Citroën et Lancia) ne se contentait pas d’assurer vaillamment sa mission de transporteur de familles plus ou moins nombreuses. Apparu trois ans auparavant, l’Espace V6 avait montré la voie ; oui, il était possible d’éprouver du plaisir dans la conduite d’un monovolume ! Au-dessus des variantes laborieuses animées par d’honnêtes mais ternes quatre-cylindres atmosphériques – sans parler des Diesel –, Peugeot avait donc élaboré une 806 de pointe, relativement puissante et dont l’équipement pouvait, si l’on recourait aux nombreuses options disponibles, flirter avec un certain luxe. Comme les autres moteurs de la gamme, le XU10 J2TE existait déjà ; on l’avait découvert en 1993 sous le capot des 605 SVti et SRti, avec un enthousiasme plutôt mitigé compte tenu des irrégularités chroniques de fonctionnement qui le caractérisaient alors. Retravaillé et légèrement plus puissant, ce 1998 cm3 développait ici 150 ch à 5300 tours/minute, avec un couple digne d’un bon Diesel de l’époque – soit 235 Nm dès 2500 tours. Appartenant à la catégorie des moteurs turbo « basse pression », ce groupe n’avait pas recours à la suralimentation dans le but d’obtenir des chronos décoiffants mais plutôt de garantir une souplesse d’utilisation et des capacités de relance supérieures à la moyenne. De quoi tenir son rang sur la route, voire même de s’offrir quelques agréables pointes de vitesse, à une époque où les radars automatiques relevaient encore de la science-fiction…
La camionnette vous salue bien
Certes dépourvu de la noblesse de l’inusable V6 PRV qui officiait sous le capot de l’Espace, le quatre-cylindres PSA n’en était pas moins vaillant (ni moins soiffard, soit dit en passant), avec des performances chiffrées qui en ratifiaient le dynamisme : 190 km/h en pointe et 32,8 secondes au kilomètre départ arrêté selon les mesures du Moniteur Automobile, voilà qui se rapprochait des valeurs d’une berline familiale correctement motorisée. D’autant que le châssis encaissait sans sourciller la puissance et ne souffrait d’aucun problème de motricité, tout en assurant un confort de suspension digne des meilleures réalisations. En version SV Pullman (six places) et avec la sellerie cuir optionnelle, l’engin, sans pouvoir prétendre à un réel raffinement, s’avérait néanmoins tout à fait convaincant en tant qu’alternative aux routières classiques, même si ses formes désespérément cubiques lui interdisaient toute prétention à l’élégance. Comme de coutume, Peugeot ne bradait pas son haut de gamme : en 1997 et hors options, il fallait débourser 222 300 francs (environ 51 000 euros d’aujourd’hui) pour acquérir la 806 Turbo la mieux dotée, ce qui situait l’auto dans les parages d’une BMW 520i ou d’une Mercedes-Benz E 230. Comme on s’en doute, les ventes demeurèrent anecdotiques et cette version disparut en toute discrétion en 2001 avant d’être livrée aux mains de vils dépeceurs soucieux de récupérer son moteur pour massacrer des 205 GTi qui n’en pouvaient mais… Autant dire qu’il ne sera guère aisé de trouver un bel exemplaire ; la plupart des 806 encore en état de rouler sont des Diesel usés jusqu’à la corde et, pour sa part, la Turbo a purement et simplement disparu. Si vous en trouvez une, et compte tenu d’une cote au ras des pâquerettes, gageons que l’expérience ne vous décevra pas !






Texte : Nicolas Fourny