« Un constructeur sort ses griffes » : beaucoup se souviennent encore de ce célèbre slogan apparu durant l’été 1982 et qui, de longues années durant, accompagnera les publicités de la firme franc-comtoise. Une formule opportune car, il faut bien le dire, le fauve avait alors rentré ses griffes depuis bien longtemps et connaissait de graves difficultés financières, à tel point que son existence même était alors en péril. Alors qu’il devenait crucial de renouveler sa gamme et de dépoussiérer son image, Peugeot entama son offensive de façon inattendue en choisissant de dynamiser une paisible berline familiale qui, jusque-là, s’était surtout fait remarquer par un classicisme revendiqué, que l’on considère son esthétique générale ou sa fiche technique. La 505 Turbo Injection n’était pourtant que le premier jalon d’une stratégie de long terme destinée à conquérir une nouvelle clientèle, n’hésitant pas, en l’espèce, à chasser sur les terres de BMW !
La frilosité du Lion
La première apparition publique de la 505, en mai 1979, ne bouleverse pas les foules – et ça tombe bien, car tel n’est surtout pas le but recherché par ses concepteurs. Présentée onze ans après la 504, la nouvelle Peugeot est appelée à lui succéder en douceur, en veillant à ne pas déconcerter une clientèle supposément fidèle à un certain conservatisme technique. En substance, la 505 n’est qu’une 504 modernisée et partiellement remotorisée ; le modèle reste ainsi fidèle à la propulsion, à l’instar des Opel Rekord, Fiat Argenta ou Ford Granada, sans parler des Mercedes-Benz W123 et BMW Série 5. Son design, résultat d’une coproduction entre le centre de style de La Garenne-Colombes et le studio Pininfarina, s’inscrit lui aussi dans la tradition maison. De la sorte, la 505 se présente sous la forme d’une très conformiste berline à trois volumes, réfutant aussi bien l’avant-gardisme d’une Citroën CX que le pragmatisme fonctionnel d’une Renault 20. Pourtant, la Peugeot partage l’une de ses motorisations avec les deux rivales susnommées : nous avons nommé le quatre-cylindres « Douvrin », produit par la Française de Mécanique, qui anime les variantes les plus ambitieuses de la gamme. Les 505 Ti et STi reçoivent donc cette mécanique moderne, étudiée chez Renault, à arbre à cames en tête, alimentée par une injection Bosch et entièrement réalisée en aluminium, et succèdent ainsi à la vieillissante 504 Ti. Pour autant, les progrès ne sont pas spectaculaires du point de vue des performances chiffrées ; par rapport à la plus puissante des 504, la 505 à injection ne propose que six chevaux supplémentaires et, le surcroît de poids n’arrangeant rien, ses chronos demeurent quelconques (entre les mains des essayeurs de l’Auto-Journal, la première STi ne dépasse pas les 168 km/h en pointe, et ses accélérations n’ont rien de très enthousiasmant non plus (plus de 33 secondes au kilomètre départ arrêté).
La voiture des gens sérieux (ou pas)
Toutefois, peut-on réellement reprocher cette relative mièvrerie à une voiture qui, à ses débuts, n’affiche aucune prétention sportive ? Certes, les brochures Peugeot évoquent bien les performances des 505 les plus affûtées, mais avec une certaine timidité, le marketing préférant insister sur les sièges en tweed, les progrès réalisés dans le domaine de l’équipement ou la proverbiale robustesse de l’ensemble – autrement dit rien de très excitant, on l’aura compris. À ce moment-là, en bonne Peugeot « à l’ancienne », la brave 505 semble destinée à une carrière honnête mais terne, s’adressant à une clientèle sérieuse, voire même luthérienne, en tout cas peu portée sur la gaudriole. Malheureusement, si cette approche avait très bien fonctionné du temps des 404 Injection puis 504 Ti, les temps ont changé. Dans l’ombre, de redoutables concurrentes poursuivent leur mise au point et les innovations qu’elles recèlent risquent de faire vieillir prématurément la Sochalienne, cramponnée à une philosophie dont la sénescence va sauter aux yeux quand les futures Audi 100 ou Renault 25 vont faire irruption sur le marché. Par-dessus le marché, plus délurés que leurs aînés, les pères de famille des années 80 réclament du plaisir de conduite, des performances élevées et sont de plus en plus sensibles à la promotion sociale attachée à leur voiture. En 1975, un notaire provincial se satisfaisait amplement de l’austérité tranquille de sa 504 ; ce n’est plus le cas des jeunes cadres dynamiques qui vont caractériser la décennie suivante et Peugeot peut difficilement ne pas tenir compte de cette mutation. De plus et en élargissant la focale, ce sont tous les échelons de la gamme qui sont concernés par le puritanisme séculaire propre à la marque, lequel a peu à peu cessé d’être rassurant pour devenir ennuyeux.
Porsche et Danielson à la rescousse
Chantre du turbocompresseur appliqué aux moteurs Diesel – rappelons que la 604 ainsi motorisée a été lancée dès 1979 –, Peugeot est encore un novice dans le domaine des moteurs à essence suralimentés, contrairement à Renault qui, après avoir imposé le turbo en Formule 1, en transpose peu à peu le principe à plusieurs échelons de son catalogue. Relativement simple à mettre en œuvre, la greffe d’un turbocompresseur est sans doute la méthode la plus efficace pour développer, dans des délais contenus, une 505 réellement performante. De son côté, le préparateur Danielson a conçu, il est vrai, un kit permettant d’améliorer les chronos et le comportement routier de la STi, mais son initiative – bien que commercialisée par le réseau Peugeot –, basée sur un travail minutieux destiné à dynamiser le moteur « Douvrin », est demeurée confidentielle. Or, depuis le rachat de Chrysler-Simca en 1978, PSA dispose d’un groupe dont la robustesse a déjà été amplement démontrée en compétition : il s’agit du moteur conçu chez Simca à la fin des années 60 pour équiper l’infortunée Chrysler 180 et que l’on trouve alors, chez Talbot, sous les capots des Tagora et Murena. Ce 2155 cm3 à bloc fonte, culasse en alu et doté d’un arbre à cames en tête se révèle tout à la fois solide et propice à l’adaptation d’un turbocompresseur, que Peugeot décide de sous-traiter au bureau d’études Porsche, tandis que Danielson est sollicité pour la mise au point du châssis – et les hommes de Joseph Le Bris vont naturellement s’inspirer du travail déjà accompli pour la STi « kitée ». L’auto dispose ainsi de barres antiroulis d’un diamètre accru, de voies élargies, de jantes de 15 pouces et d’un différentiel autobloquant taré à 25 %.
Une Française à 200 !
Le vaillant quatre-cylindres reçoit une injection Bosch L-Jetronic et, surtout, un turbocompresseur Garrett T3 soufflant à 0,6 bar. Dans ces conditions, la puissance maximale atteint 150 ch à 5200 tours/minute, le couple s’élevant à 24 mkg à 3000 tours. Par rapport à la Matra Murena S à moteur atmosphérique, les progrès ne sont pas considérables pour ce qui concerne la puissance pure (+ 8 chevaux), mais s’avèrent plus consistants en matière de couple (+ 5 mkg, obtenus 800 tours plus bas). Peugeot revendique fièrement une vitesse maximale de 200 km/h (que la couverture de l’Auto-Journal saluera comme il convient, de façon quelque peu provocatrice, dans son numéro du 15 mars 1983) et un kilomètre départ arrêté en 29,7 secondes – des valeurs qui seront confirmées, et même souvent dépassées, par l’ensemble de la presse spécialisée. Ça peut paraître anecdotique quatre décennies plus tard mais, au Salon de Paris 1982, c’est avant tout la 505 Turbo qui attire les visiteurs sur le stand Peugeot, il est vrai bien pauvre en nouveautés par ailleurs si l’on excepte le restylage de la 305. Une berline française de grande série capable d’atteindre les 200 chrono, c’est tout simplement inédit et, au-delà des performances, l’accastillage du modèle surprend plus d’un client potentiel, dont beaucoup sont séduits par la physionomie de cette 505 encanaillée : spoiler avant, becquet arrière, bas de caisse contrastés, bouclier arrière spécifique, jantes alu de série et pneus de 195 suffisent à définir un typage très éloigné de la STi. En outre, la Turbo Injection ne se contente pas d’aller vite : ses qualités routières sont largement à la hauteur des ressources de sa mécanique, le sous-virage endémique fréquemment dénoncé au sujet de la STi n’ayant ici plus cours… Néanmoins, tout n’est pas parfait et l’on reproche principalement à la 505 ainsi gréée une consommation de carburant qui, en comparaison, ferait presque passer le V6 PRV pour un parangon de sobriété !
Réservée à ceux qui aiment conduire
Dès 1984, l’adoption d’un échangeur air/air réglera en grande partie le problème, non sans apporter dix chevaux supplémentaires, alors que, pour sa part Danielson proposera un kit 200 chevaux hélas diffusé à très peu d’exemplaires. À l’automne de cette année-là, l’auto est tarifée 118 100 francs (environ 39 000 euros de 2023). Son niveau de performances et son prix de vente la positionnent aussi bien en face des Renault 25 V6 Injection (144 ch, 130 000 francs) et Citroën CX 25 GTi (138 ch, 117 300 francs) que des Opel Senator 3000 E (180 ch, 127 775 francs), BMW 528i (184 ch, 141 736 francs) ou Mercedes 280 E (185 ch, 160 860 francs). Très compétitive, la Peugeot compense par son brio son déficit de prestige et le manque de noblesse d’un moteur qui n’a ni la musicalité, ni le raffinement d’un six-cylindres – mais, pour qui se soucie peu d’impressionner ses voisins, la 505 Turbo ne craint pas d’affronter une BMW bien motorisée et bien conduite sur n’importe quel itinéraire sinueux. Mission accomplie : cette variante va contribuer à rajeunir l’image de la marque, en attendant que les 205 Turbo 16 et GTi achèvent de la transformer, ce qui la reléguera au second plan. Jusqu’à la fin de sa carrière, et malgré l’arrivée d’une évolution poussée à 180 ch, la Turbo Injection va peu à peu se banaliser, concurrencée en interne dès l’automne 1986 par une V6 vendue au même prix, puis par la tonitruante et bien plus moderne 405 Mi16, qui lui succédera sans en reprendre l’esprit. De nos jours, les connaisseurs sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à cet engin atypique dans l’histoire de son constructeur et il faut désormais compter plus de 10 000 euros pour acquérir un bel exemplaire… qui ne sera pas évident à trouver, l’auto étant devenue singulièrement rare. S’il vous tente, n’hésitez pas à solliciter les équipes de CarJager pour vous assister dans votre recherche !
Texte : Nicolas Fourny