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Ligier JS2: l'hommage à Jo
PAUL CLÉMENT-COLLIN - 1 nov. 2016Bon, après avoir évoqué la belle petite Matra 530 (lire aussi : Matra 530), la logique voulait que je m’attaque à une autre petite marque automobile, Ligier. On a tous en mémoire l’écurie de Formule 1 de notre enfance, ou les voiturettes sans permis d’aujourd’hui, mais moins en tête les débuts comme constructeur automobile « de série », avec une « belle » (c’est selon les goûts) GT à mécanique Maserati, la fameuse JS2 !
Rugbyman, champion d’aviron, Guy Ligier est aussi un amoureux du sport automobile, et dans les années 60 (en 1964 pour être précis), il fait une rencontre décisive avec Jo Schlesser ! Entre les deux hommes, ça match tout de suite, une amitié virile dont le creuset sera, tout bêtement, le sport mécanique. Dès lors, l’association des deux hommes sonne comme une évidence. Malgré leurs carrières respectives de pilote de F1, ils aspirent à plus, à créer une marque automobile qui leur soit dédiée, et qui scellerait leur amitié. Hélas, le sort en décidera autrement.
La JS2, dans sa première sérieLe 7 juillet 1968, Jo Schlesser prend le départ du Grand Prix de France, à Rouen, sur une Honda RA302 expérimentale, jugée dangereuse par son coéquipier John Surtees, et se tue après avoir perdu le contrôle du véhicule, qui percute un rail et s’enflamme. L’association Ligier-Schlesser prend fin brutalement, mais Guy restera fidèle au rêve qu’ils avaient tous les deux : créer leur marque automobile.
Pour la compétition, le V6 3 litres Maserati est porté à 270 chAu salon de Paris 1969, Guy Ligier présente donc sa première réalisation en tant que constructeur : la JS1… JS, comme Jo Schlesser, bien sûr. Dessinée par Pietro Frua, mise au point par Michel Têtu, la JS1, voiture de compétition, sera construite en 3 exemplaires, avec 3 moteurs différents, tous d’origine Ford : un 1600 (220 ch), un 1800 et un V6 2400 (pour la « future » version client dont s’inspirera la JS2). L’aventure est lancée, mais Guy Ligier veut aller plus loin : sa JS1 ne peut courir qu’en catégorie « prototype », et elle ne fait pas forcément le poids face à la concurrence. Il décide alors d’en dériver une nouvelle version, produite en petite série, permettant de l’inscrire en catégorie GT plus à sa portée.
Guy Ligier pense pouvoir lancer sa nouvelle JS2 (c’est son nom) en 1970, avec comme partenaire motoriste Ford… Sauf que Ford fera faux bond à la nouvelle GT française. Contre toute attente, elle refuse de fournir son nouveau V6 2600 de 165 ch pour lequel la JS2 a été étudiée, se réservant l’usage de ce moteur pour une version plus accessible de la GT40 qui ne verra pourtant jamais le jour. Ligier se retrouve « gros Jean comme devant » ! Il lui faut d’urgence trouver un nouveau moteur. C’est du côté de chez Citroën, qui a racheté Maserati et dont le V6 à 90° prend place sous le capot de la nouveauté de l’année, la Citroën SM (lire aussi : Citroën SM).
Raymond Ravenel, patron de Citroën, accepte en effet de fournir l’ensemble boîte/moteur de la SM pour la JS2, et le carrossier Pichon-Parat s’occupe d’adapter le tout à la carrosserie de la JS1, en profitant pour retravailler quelques détails, dont les feux arrières (issus de la 504 Coupé/Cabriolet… plus tard, ce seront ceux de la 304!). La carrosserie est toujours dérivée du premier dessin de Frua, et est réalisée en fibre de verre, tandis que l’ensemble est fixé sur un châssis poutre évolué (et breveté par Ligier). La voiture sera présentée au Salon de Paris 1970, puis après des tests, au Salon de Paris 1971, pour n’entrer en production qu’au début de l’année 1972, au tarif de 74 000 francs !
Elle offre, à cette époque, 170 ch, grâce au V6 de la SM de 2.7 litres de cylindrée. Mais dès l’année suivante, elle reçoit une évolution de ce moteur, issu de la Maserati Merak. Cette fois-ci, la cylindrée passe à 3 litres, et le moteur sort 195 ch ! De quoi offrir de nouvelles capacités à la belle qui s’est vendue au compte goutte les premiers mois.
Une série 2, avec ses phares escamotables (7 exemplaires seulement)Entre temps, Ligier engage ses JS2 en compétition. En 1974, elle remporte le Tour de France, et finit 2ème au Mans. Ce n’est cependant pas suffisant pour se créer une image de marque. Pourtant, cette même année, Ligier passe un accord de distribution avec Citroën : les JS2 seront désormais vendues par le réseau chevronné, après-vente compris. Oui mais cette année là, c’est aussi le contre-coup de la crise pétrolière de 1973 : les français ne sont plus trop enclins à acheter des grosses cylindrées, coûteuses, mais surtout signes extérieurs de richesse. Citroën aussi en ressent les effets, et sa SM s’effondre dans les charts. De toute façon, la marque de Javel est exsangue, dépose le bilan, et se voit rachetée par Peugeot. Dans le jeu des fusions/acquisitions/réorganisations, Ligier va tirer son épingle du jeu : Citroën lui confie (à la demande de Peugeot) la fabrication des dernières SM dans son usine d’Albrest, près de Vichy. 21 exemplaires de la SM sortiront des ateliers en 1974, et 115 en 1975, histoire d’honorer les dernières commandes.
Cette production pour le compte de Citroën n’est pourtant qu’un cache misère : les JS2 ne se vendent pas. Trop chères, sans image de marque, moins perfomantes que les rivales italiennes ou teutonnes, les JS2 ne pouvaient pas rivaliser. Pourtant, Ligier tente un coup en 1975 en présentant une « phase 2 » aux phares escamotables, sans pour autant redresser la barre.
Le nombre d’exemplaires réellement fabriqués par Ligier varie du simple au double selon les sources. De 86 exemplaires annoncés par les uns, on passe à 280 pour les autres. Il semblerait que 48 exemplaires « 2.7 » aient été fabriqués, et 7 « JS2 phase 2 ». Je crois que le chiffre de 86 exemplaires est le plus crédible, ce qui nous donnerait 31 exemplaires en version 3 litres. Des chiffres à prendre avec des pincettes, mais corroboré par le recensement des JS2 « survivantes », au nombre de 42 !
Autant vous dire que s’offrir une JS2 nécessitera beaucoup de passion, un certain chauvinisme, et d’un portefeuille bien garni. Mais avec elle, c’est un morceau de l’histoire automobile que vous tiendrez par les deux mains à 10h10. A vous de voir, car pour ma part, si la petite histoire m’amuse et m’intrigue, j’ai du mal à accrocher au design ! Chacun ses goûts !