

L’on s’en souvient sans doute, ce n’est pas la première fois qu’Alfa Romeo exhume la dénomination « 33 » : précédemment, la firme milanaise y avait eu recours pour désigner une Alfasud maladroitement modernisée. Fort heureusement, cette fois l’exploitation du patrimoine du Biscione s’avère nettement plus heureuse, puisque la 33 Stradale, présentée pour la première fois il y a deux ans et dont les premières livraisons n’ont commencé qu’à la fin de l’année dernière, rend cette fois hommage au modèle éponyme de 1967. Construite à… trente-trois exemplaires – tous vendus, cela va sans dire –, l’auto, à l’instar de la 8C Competizione de 2007, s’inscrit dans une démarche particulièrement ambitieuse pour une marque en péril : réussir à nous faire de nouveau rêver…



Comparaison n’est pas raison
Exactement vingt ans après la présentation du concept car préfigurant assez fidèlement la future 8C Competizione, Alfa Romeo a révélé, à l’été 2023, un autre modèle qui, bien que très différent de sa devancière dans la forme comme dans le fond, procédait en définitive de la même démarche conceptuelle. Certes, l’époque n’est plus la même ; certes, Alfa n’appartient plus à feu Fiat Auto mais à l’impotente galaxie Stellantis – et il n’est d’ailleurs pas sûr que la firme milanaise y ait gagné au change… Pourtant, il est impossible de ne pas déceler les similitudes qui rapprochent la 8C de la 33 Stradale : aujourd’hui comme hier, il s’est agi de puiser dans le patrimoine le plus glorieux d’Alfa Romeo en ressuscitant une appellation jadis fameuse, mais dont la splendeur n’éclaire plus que la mémoire des plus érudits des petrolheads. Aujourd’hui comme hier, l’auto ne vient pas couronner une gamme avec laquelle elle n’entretient aucune parenté technique, mais constitue une sorte de météore dont la brève trajectoire est censée réconforter les amoureux d’un blason encore plus mal en point qu’il y a vingt ans. Aujourd’hui comme hier, enfin, c’est vers Maserati que les responsables du projet se sont tournés afin d’élaborer leur engin…
Maserati (encore) à la rescousse
Faut-il pour autant voir dans la 33 Stradale du XXIe siècle un simple recarrossage de la MC20 ? Le narratif déployé par la communication de la marque s’astreint à démontrer le contraire, comme en témoignent les propos de Jean-Philippe Delaire, ingénieur en chef du projet, publiés dans Sport Auto en mai dernier : « Ce n’est pas un copier-coller de la Maserati. La coque provient de la version Cielo, mais tout le toit est différent (…) Même chose pour les berceaux avant et arrière, qui sont plus courts que chez Maserati. Les suspensions dérivent de la Giulia GTAm, avec des ressorts, des calibrations d’amortisseurs et des barres antiroulis spécifiques. » Dont acte… Et, au-delà de sa beauté formelle, personne ne contestera à la 33 Stradale sa spécificité esthétique : l’auto est, de fait, très différente de sa matrice – et, comme à l’époque de la 8C (qui devait beaucoup à la Maserati GranTurismo de première génération), Alfa lui a accordé un mobilier de bord spécifique, admirablement dessiné et construit, et dont l’élégante sobriété tranche avec bonheur sur les habitacles contemporains saturés d’écrans. Ici, pas de « mur d’applications » pour conducteurs lobotomisés ni d’éclairage d’ambiance paramétrable à l’envi : on est là pour le plaisir du pilotage, un point c’est tout (même le volant n’est pas « multifonctions ») !

La beauté du geste
Bien sûr, étant donné la rareté de l’auto et son tarif, il est douteux que ses heureux propriétaires passent leur temps à aller en chercher les limites sur circuit, mais le sérieux de la mise au point ne fait aucun doute. La MC20 ayant été unanimement saluée à cet égard – à défaut de trouver des clients… –, il n’existe pas de raison objective d’en douter, d’autant que les essayeurs qui ont eu la chance de prendre le volant de la 33 Stradale font l’éloge de son équilibre, plus réussi encore que celui de la Maserati. Laquelle a légué en l’état, comme on pouvait s’y attendre, son V6 Nettuno – lui-même descendant direct du moteur 690T développé avec Ferrari et apparu il y a dix ans sous le capot de la Giulia Quadrifoglio : la boucle est donc bouclée. Ses caractéristiques n’ont pas évolué ; il a conservé ses deux turbocompresseurs et développe toujours 630 ch ainsi qu’un couple de 730 Nm, disponibles de 3000 à 5500 tours/minute, la puissance maximale étant pour sa part obtenue à 7500 tours. De quoi accréditer les assertions d’Alfa Romeo en matière de performances chiffrées, la vitesse maximale revendiquée étant de (vous l’avez deviné) 333 km/h !
L’aurore ou le crépuscule
À ce stade, la 33 Stradale pose un problème objectif à tout passionné digne de ce nom. Le débat ne concerne pas l’auto en elle-même, aussi splendide qu’aboutie techniquement, et le travail de ses concepteurs mérite à l’évidence un respect sans faille. Pour autant, l’on peut légitimement s’interroger quant à la pertinence de l’objet, très éloigné des capacités financières comme du background culturel de la clientèle ciblée par Alfa pour écouler ses Junior ou ses Tonale. Les trente-trois exemplaires ont très vite trouvé preneurs, mais qu’est-ce que ça prouve lorsqu’on se préoccupe de l’avenir d’Alfa ? Pas grand-chose, tout comme les huit centaines de 8C construites jusqu’en 2010 ne présageaient en aucun cas du succès obtenu par la gamme « normale » du constructeur en ce temps-là. En mode survie depuis déjà longtemps, la marque a échoué avec les Giulia et Stelvio, tandis que les SUV développés à peu de frais sur la base de composants d’origine Fiat ou PSA peinent à convaincre. Dans un tel contexte, cette berlinette censée entretenir ce qu’il reste du « virus Alfa » peut tout autant être considérée comme le dernier acte d’une longue agonie ou, au contraire, comme le premier signal concret d’une renaissance depuis trop longtemps attendue. Prions tous ensemble les dieux de l’automobile pour qu’il en soit ainsi…






Texte : Nicolas Fourny