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Bentley Eight : du Connolly pour les prolétaires

Nicolas Fourny - 3 juin 2020

La meilleure voiture du monde — c’est son constructeur qui l’affirme — ne saurait être accessible au commun des mortels. La démocratisation du luxe n’a guère de sens : par définition, un luxe qui se généralise n’en est plus un. Et, de nos jours, un examen des grilles tarifaires Bentley ou Rolls-Royce suffit pour se rassurer : les berlines, coupés et cabriolets germano-britanniques demeurent très largement hors de portée de la plupart d’entre nous. Toutefois, comme on va le voir, il n’en a pas toujours été ainsi…

L’affaire remonte au mois de juillet 1984. À cette époque, R-R et Bentley faisaient encore cause et usine communes : à quelques exceptions près, les modèles commercialisés sous chacune des deux marques étaient globalement identiques ; seuls les différenciaient les calandres, les logos et les prix de vente, traditionnellement moins élevés chez Bentley. Cette situation, qui durait depuis 1965, avait progressivement marginalisé l’ex-vainqueur des 24 Heures du Mans, dont l’identité semblait désormais s’apparenter à celle d’une sous-marque n’attirant plus que quelques snobs considérant sans doute que les Rolls-Royce étaient décidément trop ostentatoires. Et il est vrai que la carrosserie commune aux Silver Spirit, Silver Spur et Mulsanne, apparue en 1980, n’était pas particulièrement bouleversante : enlevez-lui ses emblèmes et son accastillage, elle n’attirera pas plus l’attention qu’une Toyota Camry. Due aux stylistes maison, sous la supervision de Fritz Feller, elle avait choisi de se réfugier dans un classicisme soporifique et dépourvu d’imagination, aussi peu suggestif que possible.

Deux ans auparavant, un timide renouveau s’était cependant manifesté, sous la forme d’une très inattendue Mulsanne Turbo. Pour la première fois, le V8 apparu en 1959 bénéficiait d’une suralimentation probablement tout autant destinée à redynamiser l’image de Bentley (qui conserva longtemps l’exclusivité du turbocompresseur) qu’à faire taire les mauvaises langues, celles-ci n’hésitant pas à faire remarquer que la Mercedes-Benz 500 SEL offrait alors des prestations routières très supérieures à celles de leurs concurrentes anglaises, pour environ la moitié de leur prix… Bien entendu, la modernité a ses limites et, tout comme une vulgaire Renault 5 GT Turbo, la Mulsanne se permettait encore de faire l’impasse sur l’injection, ce qui n’empêcha pas André Costa, dans les colonnes de l’Auto-Journal, de saluer comme il se devait la très sensible progression des performances ainsi obtenues.

Manifestement décidée à faire feu de tout bois, la direction de l’entreprise n’en resta pourtant pas là et, à la surprise générale, dévoila donc, il y a exactement trente-six ans, un modèle dont la philosophie ressemblait furieusement à un très singulier accident de l’histoire : nous avons nommé la Eight ! Se pencher sur les caractéristiques de l’objet — ainsi d’ailleurs que sur la façon dont son constructeur l’a présenté à l’époque — vaut son pesant de livres sterling. La Eight était en effet censée jouer le rôle de Bentley « accessible ». Aussitôt, les propriétaires de Renault 30 ou d’Opel Commodore dressèrent l’oreille : allaient-ils enfin pouvoir parachever leur laborieuse progression sur l’échelle sociale en accédant au véritable prestige, au luxe ratifié par une tradition déjà quasi octogénaire, au fantasme absolu que représentait alors la possession d’une (quasi) Rolls ? Las ! Les petits bourgeois en furent pour leurs frais. La Eight était, certes, moins onéreuse qu’une Mulsanne — à laquelle elle ressemblait comme une Seat Fura à une Fiat 127 — mais, à l’automne de 1986, elle coûtait quand même 687 600 francs, soit, en valeur constante, près de 184 000 euros de 2020… Cela représentait néanmoins une baisse de tarif d’environ 15 % par rapport à la Mulsanne.

Tout fout le camp, Gontran

Dans ces conditions, on pouvait se demander comment Bentley était parvenu à cet impressionnant résultat. Le cuir avait-il cédé sa place à ce mélange entre skaï et drap qu’ont bien connu les propriétaires de Peugeot 504 ? La planche de bord et les contreportes avaient-elles récupéré des chutes de faux bois en provenance de la British Leyland ? Les miroirs de courtoisie avaient-ils été supprimés ? La moquette Wilton avait-elle été supplantée par des tapis en caoutchouc ? Que non pas. La liste des équipements de série n’avait qu’un lointain rapport avec celle d’une Citroën Visa Spécial et l’opulence propre aux productions de la firme s’avérait bien présente. Certes, on trouvait des boiseries moins prestigieuses en lieu et place de la ronce de noyer traditionnelle, tandis que la calandre renonçait au design habituel au profit d’un grillage destiné à adresser un sympathique clin d’œil aux Bentley Blower des années 1920. Dans le même esprit, la suspension présentait des réglages plus fermes, censés inviter les heureux propriétaires à une conduite sportive (mais si !). Le cuir Connolly, pour sa part, pouvait théoriquement céder la place à un intérieur en tissu, mais les exemplaires ainsi dotés furent rarissimes. En tout état de cause, l’atmosphère du bord demeurait tout à fait unique sur le marché et passer d’une Mulsanne à une Eight ne participait pas d’une quelconque déchéance. Nous vous épargnerons les sempiternels couplets sur le silence de fonctionnement ou sur le nombre de bovidés sacrifiés pour réaliser les garnitures de l’habitacle, vous les avez déjà lus un bon millier de fois. Aujourd’hui encore, voyager à bord de cette auto demeure une expérience sensorielle tout à fait fascinante et permet de vérifier, une fois encore, que le luxe véritable ne se mesure pas à l’aune du nombre d’équipements ou de gadgets (la fourniture de série ferait sourire un propriétaire de Skoda Superb) mais à la capacité d’élaborer un climat, peut-être même de perpétuer un art de vivre. Il est pour autant permis de s’interroger quant à la viabilité commerciale de l’opération, l’écart tarifaire entre la Eight et la Mulsanne n’étant que très partiellement compensé par les différences en termes d’équipements. C’est sans doute à cet égard que l’auto s’avère la plus intéressante aux yeux de l’historien : pour la seule et unique fois sans doute, Bentley aura sacrifié une partie de son bénéfice dans le but d’offrir un produit d’appel !



Parvenus de tous les pays, unissez-vous

« Quand on arrive en ville, tout le monde change de calandre », aurait pu chanter Daniel Balavoine. Jusqu’où les complexes d’infériorité vont-ils se blottir ? Nombreux furent les propriétaires de Eight à faire discrètement remplacer la calandre de leur auto, jugée trop roturière, par celle des Mulsanne. Une mesquinerie aisément réparable par les amateurs d’aujourd’hui, s’ils se montrent dignes de leur voiture laquelle mérite mieux que ces simagrées pour nouveaux riches. D’autant plus que la Eight, qui a connu un certain succès jusqu’en 1992, s’est progressivement rapprochée des autres modèles de la gamme, ce qui a sans doute conduit à son abandon.

Il n’est certes pas facile de s’y retrouver dans le maquis des innombrables appellations ayant marqué la carrière de la série « SZ ». Dans ce fatras lexical en grande partie dû à la perpétuation, au-delà du raisonnable, d’une voiture dépassée, la Eight n’aura finalement existé que peu de temps. Produite à un peu plus de 1 700 exemplaires au total, elle représente une opportunité attrayante pour qui ne se soucie guère de performances ; bien entendu, la maintenance s’avère plus complexe et plus onéreuse que celle de la Mercedes susnommée. En particulier, l’état de la suspension doit retenir votre attention, sa réfection étant particulièrement coûteuse. De son côté — refrain connu —, le V8 se révèle fiable à condition d’avoir été entretenu correctement et il en va de même pour la transmission. D’une manière générale, il est préférable d’éviter les voitures réimportées depuis les États-Unis : comme l’affirme très justement Marc Sauzeau, l’un des meilleurs spécialistes de la marque en France, « en Amérique, une Rolls-Royce ou une Bentley est aussi bien entretenue qu’une Chevrolet, et une Chevrolet y est aussi bien entretenue qu’un réfrigérateur… »

Par une délicieuse ironie du sort, une Eight en bon état coûte aujourd’hui moins cher qu’une Dacia Duster Prestige neuve. Cela nous rappelle quelques lignes bien senties du célèbre designer Bruno Sacco au sujet des gens dont la formation en matière de goût… enfin, bref, vous nous avez compris !

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