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Renault s'offre 40 % du magazine Challenges

PAUL CLÉMENT-COLLIN - 15 déc. 2017

Le 13 décembre 2017, Renault a annoncé une drôle de décision : la prise de participation à hauteur de 40 % des actions du magazine économique Challenge, et de ses « frères » Sciences et Avenir, La Recherche, L’Histoire et Historia (seul le Nouveau Magazine Littéraire n’est pas concerné par l’accord). Les Editions Croque Future et Sophia, tout en restant sous le contrôle de Claude Perdriel (60 %), accueillent donc un étonnant nouvel actionnaire.

On a l’habitude de milliardaires tels que Bernard Arnaud (Les Echos, Le Parisien), François Pinault (Le Point), Xaviel Niel (Le Monde), Serge Dassault (le Figaro) ou Patrick Drahi (l’Express, Libération, entre autres) propriétaires de titres de presse comme on se paye une danseuse. Il est plutôt rare de voir une société industrielle a priori aux antipodes de la presse se payer ce luxe là. Et pourtant, Carlos Ghosn change la donne et les habitudes en n’hésitant pas à investir dans un secteur qu’on dit moribond avec des objectifs « différents ».

Il ne s’agit pas ici de se faire plaisir. D’un côté, Claude Perdriel, qui avait tenu à conserver Challenges en nom propre après la cession du Nouvel Observateur au Monde : malgré une fortune certaine (et les bénéfices de la SFA, vous savez, les sanibroyeurs comme on disait dans la pub, « c’est sensas’ »), l’homme de 91 ans sait qu’il n’est pas éternel et tente de pérenniser les restes de son empire médiatique en trouvant un autre investisseur capable d’apurer le passif et d’investir, notamment dans le numérique ! De l’autre, Renault qui, selon les dires de son patron, chercherait à sécuriser son approvisionnement de contenus rédactionnels dans une logique d’automobiles de plus en plus connectées et de plus en plus autonomes.

L’idée peut paraître saugrenue mais n’est pas dénuée de logique : la consommation de l’information est aujourd’hui mobile, et l’automobile est un potentiel « terminal d’information », avec ses tablettes tactiles intégrées et les connections internet mobiles. Mieux, l’autonomie progressant de jour en jour, la richesse de l’information disponible deviendra un enjeu majeur, du moins c’est ce qu’en dit Ghosn. Cela rappelle les discours de Jean-Marie Messier en son temps mais aussi de Patrick Drahi aujourd’hui, deux adeptes de la politique des « contenus et des contenants ».

Le discours est rodé : « la presse n’est pas le métier de Renault » déclare Carlos Ghosn, tandis que Perdriel rappelle qu’il reste majoritaire. De concert, ils parlent d’un futur fournisseur exclusif de contenus pour le constructeur automobile, offrant ainsi de nouveaux services à ses clients. Le tout pour un investissement relativement faible : la prise en charge des dettes par Renault, et l’apport de 5 millions d’euros d’argent frais pour les futurs développement (notamment numérique) des journaux du groupe). Une goutte d’eau pour un groupe automobile qui investit des milliards d’euros chaque années dans toutes les directions.

Mais à y regarder de plus près, on se demande si les raisons avancées sont les bonnes. Avec la connexions des automobiles à l’internet et l’accès à un sacré paquet de contenus gratuits ou payants, quel intérêt de rajouter cette goutte d’eau dans l’océan du web… Comme si être actionnaire d’un magazine économique, de deux historiques et de deux scientifiques allait faire basculer la balance de Renault à l’heure du choix ? Comme si les rédactions de ces 5 magazines allaient révolutionner la production de l’information à destination des clients Renault ? Si Ghosn se mettait à racheter à tour de bras des médias web, presse, tv ou radio, là oui, on pourrait s’imaginer que la stratégie est clairement à l’heure de la fourniture de contenu. Mais le rachat de 40 % d’un très petit groupe de presse (45 millions d’euros de CA, un déficit chronique de 1 à 2 millions d’euros par an) ne semble pas être la preuve d’un engagement massif dans la production de contenu.

En réalité, cette prise de participation ressemble plus à un coup de main qu’à une réelle volonté de développer les contenus rédactionnels pour les voitures connectées. L’investissement est une paille à l’échelle du groupe (qui dépense quoi qu’il arrive près de 600 000 euros par an en publicité rien que sur le magazine Challenges). La logique d’un besoin de contenu ne saute pas aux yeux, du moins pas sous cette forme, tandis que le spectre de l’influence d’un industriel sur un média économique donne plutôt une image négative, même si celle-ci reste fantasmée (on a fini par s’habituer à un Arnault propriétaire du quotidien économique Les Echos, ou à un Niel co-propriétaire du Monde).

Bref, sous couvert d’une nouvelle politique de contenus soi-disant nécessaire se camoufle des petits arrangements entre amis : la bienveillance de Challenges (il n’y aura même pas besoin de faire pression) tant en terme d’économie que d’automobile, en échange de la survie du titre. Et d’un peu de communication par la même occasion… Pas con !

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