

À présent, la XM – qui fête ses trente-cinq printemps cette année – est devenue une automobile de collection à part entière, bien plus convoitée par les amateurs que ses rivales françaises, qu’il s’agisse de la Peugeot 605 ou de la Renault Safrane. Comme chacun sait, aussi fascinant soit-il, le modèle aura été un échec commercial d’autant plus cuisant lorsque l’on se remémore les ambitions affichées par Citroën au moment de son lancement, la marque s’appuyant alors autant sur le design singulier de sa nouvelle berline que sur ses innovations techniques ; en particulier, l’auto permettait à la firme aux chevrons de revenir, pour la première fois depuis la disparition de la SM, dans la catégorie des six-cylindres, cette architecture ayant caractérisé l’ensemble des XM sommitales. Pourtant, il n’y a eu une mais bien plusieurs XM V6, chacune d’elles présentant un typage spécifique qu’il n’est pas inutile de détailler afin de guider les citroënistes invétérés (et les autres) au moment du choix…



Une vraie Citroën !
C’est peu dire qu’on l’aura attendue longtemps, cette XM ! Car je vous parle d’un temps où l’apparition d’une grande Citroën constituait un véritable événement dont la perspective était capable de tenir en haleine, des années durant, la presse spécialisée, les amoureux du Double Chevron et, plus généralement, tous les petrolheads dignes de ce nom. Or, à la fin des années 80, la valeureuse CX est à bout de souffle, victime d’une carrière prolongée au-delà du raisonnable – si la situation de son constructeur avait été plus favorable elle aurait dû être renouvelée dans la première moitié de la décennie, mais les priorités de Citroën étaient ailleurs – et des coups de boutoir d’une concurrence toujours plus affûtée, notamment de la part d’une certaine Renault 25. Nombreux sont alors ceux qui espèrent l’arrivée d’une berline dont chacun pressent qu’elle sera digne de ses aînées, c’est-à-dire capable de surpasser ses rivales en termes de contenu technique tout en provoquant un choc esthétique. Sur ce dernier point, quand le tout nouvel hebdomadaire Auto Plus affiche à l’été 1988, en couverture de son premier numéro, la un prototype alors baptisé « DX », les amateurs sont rassurés : dépourvue de tout camouflage, la voiture présente une ligne extrêmement clivante, ce que confirment les photos et dessins publiés dans d’autres magazines. Citroën a manifestement cherché à créer l’événement en tournant résolument le dos au classicisme germanique qui domine déjà la catégorie des grandes routières.
L’énigme du décrochement
Au début de 1989, Jacques Calvet, qui préside alors aux destinées du groupe PSA, révèle que la nouvelle Citroën ne s’appellera pas « DX », comme on aurait pu s’y attendre après avoir vu apparaître les BX puis AX, mais « XM ». Un nom censé rappeler le glorieux souvenir de la SM, coupé de légende conçu pour permettre à Citroën de monter en gamme au début des seventies, mais dont la carrière se fracassera prématurément sur une agrégation d’obstacles parmi lesquels on citera une fiabilité défaillante et l’incompétence du réseau de la firme, le plus souvent incapable de vendre l’engin comme de l’entretenir correctement. Pour autant, la SM incarne indéniablement l’un des titres de gloire de l’ex-Quai de Javel et, par surcroît, la grande berline que prépare le constructeur depuis 1984 se rapproche de sa lointaine devancière à deux égards. En premier lieu, chacun a remarqué, sur les photos et dessins des prototypes, de plus en plus fréquents dans les pages de l’Auto-Journal ou de L’Automobile Magazine au fur et à mesure que l’on se rapproche du lancement de l’auto, un net décrochement de la ligne au niveau de la porte arrière, qui semble faire directement écho à celui de la custode de la SM. Il ne s’agit toutefois pas là d’un clin d’œil volontaire ; le designer Marc Deschamps, qui travaille alors chez Bertone et est l’auteur du tout premier croquis du projet Y30, a fréquemment démenti s’être inspiré du défunt coupé au moment de crayonner cette ligne au tout début du projet, dont les principes généraux se retrouveront sur la voiture de série. Et puis surtout, à l’instar de la SM, la XM va recevoir un moteur six-cylindres !
Une V6 en classe... Pallas
Bien sûr, il n’est pas question de circonscrire la gamme XM à cette seule motorisation. Pensé comme une voiture de conquête, le modèle doit ratisser large en s’attaquant à toutes les strates de son segment de marché, d’où l’élaboration de variantes animées par de plus roturiers quatre-cylindres essence et Diesel. Il n’en demeure pas moins que, dès l’abord, le 23 mai 1989, la XM est présentée en deux versions, dont la première V6 sur laquelle la communication de Citroën insiste tout particulièrement, parallèlement à la suspension Hydractive qui l’accompagne en série – même si le moteur retenu est une vieille connaissance. À l’orée de sa carrière, la XM V6 originelle reçoit en effet le PRV qui fut toujours refusé à la CX mais que les Peugeot 604 puis 505 ont longtemps pratiqué. En l’espèce, Citroën adopte cependant la cylindrée de 2975 cm3, inédite chez PSA, même si la puissance du groupe ne progresse pas par rapport à la 505 V6 nantie d’un 2849 cm3 (le catalyseur est passé par là) : la XM s’en tient aux 170 ch qui, du point de vue des performances chiffrées, la positionnent valablement face aux BMW 525i, Mercedes-Benz 260 E, Renault 25 V6 ou Opel Senator 3.0i, lui permettant ainsi de rivaliser à la fois avec le haut de gamme germanique (Audi ne dispose d’aucun six-cylindres à cette époque) et les mieux motorisées des grandes routières généralistes. Trente-cinq ans après, la démonstration reste impressionnante : une XM V6 des premiers millésimes, correctement entretenue ou restaurée avec soin, procure une expérience et des sensations de conduite sans équivalent, tandis que ni son confort ni ses qualités routières n’ont objectivement vieilli. Ses chronos se sont banalisés en revanche (222 km/h en pointe et le kilomètre départ arrêté en 30 secondes, ça n’impressionne plus personne depuis longtemps) mais, même aujourd’hui, s’avèrent très suffisants pour le style de conduite rapide et décontracté pour lequel l’auto semble avoir été entièrement pensée !

L’avènement des 24 soupapes
Néanmoins, ce niveau de puissance reste encore trop « tendre » pour pouvoir prétendre engager la conversation avec les références du moment que sont les Mercedes 300 E-24 (220 ch), Audi 200 quattro 20v (220 ch également) ou BMW 535i (211 ch). C’est la raison pour laquelle PSA a choisi de développer une variante à quatre soupapes par cylindre du PRV dont, pour des motifs différents, ni Renault ni Volvo ne voudront entendre parler (l’ex-Régie restera fidèle aux turbocompresseurs pour sa Safrane et les Suédois ont conçu, en toute indépendance, un tout nouveau six-cylindres en ligne qui apparaîtra en 1990). Comme (trop) souvent, c’est Peugeot qui a eu la primeur du V6 ainsi gréé, qui anime la 605 SV24 dès l’automne de 1989, alors que la XM dotée du même moteur ne sort que pour le millésime 1991. Les performances attendues sont là : l’Auto-Journal chronomètre la nouvelle venue à 236 km/h ; par ailleurs, l’auto n’est disponible qu’avec une nouvelle finition, baptisée « Exclusive » et incluant des applications en authentique bois de rose d’Afrique, un accoudoir central à réglage électrique, une climatisation automatique, des jantes alu Speedline spécifiques et une sellerie cuir de série (des garnitures en Alcantara étant disponibles en option gratuite). Malheureusement, le PRV « quatre soupapes » manque cruellement de mise au point et aussi d’endurance ; les à-coups à bas régime rendent ainsi pénible la conduite en milieu urbain, tandis que les arbres à cames des premiers moteurs ont du mal à résister aux longues sollicitations à pleine charge – un comble pour une berline a priori calibrée pour les parcours autoroutiers menés à haute vitesse de l’autre côté du Rhin… Si bien que, de nos jours, les collectionneurs ont tendance à se méfier des premières XM V6.24, sensiblement plus complexes et onéreuses à entretenir que les V6 « classiques » alors que les chronos n’ont plus l’importance qu’ils revêtaient il y a trois décennies. Les choses vont rester en l’état jusqu’à l’été 1994, les deux V6 PRV cohabitant au faîte d’une gamme hélas malmenée par la fiabilité désastreuse des premières XM produites, dont la carrière du modèle ne se relèvera pas. Alors que l’auto est largement fiabilisée depuis l’année-modèle 1994, la XM phase 2, présentée un an plus tard, ne parviendra pas à inverser la tendance, en dépit de nombreuses évolutions techniques et esthétiques.
L’ES9 pour finir en beauté
Ce qui ne l’empêchera pas, en guise de chant du cygne, d’adopter au printemps 1997 le tout nouveau V6 conçu chez PSA et cofinancé par Renault. Ouvert à 60 degrés (versus 90 degrés pour le PRV) et uniquement disponible en version 24 soupapes, l’ES9 – tel est son nom de baptême chez Citroën et Peugeot – remplace les deux PRV parvenus en bout de développement. Il développe 194 ch et délivre des performances proches de celles de l’ancienne V6.24, tout en consommant nettement moins que la V6 « de base » sortante. Les XM ainsi motorisées sont par ailleurs disponibles avec un éventail de finitions plus large, de même que sous la forme du très exotique break assemblé à doses homéopathiques chez Heuliez. Si vous souhaitez rouler aussi souvent que possible en bénéficiant des avantages du restylage – dont tout le monde n’apprécie pas le résultat, en particulier à l’intérieur –, c’est à l’évidence la version à privilégier aujourd’hui, même si la maintenance de l’ES9 (dont la distribution est assurée par une courroie, contrairement au PRV) se révèle plus onéreuse que celle de son prédécesseur. À l’inverse, les puristes préféreront les premières XM V6 12 soupapes, certes plus gourmandes et moins véloces, mais délicieusement datées et fertiles en détails dont certains réjouissent les citroënistes (direction à rappel asservi, volant monobranche jusqu’en 1991, mobilier de bord moins monolithique). Reste le cas de la V6.24, dont le PRV sait exprimer joliment sa rage à haut régime mais dont, on l’a vu, l’utilisation est plus délicate que celle de ses sœurs, ce qui la destine avant tout aux thuriféraires de la XM – cette étrange peuplade dont les membres sont, comme l’auteur de ces lignes, tombés amoureux de cette auto au premier regard, et qui le resteront à tout jamais ! Au demeurant, l’auto étant nettement moins recherchée qu’une CX GTi Turbo ou, a fortiori, qu’une DS 23, le marché des XM V6 n’est pas très actif, les beaux exemplaires en état de rouler se faisant rares ; si les Néerlandais sont prêts à mettre 25 000 € pour une voiture en état concours, en France la plupart des propositions n’atteignent pas la moitié de cette somme pour une auto irréprochable. Avouez que ce n’est pas cher payé pour circuler au volant d’un tel monument, aussi méconnu qu’attachant !






Texte : Nicolas Fourny