

De tout temps, l’habitabilité a constitué un problème récurrent pour les automobiles de grand tourisme. Les carrosseries biplaces présentent, certes, l’avantage d’un individualisme revendiqué avec style, mais interdisent par définition à plus d’un passager d’accompagner l’heureux pilote dans ses pérégrinations. Et si vous vous efforcez de ménager de véritables places à l’arrière, vous aboutissez presque inévitablement à une longueur excessive, rançon d’un empattement démesuré – tous deux étant préjudiciables à l’agilité de la voiture. Alors, que reste-t-il ? La formule dite 2+2, bien entendu, même si bon nombre de coupés et de cabriolets abusivement présentés comme tels auraient dû être plutôt baptisés « 2+1 », compte tenu de l’espace réellement disponible à l’arrière… Tel n’est pas le cas de l’une des Maserati anciennes les plus méconnues – j’ai nommé l’Indy, que l’on peut aisément assimiler à une Ghibli à quatre places !



Sus à Lamborghini !
En 1969, la carrière de la Quattroporte de première génération prend fin. Construite à un peu moins de 800 exemplaires en six ans de carrière, l’auto est demeurée ce qu’elle était – c’est-à-dire une berline de grand prestige, assemblée de façon semi-artisanale dans les ateliers d’un petit constructeur – et n’a donc connu qu’une diffusion très confidentielle. Pour autant, la première Maserati à quatre portes a posé les substrats d’une catégorie que d’autres firmes italiennes, telles qu’Iso ou De Tomaso, vont se charger de perpétuer au début des années 70. Car, contre toute attente, la Quattroporte tipo AM107 quitte la scène sans descendance directe ; il faudra attendre l’automne de 1974 pour voir apparaître la deuxième génération du modèle, création aussi improbable qu’éphémère développée sur la base de la Citroën SM. Car, comme chacun sait, le constructeur français a pris le contrôle de Maserati au début de 1968 et va, dès lors, intervenir directement dans les projets de sa nouvelle filiale. Voici donc le catalogue du Trident momentanément veuf de tout modèle « familial »… Enfin, pas tout à fait. Si la mise en chantier d’une nouvelle berline ne fait pas partie des priorités du moment, les dirigeants de Maserati ont toutefois, dès avant la cession de l’entreprise à Citroën par la famille Orsi, lancé l’étude d’un coupé à quatre places destiné à rivaliser avec l’éblouissante Lamborghini Espada…
Vignale vs Ghia
Le projet AM116 est d’ailleurs établi sur une base de Quattroporte raccourcie, l’empattement passant de 2,75 à 2,60 mètres. L’objectif poursuivi par les concepteurs de l’engin est clair : il s’agit de donner un successeur à la Sebring lancée en 1962 et alors totalement démodée, tout en conservant les avantages de la formule 2+2 et en s’inspirant du design de la Ghibli apparue en 1966. Si son architecture générale est figée dès l’abord (il est très tôt acquis que le futur modèle délaissera le six-cylindres de la Sebring au profit du V8 maison), la destinée stylistique de l’engin s’avérera plus tortueuse. À l’automne 1968, les visiteurs du Salon de Turin découvrent ainsi, sur les stands de leurs carrossiers respectifs, deux voitures présentées conjointement et qui incarnent chacune une interprétation distincte du premier coupé V8 à quatre places de la marque. Ayant déjà signé la fabuleuse Ghibli pour le compte de Ghia, Giorgetto Giugiaro a dessiné pour la même maison, en 1967, un prototype baptisé Simùn, lequel apparaît à Turin aux côtés d’un autre prototype, dû celui-là à Vignale. D’un style paradoxalement très proche de celui de la Ghibli, c’est ce dernier, dessiné par Virginio Vairo, qui sera retenu pour la voiture de série, commercialisée à partir du printemps 1969 et baptisée Indy.

Un V8 d’élite
Cette dénomination fait référence aux deux victoires obtenues par Maserati sur le circuit d’Indianapolis en 1939 et 1940. S’ils sont alors déjà lointains, le rappel de ces deux succès historiques – alors que la firme a officiellement abandonné la compétition depuis de longues années déjà – n’est pas anodin ; il symbolise la montée en puissance de l’Indy par rapport à sa devancière. Car le V8 Maserati, qui anime exclusivement le nouveau modèle, ne vient pas de n’importe où ; il puise directement ses racines dans la compétition puisque, avant sa première apparition dans une voiture de route – la 5000 GT de 1959 – ce moteur de légende a brillé sur les circuits sous le capot de la 450S, aux mains de Stirling Moss ou de Juan Manuel Fangio. Tout aussi brillant sur la route et tenant aisément tête aux douze-cylindres de la concurrence lorsqu’il emmène la Ghibli, le V8 semble toutefois quelque peu « éteint » (tout est relatif, bien entendu…) une fois greffé dans l’Indy, lourd coupé pesant tout de même près de 1600 kilos à vide et dont la vocation consiste, ne l’oublions pas, à emmener quatre passagers et leurs bagages. Car, initialement, l’auto n’est proposée en version 4200 (4136 cm3 pour 260 ch), ce qui suffit néanmoins à l’amener aux alentours des 245 km/h en pointe. Il n’empêche que, par rapport à la Ferrari 365 GT 2+2, le déficit de puissance atteint 60 ch. Fort heureusement, dès 1970, Maserati propose en option la variante 4,7 litres du même moteur ; la puissance atteint cette fois les 290 ch.
Méconnue et grisante
Et la fête n’est pas finie puisqu’en 1971, Maserati introduit l’Indy 4900, forte de 300 ch. C’est ainsi gréée que l’auto achèvera sa carrière puisqu’en 1973, les deux autres versions quittent le catalogue, tandis que, pour ses trois cents derniers exemplaires, l’Indy reçoit un système de freinage à haute pression identique dans son principe à celui de la SM avant de tirer sa révérence en 1975, au moment même où Citroën, désormais sous le contrôle de Peugeot, abandonne Maserati, qu’Alejandro de Tomaso va s’empresser de récupérer – mais c’est là une autre histoire… Cinquante ans après la fin de sa carrière, l’Indy séduit aujourd’hui une petite tribu de connaisseurs qui savent apprécier sa noblesse et son ardeur mécanique – le V8 Maserati, c’est quand même autre chose que ses homologues de chez Ford ou Chevrolet –, ses qualités routières et ses performances, même si ce dernier point ne revêt plus qu’une importance relative : on n’achète pas une GT quinquagénaire pour faire un temps sur le bitume de la Nordschleife… Et puis, il y a cette ligne singulière et dont la modernité saute aux yeux, seuls les phares escamotables datant quelque peu l’auto. Dotée d’un très original hayon arrière, à l’instar de la Mistral, l’Indy dispose d’un véritable coffre et aussi, comme nous l’écrivions en introduction, de deux places arrière – même si elles sont plus adaptées aux jockeys qu’aux joueurs de basket. Dans l’absolu, ce séduisant équipage n’est même pas ruineux : la cote LVA 2025 donne ainsi une valeur allant de 95 000 à 125 000 euros selon la motorisation ; c’est deux fois moins cher qu’une Ghibli. J’en connais plus d’un que cela devrait faire réfléchir…






Texte : Nicolas Fourny