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24h du Mans : la tragédie de 1955
Nicolas Fourni - 9 mai 2019Le Mans Classic ouvre tous les 2 ans ses portes aux visiteurs et sa piste à des bolides d’un autre temps. De 1923 à 2014, chacune de ces voitures raconte une année, une histoire. Et justement : il y en a une, d’histoire, qui hantera à jamais le circuit manceau.
C’est l’endroit où il faut être, en ce beau jour de juin : derrière les stands des 24h du Mans, pour admirer les voitures et leurs pilotes stars – Castelloti sur Ferrari, Hawthorn sur Jaguar, sans oublier Juan Manuel Fangio. Lui pilote la Mercedes #19, pour la grande première de la marque allemande sur la piste sarthoise.
Nous sommes en 1955.
Le Courrier normand, bus qui relie Caen au circuit du Mans, débarque depuis l’aube des grappes entières de visiteurs. D’autres arrivent de Paris, de Lille, de Bretagne, en train, en voiture, à pied… Ils seront bientôt 250 000 à se presser autour de la piste la plus rapide du monde.
S’ils s’agglutinent derrière les stands, c’est pour une bonne raison : cette année sonne le début du ravitaillement des voitures. Une curiosité, mais surtout une occasion en or de se pourlécher devant ces merveilles et de les mirer sous toutes les coutures. Songez qu’un ravitaillement prend alors pas moins de trois minutes !
La course a commencé à 15h. Trois heures plus tard surviennent les premiers arrêts aux stands. A ce moment, 200 mètres à peine séparent Hawthorn et Fangio. Ces deux fous furieux bombardent en tête de la course et ont déjà soufflé toute concurrence. La Seconde guerre n’est terminée que depuis 10 ans. Ce combat entre les écuries anglaise et allemande n’a plus grand chose du sport, c’est un duel d’honneur. Les deux pilotes se rendent coup pour coup ; au cours des deux premières heures, ils battent 10 records de tour.
18h28 : l’heure du chaos
Deux concurrents sont sur le point d’en concéder un, justement, de tour : Lance Macklin, au volant de son Austin-Healey #26, et le français Pierre Levegh, appelé à la rescousse pour piloter la Mercedes-Benz 300 SLR #20, qui voit tout à coup une Austin vrombissante le déposer sur place.
Hawthorn est lancé à 280 km/h. A cet instant, il n’a qu’une idée en tête : atteindre le stand. Il déboîte sèchement, coupe la trajectoire de Macklin qui, surpris, donne un coup de volant à gauche. Conséquence, la porte se ferme devant Pierre Levegh, qui accroche l’arrière de l’Austin. A une telle vitesse, le pilote s’envole ; sa Mercedes aussi : train avant et moteur sont propulsés en plein cœur des tribunes… Et puis, c’est l’explosion.
Tragédie
Levegh meurt sur le coup. Mais il est loin, très loin d’être le seul. Dans ce qu’il est alors convenu d’appeler tribunes – série d’estrades brinquebalantes protégées çà et là par quelques bottes de paille, comme du temps paisible où les voitures toussotaient à 100 km/h – c’est un carnage.
L’explosion en elle-même a un effet blast. Les débris de la voiture sont projetés à plus de 80 m. Partout, des corps mutilés ou sans vie jonchent le sol. Enfants, parents, curieux de tous âges, nagent dans l’horreur.
Le drame fait 82 morts et plus d’une centaine de blessés, selon le bilan officiel. Ironie de l’histoire, le dernier corps à être identifié sera celui de Pierre Levegh.
Epilogue
Que n’a-t-on pas dit ou écrit sur le drame de 1955. Des questions lancinantes rôdent encore, telles des fantômes. Y’a-t-il eu une explosion ou deux, comme l’affirment certains témoins ? Pourquoi l’écurie Mercedes est-elle rentrée à Stuttgart pendant la nuit ? Utilisait-elle un carburant interdit et dangereux pour battre des records ? Quel fut le nombre exact de victimes ? Pourquoi la justice française – alors en plein tissage de nouveaux liens franco-allemands – a-t-elle semblé dissimuler les détails au public ?
L’accident du Mans a ouvert une nouvelle ère dans la course automobile. De nombreux pays l’ont interdite longtemps ; certains comme la Suisse, pendant des décennies. Les standards de sécurité ont connu un saut qualitatif radical, partout dans le monde. La piste du Mans s’est enterrée à 6 m de profondeur. Mercedes-Benz ne reviendra plus pendant 43 ans dans la Sarthe…
Les doutes qui continuent de planer ont tous le même parfum : celui des légendes, parmi lesquelles se rangera à jamais ce sale jour de printemps 1955. Une question en particulier ne trouvera pas de réponse satisfaisante, même dans cent ans : comment a-t-on pu laisser la course se dérouler, toute la nuit ?
Pour info, c’est le duo Hawthorn-Bueb, sur la Jaguar Type D, qui remportera 20h plus tard cette 23e édition.