Ferrari BB : la pionnière oubliée
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Ferrari BB : la pionnière oubliée

Par Nicolas Fourny - 08/11/2022

Depuis l’apparition de la Lamborghini Miura, en 1966, une controverse apparemment sans fin brûlait entre Ferrari et Pininfarina. Les deux partenaires, dont l’association remontait aux origines mêmes de la firme de Maranello, divergeaient sur une question majeure, puisqu’elle concernait l’architecture des berlinettes au cheval cabré : celles-ci devaient-elles porter leur moteur à l’avant ou en position centrale arrière ?

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Depuis l’apparition de la Lamborghini Miura, en 1966, une controverse apparemment sans fin brûlait entre Ferrari et Pininfarina. Les deux partenaires, dont l’association remontait aux origines mêmes de la firme de Maranello, divergeaient sur une question majeure, puisqu’elle concernait l’architecture des berlinettes au cheval cabré : celles-ci devaient-elles porter leur moteur à l’avant ou en position centrale arrière ? Il fallut de longues années à Sergio Pininfarina pour parvenir à convaincre le Commendatore de franchir le pas pour ses voitures de route — alors même que le passage au moteur arrière avait été acté pour la Scuderia dès 1960. Et ce n’est qu’au Salon de Turin 1971, sur le stand du carrossier, que l’on assista enfin à la naissance de la première Ferrari à moteur central de route, à savoir la BB !

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La fin d’une époque

Quand la Miura est dévoilée, le sommet de la gamme Ferrari est occupé par la 275 GTB/4, que les caractéristiques de la nouvelle Lamborghini datent irrémédiablement. Lancée dans sa version initiale en 1964, l’auto demeure en effet fidèle au schéma classique de toutes les Ferrari de route depuis la création de la marque, en 1947, avec son moteur douze-cylindres immanquablement situé à l’avant. Bien sûr, en deux décennies la puissance a sensiblement progressé, tandis que les liaisons au sol ont suivi le mouvement, avec notamment l’adoption de roues arrière indépendantes ; de son côté, la transmission faisait appel au système transaxle, la boîte de vitesses étant accolée au différentiel. Pourtant, dès Salon de Paris 1965, Pininfarina avait exposé un très séduisant prototype à moteur central sous la forme de la 206 GT Speciale, avant de récidiver en 1966 avec la 365 P à trois places et poste de conduite central, et enfin avec la P6 Berlinetta Speciale de 1968. Aucun de ces trois concept-cars n’était destiné à entrer en production ; il s’agissait à la fois de tester les réactions du public et aussi celles d’Enzo Ferrari lui-même, aux yeux de qui, à cette époque, une automobile de grand tourisme digne de ce nom ne pouvait porter son moteur ailleurs qu’à l’avant. Néanmoins, la 365 GTB/4 lancée à l’automne de 1968 et due au talent de Leonardo Fioravanti choisit de jouer les derniers des Mohicans en perpétuant, une fois encore, les traditions techniques de la firme, suscitant cette réflexion désabusée de Sergio Pininfarina : « Quand je passe de la Miura à la Daytona, j’ai l’impression de conduire au premier étage ! »

Révolution à Maranello

Au vrai, par le truchement de la sous-marque Dino opportunément créée en 1965, Ferrari avait tout de même, fût-ce indirectement, lancé deux modèles d’entrée de gamme — tout est relatif… — et à moteur central, destinés à concurrencer une certaine Porsche 911 S. Ainsi, les 206 puis 246 GT avaient-elles ouvert la voie à des développements plus ambitieux dont les amateurs pressentaient la survenue, ce que la Berlinetta Boxer, tout d’abord dévoilée sous la forme d’un prototype, se chargea de confirmer : le moteur avant vivait ses dernières heures, du moins pour ce qui concernait les modèles biplace. Lorsque la Daytona quitta la scène, en 1973, lui succéda donc la 365 GT/4 BB, dont le design comme la fiche technique déconcertèrent bon nombre d’amateurs. En premier lieu, la nouvelle disposition du moteur, désormais implanté juste derrière l’habitacle, avait dicté une silhouette substantiellement différente de sa devancière. Semblablement dessinée par Fioravanti, l’auto culminait à 1,12 mètre du sol, soit 12,5 centimètres de moins que la Daytona. Les proportions de l’ensemble, si elles divergeaient nettement du modèle sortant, s’imposèrent immédiatement comme la réponse adéquate à la nouvelle Lamborghini Countach dont la commercialisation allait débuter en 1974. Conçue telle deux demi-coques (ce que symbolisait l’usage de la peinture noire pour la partie inférieure de la carrosserie), la BB incarnait une élégance d’un tout autre typage que celle des berlinettes à moteur avant qui l’avaient précédée. Plus sauvage, plus radicale, plus évocatrice de la performance pure à laquelle elle était dédiée, elle ne marquait cependant pas un progrès significatif par rapport à la Daytona, les 380 chevaux revendiqués apparaissant quelque peu optimistes, comme souvent à Maranello en ce temps-là. Mais l’essentiel était ailleurs…

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Objectif : 300 km/h !

Les avantages du moteur central sont bien connus : de l’abaissement du barycentre et de la position même du groupe motopropulseur découle un meilleur équilibre routier, sans parler d’une aérodynamique plus favorable. À l’usage, le mode d’emploi s’avère dissimilaire : lorsque la route devient sinueuse, l’auto est certes capable de vitesses de passage élevées entre des mains expertes mais, une fois les limites atteintes, le décrochage se révèle beaucoup moins progressif qu’à bord d’une Daytona. De surcroît, prétendant atteindre les 300 km/h — ça faisait encore rêver à l’époque —, rares sont les essayeurs à avoir osé dépasser les 280 chrono à son volant. D’ailleurs, les premiers clients de la BB notèrent une tenue de cap louvoyante à très haute vitesse et il ne faut pas chercher plus loin les motifs de l’adoption d’un spoiler avant de taille respectable sur la première évolution du modèle en 1976, dorénavant baptisé BB 512. Renonçant par-là même aux dénominations historiques chez Ferrari, basées jusque-là sur la cylindrée unitaire (le moteur « 365 » correspondant à 4390 cm3), « 512 » signifiait « 5 litres, 12 cylindres » — tout comme, à l’échelon inférieur de la gamme, « 308 » désignait un huit-cylindres de 3 litres. Cubant à présent 4943 cm3 (une valeur qui devait rester inchangée jusqu’à la F512 M), le 12 cylindres à plat n’offrait pas davantage de puissance mais un couple en légère amélioration. On notait également l’apparition de prises d’air NACA sur les bas de caisse, propices à une meilleure ventilation des freins arrière, ainsi que l’élargissement de la voie postérieure, autorisant le montage de pneumatiques plus larges. Pour sa part, l’habitacle proposait des sièges redessinés et l’adoption d’un climatiseur de série. Enfin, au Salon de Francfort de 1981, le modèle reçut une injection Bosch K-Jetronic en remplacement des quatre carburateurs Weber triple corps montés depuis le lancement de la Berlinetta Boxer, avec les mêmes tristes conséquences que pour les autres Ferrari : sur la BB 512i, la puissance chuta à 340 chevaux (en guise de consolation, le très généreux couple de 46 mkg était obtenu 400 tours plus bas), ce qui distança définitivement la BB dans sa lutte avec la Countach pour le titre de la voiture la plus rapide du monde…

Initials BB

On ne saura jamais laquelle des deux autos a fait l’objet du plus grand nombre de posters punaisés au mur des chambres d’adolescents dans les années 70 et 80, mais la BB occupe indéniablement une place à part dans le cœur des tifosi de tout poil, même si l’exubérance esthétique de la Testarossa, qui lui succéda en 1984, pourrait presque la faire passer pour une puritaine et l’a reléguée au second plan dans la mémoire collective. Construite à un peu plus de 2300 exemplaires en onze ans (contre plus de 7000 Testarossa, 512 TR et F512 M), en dépit de sa rareté la Berlinetta Boxer n’est pas devenue un mythe comme la Daytona — modèle auquel Ferrari se réfère sans cesse depuis que ses berlinettes sont revenues au moteur avant — et ses caractéristiques ressemblent presque à une parenthèse dans l’histoire de son constructeur. Son identité elle-même est floue, puisque, comme on peut le lire sur le site officiel de Ferrari, le nom de « BB » fut en réalité choisi en hommage à Brigitte Bardot. L’appellation « Boxer » est en effet impropre : le flat-12 est en réalité un V12 ouvert à 180 degrés. Comme souvent en Italie, la poésie y aura gagné ce que la précision y aura perdu…

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Nicolas Fourny

Nicolas Fourny

Nicolas Fourny est rédacteur indépendant pour Car Jager, diplômé de l'ESJ Paris (École Supérieure de Journalisme). Passionné par l'automobile sous toutes ses formes, il explore le passé et le présent des plus grandes mécaniques avec une plume exigeante et documentée. Nicolas met son expérience journalistique au service d'une écriture à la fois précise, évocatrice et fiable. Chaque article est le fruit d'une recherche approfondie et d'un regard passionné, porté par une connaissance fine de l'histoire automobile. Rigueur, style et curiosité guident son travail, dans une quête permanente de justesse éditoriale, au service des lecteurs exigeants et des passionnés.

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