
Billet d'humeur sans réserve pour un marché pas si marteau...
Le marché de l’ancienne se tend mais il n’est pas aussi exécrable que ne le laissent entendre les résultats des maisons de vente. Le baromètre des maisons de vente est biaisé car leurs résultats sont surtout sanctionnés par un modèle économique vieillissant, plutôt que par la côte des autos elles-mêmes.
2025 est une année difficile pour le segment des automobiles anciennes, particulièrement celles des années 50, 60 et 70. Plusieurs raisons l’expliquent, mais il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. Parlons donc de l’eau du bain.
Toute une génération, qui les a vues rouler neuves sur le pavé lorsqu’ils étaient enfants, a vieilli, laissant place à des collectionneurs nés dans les années 80 et 90. Ces derniers rêvent et achètent à leur tour les icônes de leur jeunesse : Porsche 964, 993, Ferrari 348, 355, BMW M3 ou encore Lamborghini Diablo.
Ce phénomène, mêlé à un climat général morose — entre testostérone géopolitique en ébullition et auto-sabotage permanent de notre continent grabataire — n’aide pas à la dynamique du marché. Par ailleurs, l’indicateur principal de ce marché reste encore, et à tort, les résultats des maisons de vente aux enchères. Ces acteurs souffrent de méthodes commerciales d’un autre temps et représentent seulement 3 % des ventes. La cause de leur déchéance ? Commissions trop élevées, expertises menées par des spécialistes juges et parties, informations incomplètes, lots douteux vendus par des professionnels, agissements parfois peu catholiques en coulisses… Toutefois, ces maisons demeurent intouchables et restent la boussole d’un marché en perte de repères, tant pour des clients déçus que pour un marché ébloui par leurs petits fours, leurs bulles de crémant et leurs catalogues « papier ». Or, la réalité n’est pas si sombre que la réalité de ces résultats l’indiquent.



Tous ces manquements ont épuisé à la fois les acheteurs, souvent trompés par la conformité des voitures achetées, et les vendeurs, à qui l’on vend des miroirs aux alouettes sous couvert de “records du monde” — en réalité, des stratégies sans prix de réserve, lesquels prix se trouvent sauvagement tronçonnés à la baisse. Cette stratégie ne peut satisfaire que les vieux collectionneurs ayant acheté leur auto il y a 15 ou 20 ans, pour qui la plus-value reste intéressante. Génération bénie…
Je le sais : CarJager récupère chaque mois ces acheteurs lassés de sempiternelles désillusions. Pourtant, comme notre cher gallinacé national, ces maisons de vente chantent toujours haut, les pieds dans le marasme, et communiquent encore et toujours sur leurs “ventes à succès”, leurs “résultats records”, leurs “80 % de lots vendus” — alors que les principaux intéressés, vendeurs ou acheteurs, rétablissent dans leur courroux une toute autre vérité.
En France, l’un des acteurs majeurs voit son calendrier de ventes et ses résultats fondre comme peau de chagrin, après avoir perdu sa vente principale au profit de l’Américain en pleine ascension. Une Bérézina pour une maison qui a brillamment contribué à créer ce marché il y a quinze ans, mais qui depuis ne cesse de louper le train du XXIᵉ siècle. Celui où le client est au centre de tout, où les commissions s’adaptent à la valeur apportée, où l’on ne déplace pas 80 autos à travers la France pour n’en vendre que 50 % (pardon, 80 %, selon les syndicats…).
L’autre acteur français applique la même stratégie commerciale, mais, partant de plus bas, il bénéficie encore de son statut de challenger dans cette course de chars antiques. « Ce que l’on nomme fermeté chez un roi s’appelle entêtement chez un âne. »
Or, les acteurs américains, eux, n’ont pas le temps. Bring a Trailer et Gooding sont en passe de devenir les leaders mondiaux du marché, tandis que Broad Arrow — couteau entre les dents — lance une OPA sur le staff de ses concurrents pour créer un géant. Étrange miroir de ce qui se joue en politique : les Américains cartonnent bloquant les importations, pendant que les Européens sombrent tout en déroulant le tapis rouge aux Chinois…


Vous me demanderez : “Mais pourquoi tant d’animosité ?” Il ne s’agit pas ici de rejoindre le courant d’une hystérique socialiste mue par une colère saine mais simplement de rétablir une vérité dans un marché certes troublé : les bonnes autos anciennes, celles qu’on aime, les autos conformes proposées au juste prix, trouvent encore des acquéreurs éclairés… et ravis.
Oui, le marché est compliqué, moins dynamique, plus attentiste. CarJager peut en témoigner. Après six ans d’existence, nous sommes de loin devenus le premier acteur français sur ce marché.
Ce premier semestre 2025, nous avons un volume d’affaires de 33 M€ pour 350 autos, dont 225 voitures anciennes (et 125 GT & Supercars), à un prix moyen de 90 000 € (168 000 € pour le département Broker High-End), soit une croissance de 45 % du volume d’affaires.
Parmi ces ventes :
- Années 20 : Amilcar CGSS, Bugatti 37 (vendue en une semaine)
- Années 50 : AC Bristol, Jaguar XK120
- Années 60 : Aston DB4 Mk4 et Mk5, Aston Martin DB6, deux Ferrari Daytona, une Ferrari 275 GTB, deux Ferrari Dino GTS, une Ferrari 330 GTC, deux Porsche 356 Roadster et deux Coupés, cinq Porsche “F”
- Années 70 : Maserati Ghibli Spyder et coupé, Alpine A110 1600S
S’il est clair que le marché des Supercars et des Youngtimers fait preuve d’une résilience accrue — notamment pour les modèles à plus de 150 000 € —, collectionneurs d’anciennes, gardez le moral ! Ayez foi en votre passion : les bonnes autos se vendent, les bonnes autos s’achètent, à des prix certes corrigés à la marge.
Voyez cela comme une opportunité d’acquérir des autos dans de meilleures conditions qu’il y a cinq ans. Mais pas à la casse : même sur papier glacé, cela reste un mauvais présage.
CarJager reste ouvert au débat, aux échanges avec ses confrères commissaires-priseurs — que j’apprécie sincèrement et dont j’admire l’oeuvre réalisée — et à qui je souhaite comme le dirait un serveur d’un nappé de province « une bonne digitalisation » et une entrée dans ce siècle, certes plus morose que celui des XK, mais Ô combien stimulant.
Vladimir Grudzinski,
CEO





Texte : Vladimir Grudzinski