Alfa Romeo 1900 : les débuts d’un virus
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Alfa Romeo 1900 : les débuts d’un virus

Par Nicolas Fourny - 25/06/2021

Imaginez qu’au lendemain de la guerre, Bugatti ait survécu de façon durable pour opérer un virage radical vers une nette descente en gamme et la production de masse… Toutes proportions gardées, c’est un peu ce qui s’est passé à Milan lorsque, dans une Italie martyrisée par le second conflit mondial et en cours de reconstruction, la firme fondée en 1909 puis rachetée en 1915 par Nicola Romeo délaissa les automobiles de grand prestige assemblées à l’unité et destinées à une petite tribu de fanatiques pour inventer un concept qui allait faire florès dans les décennies qui s’ensuivirent : celui de la berline à caractère sportif ! Ainsi naquit la 1900, première de cordée d’une lignée qui, en dépit de nombreuses vicissitudes, est parvenue à survivre jusqu’à nos jours…

Lombardie, année zéro

Chacun connaît le destin à la fois singulier et tragique de l’Italie durant la dernière guerre. Entré dans le conflit aux côtés de l’Allemagne, le régime fasciste en place depuis vingt ans s’effondrera dès 1943, tandis que le pays servira dès lors de théâtre à l’affrontement entre les Alliés et la Wehrmacht, celle-ci s’efforçant d’empêcher ceux-là de pousser leur avantage toujours plus loin vers le nord. Le nord, c’est-à-dire la patrie d’Alfa, née à Milan et ataviquement identifiée à cette partie du territoire italien, traditionnellement assimilée à la prospérité industrielle, les provinces du sud étant, pour leur part, volontiers considérées comme des foyers de traîne-savates incapables d’assurer leur subsistance de façon correcte. Bien entendu, nous nous garderons bien de faire entièrement nôtre cette grille de lecture méchamment caricaturale mais il n’en demeure pas moins que les Anglais et les Américains savaient ce qu’ils faisaient en bombardant régulièrement les usines d’armement et de construction aéronautique, nombreuses dans le secteur de Milan.

Justement, les installations d’Alfa, intégrée au holding d’État IRI (Istituto per la Ricostruzione Industriale) — création mussolinienne qui perdurera néanmoins jusqu’en 2002 —, servaient alors essentiellement à produire du matériel militaire. Et, fort logiquement, lorsque les hostilités cessèrent, il ne restait à peu près rien de l’entreprise. Il aurait fallu le talent d’un Rossellini pour filmer les ruines des ateliers du Biscione en 1945 et l’imagination d’un Bassani pour envisager que la firme puisse survivre à une destruction d’une telle ampleur. C’est pourtant ce qui se produisit, d’abord en reprenant (au compte-gouttes) la fabrication de modèles d’avant-guerre ; mais les nouveaux dirigeants d’Alfa avaient forgé une ambition inédite pour la marque et, cinq ans après la fin du conflit, le projet 1900 jeta les bases d’un avenir radicalement différent, comme on va le voir…

 Le premier bialbero

C’est en octobre 1950 que la berline 1900 fut dévoilée au grand public, dans le cadre du Salon de Paris. Sous les poutrelles métalliques du Grand Palais, les visiteurs purent découvrir une quatre portes aux lignes austères qui, à certains égards, l’assimilaient à une sorte de grosse Fiat 1400. De profil, l’analogie avec la Peugeot 403 alors en gestation devait par surcroît s’avérer frappante, mais la proue, typiquement Alfa, rappelait l’indéniable pedigree de l’engin — quelques semaines plus tôt, Giuseppe Farina était très opportunément devenu le premier champion du monde de Formule 1 de l’histoire au volant d’une monoplace de la firme. Au demeurant, ce n’est pas ce design quelque peu grisâtre qui constituait le morceau de bravoure de l’auto, bien qu’il fût résolument ancré dans son époque et tournait le dos aux remugles d’avant-guerre des ultimes 6C.

En réalité, sous un patronyme ne revendiquant aucune sophistication particulière, la 1900 s’apparentait à une véritable révolution conceptuelle et industrielle. Première monocoque de la marque, elle inaugurait un moteur entièrement inédit et dont les caractéristiques avaient de quoi faire rêver la grande majorité des automobilistes de ce temps-là, bien souvent réduits, à l’instar des Français, à circuler au volant de haridelles à bout de souffle. Conçu sous la férule de l’ingénieur Orazio Satta, ce quatre-cylindres à double arbre à cames en tête, dont la cylindrée exacte de 1 884 cm3 avait donné son nom à la voiture, développait 90 chevaux à 5 200 tours/minute, ce qui autorisait une vitesse maximale d’environ 150 km/h. Il y a 70 ans, ces valeurs étaient celles d’une voiture de sport très honnêtement gréée et permettaient de dépasser sans coup férir à peu près tout ce qui roulait — rappelons, à titre d’exemple, que la Renault Frégate de 1951 ne dépassait pas les 58 chevaux… —, d’autant que les liaisons au sol se montraient à la hauteur de leur tâche, comme en témoigne l’éloquent palmarès de l’auto. 

Compétition et haute couture

La 1900 s’illustra en effet dans bon nombre d’épreuves routières durant toute la décennie 1950, qu’il s’agisse des Mille Miglia, du rallye de Monte-Carlo ou même de la terrible Panaméricaine. Posant là aussi les jalons d’une tradition respectée avec bonheur par les successeurs du modèle, Alfa réfuta tout immobilisme technique et ne cessa de faire évoluer son valeureux double arbre avec, dès 1951, la commercialisation d’une première variante TI (Turismo Internazionale) forte de 100 chevaux, les TI Super et Super Sprint atteignant les 115 chevaux dès 1954. À cette aune, on voit bien d’où sont issues et dans quel esprit furent pensées les voitures qui, par la suite, ont consolidé puis entretenu la légende. À l’arrêt de sa fabrication, en 1959, la 1900 avait été produite à moins de 20 000 exemplaires mais le contrat était largement rempli (la production annuelle d’Alfa, dans les années 1930, ne dépassait pas les quelques centaines d’unités) et le constructeur milanais était entré de plain-pied dans une nouvelle ère. La Giulietta de 1954 et ses descendantes, puis les premières 2000, doivent tout au succès de la 1900 qui, rétrospectivement, apparaît, pour Alfa Romeo, comme l’orée de tous les possibles. 

À l’intention de ceux qui estimaient que la berline de série manquait de charisme — on les comprend —, Alfa mit au point une plateforme spécifique, dédiée aux carrossiers encore nombreux à ce moment-là en Italie. Pininfarina ouvrit le bal dès 1951, avec un cabriolet d’un classicisme rassurant, construit à 88 exemplaires, mais c’est la Carrozzeria Touring qui, avec la 1900 C Sprint, signa certainement le dessin le plus réussi de cette série, rappelant le très désirable coupé 6C 2500 Villa d’Este de 1949. Environ 800 unités de cette auto, élaborée selon le procédé Superleggera, ont vu le jour ; la version Super Sprint apparue en 1953 présente toutefois un style modernisé et plus rectiligne. Bien d’autres carrossiers sont intervenus sur la 1900, y compris Zagato, avec un design sensiblement moins pur, mais qui a ses adeptes.

Ayant par ailleurs servi de base au trio des fantasmatiques études BAT (Berlinetta Aerodinamica Tecnica) réalisées par Franco Scaglione pour le compte de Bertone entre 1953 et 1955, la 1900 ne jouit pas, de nos jours, de la même notoriété que d’autres Alfa, fréquemment plébiscitées par les collectionneurs. Elle incarne cette période charnière où la firme avait encore un pied dans l’artisanat et prenait soin de ne pas négliger les amateurs d’exclusivité, tout en se tournant vers un avenir rationalisé et laissant de moins en moins de place aux carrosseries spéciales. Un autre âge d’or s’annonçait pour le Biscione, mais les 1900 les plus rares ressemblent aux derniers feux d’un passé qui refusait de mourir et, de la sorte, suscitent une réelle ferveur de la part des amoureux de la marque : lors du salon Rétromobile de 2017, un coupé Touring Super Sprint de 1956 a ainsi été vendu par Artcurial pour un peu plus de 214 000 euros. Pour leur part plus accessibles et éligibles aux compétitions historiques, les berlines, qui ne seront jamais populaires, possèdent à la fois le charme secret de la tradition et les avantages de la modernité. Leur séduction ne se révèle pas au premier venu. À vous de savoir en trouver la clé…

Texte : Nicolas Fourny

Nicolas Fourny

Nicolas Fourny

Nicolas Fourny est rédacteur indépendant pour Car Jager, diplômé de l'ESJ Paris (École Supérieure de Journalisme). Passionné par l'automobile sous toutes ses formes, il explore le passé et le présent des plus grandes mécaniques avec une plume exigeante et documentée. Nicolas met son expérience journalistique au service d'une écriture à la fois précise, évocatrice et fiable. Chaque article est le fruit d'une recherche approfondie et d'un regard passionné, porté par une connaissance fine de l'histoire automobile. Rigueur, style et curiosité guident son travail, dans une quête permanente de justesse éditoriale, au service des lecteurs exigeants et des passionnés.

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