Alfa Romeo Giulietta Sprint : bonsoir les choses de la vie
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Alfa Romeo Giulietta Sprint : bonsoir les choses de la vie

Par Nicolas Fourny - 23/06/2021

À chaque fois qu’ils ont travaillé ensemble — ou presque — Alfa Romeo et Bertone ont commis des chefs-d’œuvre et, à l’heure actuelle, le coupé Giulia apparu en 1963 et que, par commodité sémantique, tout le monde désigne par le nom du carrossier, est sans conteste l’une des créations les plus populaires de la marque. Bien plus répandu et plus accessible financièrement que son aînée, il lui doit cependant beaucoup et, en somme, il en constitue une réinterprétation plus moderne. Au beau milieu des années 50, la Giulietta Sprint posa en effet les fondamentaux d’un concept qui, malgré les vicissitudes matérielles et un inévitable embourgeoisement, a réussi à perdurer plus de trois décennies durant : celui du coupé noblement motorisé et dessiné avec virtuosité, tout cela pour une fraction du prix d’une Maserati ou d’une Porsche, sans pour autant dispenser de moindres plaisirs. Il était donc essentiel de revenir sur cette captivante petite automobile qui, mine de rien, avance gaillardement vers ses soixante ans…

Un double arbre peut en cacher un autre

Il faut le proclamer sans ambiguïté : le romantisme concerne la littérature, le cinéma et aussi l’automobile. D’ailleurs, tous trois sont étroitement liés : combien d’histoires d’amour, heureuses ou funestes, se sont forgées ou dénouées dans la pénombre d’habitacles étroits, sur des routes désertes cernées par la brume ou dans la lumière tremblante de phares alimentés en 6 volts ? On songe à Paul Morand partant pour Trieste, l’urne contenant les cendres de son épouse posée sur le siège à côté de lui, ou à Jean-Louis Trintignant rejoignant Anouk Aimée sous l’objectif de Claude Lelouch. Pourtant, au panthéon des actrices à quatre roues, le coupé Giulietta qui emporte Michel Piccoli vers son destin dans Les choses de la vie a quelque chose d’archétypal et de suprêmement émouvant.

Si vous ne connaissez pas cette histoire, en voici le synopsis : un matin de printemps, d’une grâce absolue, frêle, élégant et rapide, un coupé gris métallisé dévore le bitume d’une départementale détrempée par la pluie. Dans la poche du conducteur se trouve une lettre de rupture qu’il a négligé de détruire. C’est un homme entre deux âges qui aime rouler vite. Le crépitement du double arbre résonne entre les talus et les fossés qui jalonnent son itinéraire mais celui-ci s’apprête à prendre fin avec la brutalité des tragédies routières : dans une minute, l’Alfa va se fracasser contre un pommier avant de s’embraser. Éjecté juste avant l’impact, le héros sombre dans une inconscience relative qui lui permet tout à la fois de ne pas souffrir de ses blessures et de comprendre qu’il va en mourir. Il voudrait « brûler la lettre pour ne pas vivre seul » mais pour cela, comme pour tout le reste, il est déjà trop tard…

La vapeur des soupirs

En 1994, dans un passionnant livre d’entretiens avec Michel Boujut, Claude Sautet est revenu sur le choix de l’Alfa Romeo pour son film, réalisé en 1969 — c’est-à-dire quinze ans après la commercialisation du modèle. Le metteur en scène ne souhaitait pas une voiture trop récente et, de la sorte, son chef-d’œuvre aura contribué à décimer l’espèce car, bien évidemment, la scène de l’accident, devenue mythique, a provoqué la destruction de plusieurs exemplaires. Le film s’ouvre au petit jour, sur la Giulietta paisiblement stationnée rue de Sèvres — nous sommes rive gauche, au cœur du VIe arrondissement, c’est-à-dire sur le territoire de la bourgeoisie cultivée. Pierre, le propriétaire de l’auto, est architecte. Il fallait bien qu’il exerçât une profession aussi exigeante quant aux vertus esthétiques pour tomber sous le charme de l’Alfa (et de Romy Schneider, qui incarne Hélène). Ce personnage imaginaire aurait fort bien pu visiter le Salon de Turin de 1954 dans le cadre duquel le projet 750, élaboré depuis le début de la décennie, se concrétisa sous la forme d’un ravissant coupé dessiné par Franco Scaglione et Mario Boano pour le compte de Bertone et prénommé Giulietta.

Devançant la berline qui n’apparaîtra que l’année suivante, le très opportun clin d’œil aux héros shakespeariens — Roméo et Juliette, la poésie flamboyante, l’amour, la jeunesse éternelle, etc. — saluait l’irruption de l’intrépide firme milanaise sur un marché encore inconnu pour elle. À ce moment-là, cela ne faisait que quatre ans que la série des 1900 avait commencé à extraire Alfa de sa période artisanale et à autoriser sa mutation vers des volumes de production se chiffrant en dizaines de milliers plutôt qu’en centaines. Dans ce contexte, la Giulietta c’était le deuxième étage de la fusée : son 1290 cm3 bialbero, tout en aluminium, conçu sous la férule de Giuseppe Busso et Orazio Satta Puliga, séduisit immédiatement un clan étendu d’amateurs avertis par sa sophistication joyeuse. Ses 65 chevaux le situèrent d’emblée tout en haut de sa catégorie et, par surcroît, les ingénieurs du Biscione ne restèrent pas les bras croisés dans les années qui suivirent.

Dix ans de bonheur

Poussé jusqu’à 90 chevaux dès 1956 sur la Sprint Veloce, le petit double arbre délivrait des performances de tout premier ordre, qui n’ont pas été pour rien dans la mise au point de ce qu’on devait appeler par la suite le virus Alfa ; atteindre les 180 km/h chrono au volant d’une automobile de moins de quatre mètres de long, voilà qui n’était certes pas banal au milieu des années 1950 — pour donner un point de repère, en ce temps-là, dépasser les 120 kilomètres « dans l’heure » au volant d’une berline populaire s’apparentait à un véritable exploit. Construite à plus de 20 000 unités, la Giulietta Sprint se mua en Giulia lorsque sa cylindrée atteignit les 1600 cm3 et c’est sous cette forme que l’auto quitta la scène en 1964. Toutefois, et de façon inattendue, la Giulietta ressuscita brièvement sous la forme de la 1300 Sprint, présentée la même année à Genève et fabriquée jusqu’en 1965, alors que les nouveaux coupés Giulia étaient en production depuis déjà deux ans. De nos jours, il n’est bien sûr plus question de sacrifier un modèle aussi convoité pour le tournage d’un film : la cote LVA fixe une valeur oscillant de 60 000 à 95 000 euros selon la version — les carrosseries spéciales dues à Bertone et, plus encore, à Zagato évoluant dans un tout autre univers, moins accessible encore.

Il allait à sa vitesse

Au milieu de la nuit, Pierre prend la route de Rennes. Comme souvent chez Sautet, il pleut. La route est difficile, fatigante et, sur la bande-son, on entend très distinctement la plainte régulière des essuie-glace et les pétarades du bialbero lors des rétrogradages. L’Alfa finit par s’arrêter dans un chemin improbable, au bord de la Nationale 12. Elle est magnifiquement filmée dans la lumière parcimonieuse du matin et, à ce moment, le spectateur comprend que la Giulietta est un personnage à part entière, qui figure même dans le tout dernier cauchemar de Pierre — celui qui le tourmente dans l’ambulance qui l’emmène en vain à l’hôpital du Mans où il rendra son dernier souffle. L’alfiste cinéphile souffre en silence durant la séquence de l’accident, qui revient en fil rouge dans le récit, en avant, en arrière, au ralenti, à vitesse réelle. Les blessures infligées à Pierre ne se voient guère à l’écran, ce sont les meurtrissures du coupé qui les symbolisent : ailes défoncées, phares brisés, enjoliveurs arrachés, pare-brise en miettes, et nos cœurs se serrent en contemplant les tonneaux irréalistes mais poignants que décrit la voiture avant de s’immobiliser pour mourir. C’est par son incendie que le film débute une longue série de flashbacks et, quelques minutes plus tard, en la regardant circuler dans les rues de Paris, étincelante et tranquille, le spectateur sait déjà qu’il contemple une héroïne en sursis.

Et pourtant, celle qui n’était plus, il y a cinquante ans, qu’une bagnole démodée et difficile à vendre a fini par revenir à la vie et, cette fois, pour toujours. C’est ce qu’affirment celles que vous pouvez croiser lors des étapes du Tour Auto, à Rétromobile, au Museo Storico d’Arese ou plus simplement sur la route, entre les mains de passionnés tombés en dévotion — et on les comprend. Michel Piccoli, Romy Schneider et Claude Sautet sont morts et maintenant, pour aller de Paris à Rennes, les architectes prennent le TGV mais, sur une petite route des Yvelines, à proximité d’un croisement fatal, le fantôme souriant d’un coupé Sprint continue de chanter sa joie de vivre et de négocier les virages dans un cortège de bruits familiers et émouvants qui refusent obstinément de se taire. Cette automobile est absolument, définitivement, effrontément vivante et, à elle seule, elle peut vous (ré)apprendre à aimer la vie « comme seuls les morts savent le faire », pour paraphraser Paul Guimard. Ça valait bien un film et, plus prosaïquement, si vous en avez la chance et le goût, de sacrifier vos économies !

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