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Désormais quinquagénaire et de plus en plus recherchée par des collectionneurs qui, pour la plupart d’entre eux, se sont réveillés trop tard, la GS accumule une telle litanie de paradoxes qu’il est difficile de ne pas en dresser l’inventaire. Grand succès commercial, affichant une écrasante supériorité technique vis-à-vis de la totalité de ses rivales ainsi qu’un design tout à la fois cohérent et engagé, la première berline « moyenne » de Citroën n’a cependant pas échappé aux quolibets – parfois justifiés – relatifs tantôt à la prégnance de sa sous-motorisation, tantôt à sa finition « quincaille », tantôt à la sénescence d’une partie de sa clientèle. Victime d’une carrière sans doute trop longue, sitôt sa disparition des catalogues l’auto a sombré dans l’oubli, végétant trois décennies durant dans les arrière-cours de marchands de voitures d’occasion douteux ou pourrissant dans les verts pâturages qui jalonnent la campagne française. Moyennant quoi, en cet automne 2023 le nombre d’exemplaires réellement roulants doit avoisiner celui des Ferrari F40 en bel état… Voici pourquoi, si ce n’est pas encore le cas, il est grand temps de vous y intéresser !
Qu’est-ce qu’une vraie Citroën ?
Longtemps, aux yeux de beaucoup de gens – pour la plupart davantage sensibles à la superficialité des tendances qu’à la densité des choses –, la GS s’est apparentée à une forme de totem de la ringardise automobile. Voiture de vieux construite de bric et de broc et recelant mille et une étrangetés propices à faire fuir le quidam, avec en plus cette suspension réprouvée par les estomacs les plus sensibles : c’est à ce sinistre portrait que, de longues années durant, se résuma l’identité du modèle, envoyé par charretées entières au broyeur, à l’instar de ses contemporaines. « Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme perverse, c’est d’avoir une âme habituée », écrivait Charles Péguy. Ainsi, par convention, par souci de la norme, si répandus dans certains milieux, bon nombre d’individus aux opinions interchangeables ont injustement vilipendé une voiture dont l’intérêt technique n’était pourtant pas mince, notamment quand on compare ses caractéristiques à celles de ses rivales directes. Objectivement, les Renault 12, Peugeot 304, Fiat 128, Ford Escort ou Opel Kadett n’avaient pas grand-chose à opposer à la GS, sauf en matière de finition pour les deux dernières nommées ; mais la voiture de l’ex-quai de Javel, bien plus clivante que ses concurrentes, aura connu le destin des authentiques Citroën, voitures adorées ou détestées car élaborées dans le mépris de la bienséance esthétique et des technologies rabâchées par le bureau d’études le plus innovant de l’après-guerre.
L’énigme Pierre Bercot
Les automobiles conçues en partant d’une feuille strictement blanche ne sont pas légion. Surtout quand le temps presse : développée dans l’urgence, la GS n’aura demandé que 34 mois pour voir le jour – un véritable exploit à une époque où il faut cinq à sept ans en moyenne pour mettre au point un nouveau modèle. Il faut dire que Citroën n’a pas vraiment le choix : les limites de la stratégie imposée par Pierre Bercot, P.-D.G. aussi brillant que sectaire, ont éclaté au grand jour dès 1965, quand Peugeot avait montré la voie avec sa 204 en investissant le segment encore balbutiant des berlines compactes. Or, à ce moment-là, le catalogue Citroën est, depuis dix ans, structuré autour de la famille des bicylindres en bas de gamme et la série « D » en haut de gamme. Entre les deux, rien ou presque – ce n’est certes pas l’Ami 6, qui n’est somme toute qu’une 2 CV améliorée, qui va pouvoir combler le vide. Après s’être longuement obstiné à refuser d’infléchir sa politique, Bercot finit par valider l’étude du projet « F », tardif mais extrêmement ambitieux, qui débute en 1963. Malheureusement, comme le raconte Christophe Bonnaud dans son ouvrage de référence 60 ans de style et de prototypes Citroën (éditions Roger Régis), le « F » est brutalement abandonné au printemps 1967 alors que son industrialisation a déjà commencé. Cette décision, très coûteuse pour l’entreprise, contraint donc le bureau d’études de la rue du Théâtre à repartir de zéro – et à faire vite, car le segment de marché dans lequel la nouvelle voiture doit s’intégrer revêt désormais une importance cruciale pour tous les constructeurs généralistes européens !
L'influence de l'école italienne
Quasiment inexistante dix ans auparavant, la catégorie des compactes commence alors à foisonner, en France comme en Allemagne ou en Italie. Bien entendu, il n’est pas question pour Citroën de faire irruption sur le marché en se contentant de reprendre les solutions convenues adoptées par la concurrence même si, chez les constructeurs français, Renault – avec les R4 et R16 – puis Peugeot et Simca ont commencé à se convertir à la traction avant, tandis que, de l’autre côté des Alpes, Fiat a prudemment délégué à sa filiale Autobianchi le soin de défricher le terrain avec les Primula et A111. La future gamme « G » – tel est, fort logiquement, l’intitulé du projet successeur du « F » – devra donc s’inscrire dans la tradition novatrice et originale de la maison, tout en consentant aux compromis imposés par une catégorie qui s’annonce déjà relativement consensuelle sur le plan du design. Les élucubrations stylistiques de la berline Ami 6 ne sont plus de saison et, compte tenu de l’ampleur des investissements que nécessite le nouveau projet, l’échec est absolument inenvisageable, ce qui limite la prise de risque. Sous la férule de Robert Opron, qui a pris la succession de Flaminio Bertoni après le décès de celui-ci en 1964, Citroën rend donc une copie à la fois personnelle et dépourvue d’aspérités, susceptible de plaire au plus grand nombre. Pour la première fois, les stylistes sont allés chercher l’inspiration à l’extérieur – en l’occurrence chez Pininfarina, dont le prototype BMC 1800 Aerodinamica, dû à Paolo Martin et présenté à Turin en 1967, n’a pas fini de faire des émules…
Une moyenne au-dessus de la moyenne
Officiellement dévoilée en septembre 1970, la GS se présente sous la forme d’une berline bicorps fastback aux vitrages généreux et dont le second volume s’achève abruptement sur un pan coupé. Contre toute attente et conformément aux directives de Bercot, résolument hostile à la formule du hayon arrière pour les berlines, l’auto doit se contenter d’un coffre à ouverture classique, très logeable mais dont la profondeur rend l’utilisation peu commode. Il faudra attendre 1979 et la GSA pour que le modèle reçoive enfin ce fameux hayon, pourtant proposé dès 1965 par la Renault 16 puis, deux ans après, par la Simca 1100… À l’avant, la nouvelle Citroën se singularise par des optiques aux formes inédites, que l’actuelle C4 s’efforce d’imiter (je vous laisse juger du résultat…). Son capot aux formes douces abrite un moteur entièrement nouveau, aboutissement de longues années de recherche dans le domaine des mécaniques refroidies par air ; on se souvient que la DS devait initialement recevoir un flat-six de cet acabit, finalement abandonné en raison de difficultés de mise au point. La GS, quant à elle, reçoit un quatre-cylindres à plat monté en porte-à-faux de l’essieu avant. D’une cylindrée de seulement 1015 cm3, ce groupe dont la sophistication tranche sur l’archaïsme de certains moteurs concurrents va toutefois, jusqu’au terme de sa longue existence, souffrir d’une capacité thoracique insuffisante, n’étant pas conçu pour dépasser les 1,3 litre de cylindrée. En conséquence, dès les premiers essais publiés dans la presse spécialisée, la puissance limitée de la voiture (seulement 55,5 ch au départ) et le manque de souplesse de sa mécanique apparaissent comme les principaux défauts de l’engin.
Trouvez mieux !
S’y ajoutent les sempiternelles lacunes de mise au point à laquelle la clientèle Citroën traditionnelle est habituée mais qui constituent un handicap certain dans le cas d’une voiture de conquête comme la GS. Les premiers flat-four se montrent ainsi peu fiables et il faudra attendre la sortie de la variante 1220, en août 1972, pour que le modèle arrive à maturité et puisse exploiter au mieux les ressources d’un châssis véritablement épatant pour l’époque. Adoptée pour la première fois à ce niveau de gamme, la suspension hydropneumatique chère à la firme accomplit des miracles en définissant un compromis jusqu’alors inconnu, à ce niveau de prix, entre le confort postural et les qualités routières. Qu’elles soient à propulsion ou à traction, aucune des concurrentes de la GS ne peut rivaliser avec elle – en particulier dès que le revêtement et/ou les conditions climatiques se dégradent. La clientèle visée ne s’y trompera pas, comme en témoignent les 1,9 million de voitures assemblées en neuf ans de production. Disponible en berline, mais aussi en break et en fourgonnette (dont la version vitrée est très recherchée de nos jours), l’auto a su se ménager une place enviable sur un marché très concurrentiel, tout en demeurant un peu « à part ». Pour autant, signe des temps et des années de crise, les multiples excentricités de l’habitacle (tachymètre « pèse-personne » et compte-tours en quart de cercle, poignée de frein à main implantée en hauteur, commandes d’ouverture des portières de forme circulaire) ont pour la plupart disparu au fil des ans afin de se conformer aux goûts d’une clientèle de moins en moins perméable aux « citroënismes » vénérés par les fanatiques de la marque. Aujourd’hui, comme vous vous en doutez, ce sont les toutes premières versions, les plus pures, qui sont les plus désirables mais toutes les GS vous feront goûter à des sensations de conduite uniques. Chacune d’elles constitue un précieux témoignage de ce que fut le bureau d’études Citroën en son âge d’or et, pour quelque temps encore, ce morceau de patrimoine s’avère très accessible. Ne tardez pas trop, cependant…
Texte : Nicolas Fourny
Merci beaucoup de nous lire !
Nous partageons entièrement votre analyse…