

Les grandes Lamborghini ont toujours vécu plus longtemps que la moyenne, et l’Aventador n’a pas fait exception à la règle, étant restée une dizaine d’années au faîte d’une gamme qui, autour d’elle, s’est peu à peu densifiée. Perpétuant la longue tradition des grandes berlinettes à moteur V12, l’auto ne s’est toutefois pas contentée de marcher dans les pas de ses devancières. Incarnation même de la supercar, l’Aventador est parvenue à devenir plus utilisable sans pour autant renoncer à l’exotisme de son typage – et ce n’est pas un mince exploit quand on se souvient des contraintes d’usage de ses devancières. Même si ce n’est toujours pas l’engin idéal pour aller chercher le pain le dimanche matin, il est indéniable qu’avec elle, les Lamborghini sommitales sont devenues un peu moins sulfureuses, un peu moins intimidantes, un peu plus accessibles à certains égards. L’âme de l’Aventador en a-t-elle été désacralisée pour autant ?



La beauté du geste
Entendons-nous bien : en succédant à la Murciélago, l’Aventador ne s’est évidemment pas muée en familiale – si vous avez absolument besoin de places arrière et d’un coffre, voyez plutôt du côté de l’Urus, à défaut de la splendide berline Estoque, hélas jamais entrée en production… Rendons justice à la firme de Sant’Agata Bolognese : depuis la Miura de 1966, et en dépit d’une situation financière parfois délicate, le catalogue Lamborghini a toujours comporté une berlinette d’exception à moteur V12. Qu’il s’agisse de la Countach ou de la Diablo, les préceptes originels furent toujours scrupuleusement respectés, et cela allait bien au-delà d’une simple question d’architecture. Les grandes Lamborghini ne se contentaient pas de rivaliser avec les Ferrari de la même éminence ; elles poussaient à leur paroxysme la démesure et la radicalité, sanctifiaient la performance et la puissance pure, élevaient l’automobile au rang d’œuvre d’art et d’usine à fantasmes. Or, demande-t-on à une œuvre d’art d’être pratique ? Il suffit de relire les comptes-rendus d’essais parus dans la presse spécialisée dans les années 70, 80 et 90 : il est sempiternellement question de vélocité et de symphonie mécanique, de sensations extrêmes, d’exotisme éperdu – sans oublier le regard émerveillé des amateurs, petits ou grands, au passage de l’objet. Les considérations les plus triviales – capacité d’emport, facilité de conduite, confort postural, espaces de rangement, etc. – ne concernaient visiblement pas les conducteurs de Lamborghini, lesquels ne parcouraient d’ailleurs, dans le meilleur des cas, que quelques milliers de kilomètres par an !
L’exception, ça se mérite
Dans ces conditions, les restrictions d’usage liées à la conduite d’un véhicule résolument surbaissé – songez par exemple aux rampes de parking, ou bien aux sympathiques ralentisseurs dont bon nombre de municipalités jalonnent leur voirie –, sans parler de la visibilité symbolique ou de l’intolérance de la mécanique vis-à-vis de certaines conditions de roulage (il n’est guère recommandé de s’engager au volant d’une Countach sur le périphérique parisien à six heures du soir), ne sont jamais parvenues à ternir le rêve éveillé que quelques-uns d’entre nous ont eu la chance de concrétiser. Oh oui, bien sûr, des sujets tels que la direction camionnesque, le bruit envahissant – certes envoûtant au début, mais qui finit toujours par lasser au bout de cinquante kilomètres –, la chaleur éprouvante ou la dureté générale des commandes ne peuplent que rarement les conversations, sauf si vous tombez sur un collectionneur suffisamment lucide pour reconnaître que son auto, aussi mythique soit-elle, n’est pas tout à fait exempte de défauts. Quant aux pépins électriques, au manque d’endurance de certains consommables ou au montant des factures d’entretien et de réparation, c’étaient là de simples scories, des contrariétés négligeables qui passaient pour consubstantielles à la possession d’une automobile de ce calibre. D’autant qu’une certaine officine sise à Maranello ne faisait guère mieux en l’espèce – du moins jusqu’à ce qu’en 1996, Ferrari renonce au moteur central et, de façon inattendue, opère un retour au moteur avant pour les plus nobles de ses machines, supercars exceptées.
Moteur avant ou arrière ?
La 550 Maranello rendait de la sorte un flagrant hommage à la Daytona, tout en relançant le débat qui, avait fait rage trois décennies plus tôt : à partir d’un certain niveau de performances, pouvait-on en rester au moteur avant ? Ayant combattu vingt ans durant les Countach puis Diablo avec les BB et Testarossa, Ferrari semblait s’être rangé à l’opinion dominante – et les partisans du moteur central avaient pu croire la bataille gagnée pour de bon en voyant apparaître les De Tomaso Pantera, Maserati Bora ou McLaren F1. Le revirement de Ferrari rendit d’autant plus passionnante la confrontation avec la Murciélago présentée en 2001, et qui restait loyale aux substrats de ses aînées, même si la transmission intégrale, désormais imposée, apportait un avantage bienvenu en termes de sécurité active. Pourtant, la Lamborghini ne dominait pas la Ferrari 599 lancée cinq ans plus tard, tout aussi rapide et qui ne cédait rien à sa concurrente au chapitre des qualités routières, tout en se rendant plus aisée à appréhender. Bien plus fiable que la Diablo, la Murciélago – premier modèle développé sous la férule d’Audi, propriétaire de la marque depuis 1998 – demeurait cependant une authentique Lamborghini, sans doute un peu plus docile que sa devancière mais toujours exigeante et nécessitant un solide bagage pour les pilotes qui s’aventuraient à en tester les limites…

La guerre des V12
Présentée lors du Salon de Genève 2011, l’Aventador semblait, de prime abord, s’inscrire sans heurts dans une certaine continuité. À commencer par cette silhouette reconnaissable entre mille : une Lamborghini n’est ni une McLaren, ni une Pagani : au fil des décennies, le concept s’est bien sûr modernisé mais, depuis la Countach, l’équilibre général des proportions n’a guère varié, dicté par l’implantation séculaire du V12 longitudinale posteriore, autorisant une carrosserie extrêmement basse (14 centimètres de moins qu’une Ferrari F12 !) et les portières à ouverture en élytre qui, plus de cinquante ans après leur première apparition, fascinent toujours autant les badauds. Ce V12 justement, parlons-en : près de cinquante ans après l’apparition de la 350 GT, Lamborghini renouvelait le plus légendaire de ses moteurs, conçu par Giotto Bizzarrini au début des années 60. Ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à la naissance d’un 12-cylindres inédit, et celui-ci n’a pas déçu ; il a permis à l’Aventador de se livrer à une course à la puissance échevelée avec les Ferrari F12 puis 812. En partant de ses 700 ch d’origine, l’auto a régulièrement progressé pour aboutir, en 2021, à la LP 780-4 Ultimae, forte de 780 ch et capable de dépasser les 350 km/h !
Avant, t’adores… et après aussi
Les Lamborghini d’occasion, ça n’existe pas – en particulier lorsqu’elles sont animées par l’un des deux V12 conçus par la firme en soixante ans d’existence. Trop rares et trop désirables pour connaître la lente déchéance des décotes abyssales et des propriétaires de plus en plus impécunieux, ces autos deviennent des objets de collection à la minute même où elles sortent d’usine. Ce qui nous ramène à notre propos liminaire : une Aventador peut-elle être utilisée comme on le ferait d’une Porsche 911 contemporaine ? L’auteur de ces lignes peut en témoigner, l’auto est bien plus facile à prendre en mains qu’elle en a l’air. L’évolution à basse vitesse ne pose aucun problème particulier et le V12 supporte fort bien les bouchons sans affoler les manomètres. Gare cependant aux ralentisseurs évoqués plus haut : le système de levage de l’essieu avant est alors un allié indispensable… Il n’empêche que l’engin est encombrant, difficile à garer et il nécessite un minimum de vigilance en matière de sécurité, même s’il suscite en général un certain respect, voire même des attroupements admiratifs. D’une fiabilité exemplaire pour une telle automobile, l’Aventador peut donc devenir, moyennant quelques précautions, votre compagne du quotidien. La cote LVA mentionne un prix plancher de 280 000 € pour les premières LP 700-4. Vous laisserez-vous tenter ?






Texte : Nicolas Fourny