Partager cet article
Alpine A610 Turbo : en avoir ou pas
Nicolas Fourny - 23 août 2023« Le V6 affichait désormais la confortable cylindrée de 2975 cm3 et était parvenu à maturité ; la nouvelle Alpine demeurait fidèle à la suralimentation par turbocompresseur, permettant à l’ensemble d’afficher 250 ch et 350 Nm »
Au printemps de 1995, dans l’indifférence générale, Renault décida de mettre fin à la fabrication de l’A610, après une carrière dont la brièveté ratifiait à elle seule le manque de conviction qui accompagna la malheureuse auto dès ses débuts. L’A610, c’est avant tout l’histoire d’un écartèlement aussi douloureux que permanent entre l’enthousiasme et le renoncement, l’ambition et la pusillanimité, la résolution et l’inconstance. Quand on examine attentivement la fiche technique de l’auto, quand on prend connaissance du travail considérable accompli par ses concepteurs, quand enfin on en prend le volant, on ne peut qu’être saisi par le gouffre qui, à l’évidence, séparait la compétence de ceux qui l’ont développée et le réalisme froid des décideurs qui l’avaient probablement condamnée avant même sa commercialisation. À la vérité, la dernière Alpine du XXe siècle n’aura été que tolérée au sein d’une gamme qui, à l’inverse, bénéficia à l’époque d’un dynamisme sans faille. Bien sûr, sans doute était-il plus simple d’écouler des R19 ou des Clio mais il n’en demeure pas moins que, comme pour beaucoup d’autres tentatives françaises, l’A610 laisse avant tout un goût d’inachevé…
France, mon désert
C’est un peu toujours la même partition que Renault et PSA nous ont trop souvent jouée à partir du début des années 1970, dès lors qu’il s’agissait de s’aventurer dans les segments de marché du haut de gamme ou du grand tourisme, aussi exigeants et difficiles à conquérir que rémunérateurs. Aux annonces tonitruantes et aux slogans volontaristes des débuts succédaient inévitablement la désillusion, le découragement, puis l’abandon plus ou moins explicite des ambitions affichées au départ. Qu’il s’agisse de la Peugeot 604, de la Talbot Tagora, de la Renault Vel Satis ou du funeste duo XM/605, on a assisté avec une consternation sans cesse renouvelée à une série d’échecs cuisants et souvent injustes (à l’exception notable de la R25), incarnés par des voitures inabouties et/ou mal vendues, qui n’ont pas épargné le dernier des Mohicans — nous voulons bien entendu parler d’Alpine, dont la GTA symbolise jusqu’à la caricature les travers de l’industrie automobile hexagonale dès qu’elle s’efforce de s’élever plus haut qu’elle-même. C’est la raison pour laquelle son successeur suscitait une telle attente chez les passionnés de la marque qui, le cœur serré, avaient assisté à son lent dépérissement depuis quinze ans, d’abord avec une A310 maintenue à bout de bras jusqu’à l’obsolescence et, faute de budget suffisant, privée des évolutions dont sa rivale théorique — la Porsche 911 — bénéficia sans vergogne, puis avec une GTA conçue à l’économie et en panne d’identité.
Faute de grives, etc.
Très délicate à maîtriser à grande vitesse, la GTA cumulait à peu près tous les défauts engendrés par une architecture périmée : sous-vireuse en entrée de virage, elle s’adonnait ensuite à un survirage brutal qui, pour être rattrapé, nécessitait le talent d’un Jean Ragnotti ou d’un Guy Fréquelin — talent que, bien entendu, tous les possesseurs de l’engin ne possédaient pas, loin s’en fallait. Or, et contrairement à ce que l’on avait pu observer chez Porsche, la persistance d’une implantation mécanique héritée de l’A310, qui elle-même était demeurée fidèle à celle de la Berlinette, ne découlait pas des exigences irrationnelles d’une clientèle fanatisée mais, bien plus prosaïquement, correspondait à des restrictions budgétaires interdisant de repartir d’une feuille blanche afin de concevoir, par exemple, un coupé à moteur central… Comme chacun sait, il aura fallu attendre 2017 pour que Renault se décide à accoucher d’une Alpine véritablement moderne mais, vingt-cinq ans auparavant, les priorités de l’ex-Régie la conduisirent à n’accorder, une fois encore, que des ressources limitées au Berex (Bureau d’Études et de Recherches Exploratoires), structure implantée sur le site Alpine de Dieppe et qui s’était déjà chargée du développement de la GTA. Dans ces conditions, il ne fallait pas s’attendre à voir apparaître une voiture entièrement nouvelle ; on peut toutefois saluer la qualité du travail accompli, avec des moyens aussi restreints…
La GTA… telle qu’elle aurait dû naître
C’est au Salon de Genève 1991 que l’A610 Turbo fut présentée au public pour la première fois, avec un véritable effort de la part de Renault qui, après s’être ingénié à planquer, des années durant, les GTA en fond de stand à Paris et ailleurs, avait décidé de mettre en valeur la nouvelle Alpine, sur laquelle nul losange n’était d’ailleurs plus visible, à l’instar des dernières V6 Turbo — l’époque sinistre des « Renault Alpine » semblait donc révolue. Malheureusement, pour les profanes le nouveau modèle s’apparentait à un simple restylage de son prédécesseur ; l’architecture générale (châssis-poutre et moteur en porte-à-faux à l’arrière), les vitrages et la toiture de la GTA ayant dû être intégralement conservés, la nouvelle Alpine présentait une silhouette très proche de sa devancière, en dépit de l’apparition de phares escamotables ; moyennant quoi il fallait se montrer curieux et savoir dépasser les apparences pour faire réellement connaissance avec l’A610 et comprendre que les modifications s’avéraient bien plus significatives que ce que l’on pouvait supposer. En premier lieu, la structure avait profondément évolué — tirant parti des études réalisées pour la GTA nord-américaine et mort-née —, notamment pour ce qui concernait la partie avant de l’auto, tandis que la répartition des masses devenait plus favorable, le rapport passant de 38/62 pour la GTA à 43/57 pour l’A610. S’y ajoutaient des voies élargies de 11 mm à l’avant et 8 mm à l’arrière, un ABS Bosch à cinq capteurs et la direction assistée qui faisait tant défaut à la GTA.
Le dernier bras d’honneur du PRV
De leur côté, les motoristes n’étaient pas non plus restés les bras croisés. Il faut dire qu’ils partaient de loin : en fin de carrière, feue la V6 Turbo avait subi un feu nourri de critiques portant sur l’incompréhensible diminution de la puissance du PRV 2,5 litres, réduite à 185 ch après la greffe du catalyseur, au moment même où la R25 V6 Turbo, animée par un bloc à peu près identique, en affichait vingt de plus dans son ultime évolution. Aux yeux de la presse spécialisée, Renault avait alors fait preuve d’une coupable désinvolture et apportait ainsi la preuve de son désintérêt pour sa filiale sportive, contrainte de bricoler avec le peu de moyens que Billancourt daignait lui allouer. L’A610 n’avait donc pas le droit de décevoir sur ce point et force fut de constater que le contrat était largement rempli, démontrant au passage que les philistins qui se sont acharnés vingt ans durant sur le V6 PRV étaient à côté de la plaque. Car les caractéristiques du nouveau groupe équivalaient aux meilleures références du moment. Bénéficiant du réalésage apparu sur l’Eagle Premier puis, en Europe, sur les Citroën XM et Peugeot 605, le V6 franco-suédois affichait désormais la confortable cylindrée de 2975 cm3 et était parvenu à maturité ; la nouvelle Alpine demeurait fidèle à la suralimentation par turbocompresseur Garrett, soufflant à 0,76 bar et permettant à l’ensemble d’afficher 250 ch à 5750 tours/minute, le couple maximal passant pour sa part de 290 à 350 Nm, 95 % de cette valeur étant, selon Renault, disponibles entre 2000 et 5200 tours. Ce sont là des chiffres qui, en toute simplicité, hissaient l’A610 au niveau d’une Porsche 911 Carrera 2 (250 ch, 310 Nm) et dans les parages d’une Honda NSX (274 ch, 284 Nm), voire d’une Ferrari 348 tb (300 ch, 317 Nm) ; d’autant que les chronos étaient à l’avenant avec, selon les mesures du Moniteur Automobile, 262 km/h en pointe et le kilomètre départ arrêté en 25,1 s !
Pour amateurs éclairés
Quant au comportement de l’auto, relisons l’essai paru dans la revue belge en 1991 : « Le grand coupé rentre au doigt et à l’œil dans n’importe quelle courbe, ouverte ou serrée. Pas de sous-virage intempestif, pas de survirage inutile : l’A610 ne franchit ses limites qu’à un rythme endiablé (…) Grâce à un spoiler bien étudié, la portance aérodynamique est négative à l’avant, permettant un léger appui aérodynamique et une très bonne tenue de cap. » Sans atteindre le remarquable équilibre d’une Venturi 260, l’Alpine était parvenue à maturité ; « enfin », soupirèrent les uns ; « trop tard », persiflèrent les autres. Performante, efficace en toutes circonstances — attention cependant sur le mouillé… — et sans véritable défaut objectif hormis son absence totale de coffre (les bagages devant voyager sur les sièges arrière une fois rabattus), l’A610 a pourtant connu les affres d’un échec commercial cinglant, qui abrégea sa carrière et provoqua la mise en sommeil de la marque durant deux décennies. Avec 818 exemplaires assemblés en quatre ans (dont plus de la moitié furent construits au cours de la première année), le bilan financier et industriel de l’opération n’était, il est vrai, guère défendable mais il convient de noter que les évolutions sur lesquelles travaillait le Berex (en particulier une version 280 ch) n’atteignirent jamais le stade de la série, laissant le modèle à peu près inchangé techniquement jusqu’à sa disparition, ce qui ne constituait pas la meilleure façon de soutenir l’auto face à une concurrence particulièrement relevée. Il faut le proclamer sans ambages : Renault a purement et simplement abandonné l’A610 à son triste sort, témoignant de ce manque de persévérance typique des constructeurs français. Pour autant, près de trente ans après l’arrêt de sa production, il reste néanmoins un très joli lot de consolation pour les amateurs éclairés, que la faiblesse de l’image ou les légèretés de la finition n’obnubileront pas : pour un engin dont la cote, selon La Vie de l’Auto, ne dépasse pas les 40 000 euros, le rapport prix/plaisir/performances est sans doute absolument imbattable à l’heure actuelle ! Laissez ricaner les snobs et sachez en profiter…
Texte : Nicolas Fourny
Bonjour,
En tant que propriétaire d’une A610 turbo, rouge justement je trouve votre article particulièrement éclairé !
Pour le comportement routier je partage votre point de vue… j’ajouterai qu’une DA + directe l’améliorerait !