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Citroën D Spécial : entre dépouillement et sophistication
Nicolas Fourny - 12 janv. 2024« La D Spécial demeurait tout à fait pertinente à l’aube de la décennie 70, ce qui n’était pas un mince exploit pour une voiture qui, à ses débuts, avait voisiné avec les Peugeot 403, Renault Frégate ou Simca Versailles »
Succédant à l’ID 19 à partir de l’année-modèle 1970, la D Spécial aura vaillamment incarné l’entrée de gamme DS durant ses dernières années de commercialisation. À l’évidence très éloignée du raffinement des Pallas et modestement motorisée, cette variante ciblée de façon opportune a cependant permis à Citroën de proposer, plusieurs millésimes durant, un modèle accessible – et même étonnamment compétitif du point de vue tarifaire –, susceptible de rivaliser avec des concurrentes bien plus récentes, souvent plus véloces ou plus sobres mais toujours incapables, dans la plupart des circonstances, d’égaler les qualités routières et le confort qu’autorisait la suspension hydropneumatique maison ! De nos jours, cette ID déguisée en DS séduit bon nombre de collectionneurs en raison de sa simplicité mécanique et aussi d’une certaine forme de pureté et de dépouillement esthétique qui, à certains égards, la rapproche de l’esprit de la DS originelle…
Un opportunisme salvateur
Indéniablement, la DS doit beaucoup à l’ID. En d’autres termes, le succès commercial de la plus mythique des Citroën n’aurait pas été le même sans le concours décisif de ce dérivé simplifié techniquement, moins coûteux, moins performant, capable à la fois de rassurer une clientèle parfois effrayée par la radicalité novatrice de l’auto – et pas forcément en mesure d’en financer l’acquisition, la toute première DS 19 s’étant révélée, lors de son apparition à l’automne de 1955, 25 % plus onéreuse que la vénérable Traction à quatre cylindres… Les statistiques sont implacables : au sein de que l’on appelle officiellement la « gamme D », c’est bien l’ID, dans ses multiples versions, qui aura pesé le plus lourd ; sur les 1 330 755 voitures produites au total de 1955 à 1976, cette « DS du pauvre » compte pour plus de 700 000 unités, sans compter les breaks ! En corollaire, il ne faut pas négliger le fait que, par surcroît, au fil des ans les différences entre les deux modèles se sont progressivement atténuées, l’ID bénéficiant à plusieurs reprises, de façon plus ou moins simultanée, d’un accroissement de ses ressources mécaniques et d’un enrichissement de son équipement de série. Bien sûr, les « vraies » DS se sont toujours réservé le privilège des finitions les plus abouties – Pallas et, plus encore, Prestige – comme des motorisations les plus ambitieuses et ce n’est pas la brève expérience de la très confidentielle ID 19 « Voiture de Maître », diffusée au compte-gouttes de 1959 à 1961, qui aura inversé la tendance.
Une certaine ID de l’austérité
C’est à la rentrée 1969 que l’appellation « ID » disparaît des catalogues Citroën, qui choisit alors de restructurer très significativement la gamme « D ». Il faut dire qu’il y a le feu à la maison : apparue un an auparavant, la Peugeot 504 taille des croupières au duo ID/DS, tandis que la Renault 16, enfin correctement motorisée depuis l’apparition de la TS, est également devenue une rivale dangereuse pour les voitures de l’ex-quai de Javel. L’ID 20 se mue alors en D Super et l’ID 19, on l’a vu, devient la D Spécial qui nous intéresse aujourd’hui. Il est intéressant de noter que le qualificatif « Spécial » est employé de façon contre-intuitive par Citroën, qui le retient pour désigner la variante la plus humble de la nouvelle gamme. Car, comme on va le voir, en dépit d’une identité qui l’assimile désormais sans ambages à la DS, le modèle s’avère en tous points conforme à la philosophie générale des ID, ce que ses possesseurs remarquent dès l’abord – le positionnement tarifaire agressif de l’auto, vendue 14 180 francs pour l’année-modèle 1970 versus 13 860 francs pour une 504 à carburateur, se traduit par une austérité qui a pu en décourager certains mais qui, à tout prendre, n’est pas dénuée de charme. Cela commence par les enjoliveurs de roues, bien plus petits que ceux des D Super, DS 20 et 21 ; pour sa part, le pavillon est réalisé en polyester brut mais ne va pas jusqu’à oser la translucidité des premières ID… Les panneaux de custode sont spécifiques et l’amateur attentif notera l’absence de feux de recul et les trompettes de clignotants arrière en plastique noir ; et les projecteurs orientables, qui avaient fait couler tant d’encre en 1967, sont aux abonnés absents, de même que la lunette arrière chauffante.
Une DS toute nue (ou presque)
Le festival se poursuit à l’intérieur de l’engin, revêtu d’un similicuir noir désigné « Targa » dans la nomenclature Citroën – peut-être pour attirer les porschistes… Dépourvue de direction assistée en série, et donc des phares directionnels – mais rarissimes sont les voitures dont les premiers propriétaires ne cochèrent pas l’option sur leur bon de commande –, la D Spécial conservera théoriquement jusqu’au bout le volant traditionnel de la série, n’ayant pas droit au modèle moussé apparu pour 1972. Présentée au même moment que le mobilier de bord inauguré à l’automne 1969, l’auto n’aura donc connu que le tableau à trois cadrans circulaires, diversement apprécié et qui équipera l’ensemble de la gamme « D » jusqu’à sa disparition. En dépit de son positionnement « économique », elle conserve le compte-tours mais se voit privée de la petite montre rectangulaire proposée sur les autres versions – il n’y pas de petites économies, n’est-ce pas… Au demeurant, et comme souvent avec ce genre de modèle, le catalogue des équipements de confort ou d’agrément se trouve réduit à la portion congrue : les moquettes sont moins épaisses, l’insonorisation est appauvrie et même l’accoudoir central arrière a été supprimé ! On l’aura compris, l’atmosphère générale n’a pas grand-chose à voir avec celle d’une Pallas mais l’ascétisme de la « Spécial » a toutefois le mérite de permettre au conducteur et à ses passagers de se concentrer sur la substantifique moelle de la DS…
Un animal souvent dénaturé
Car, à la vérité, l’essentiel est bien là : comme sur les autres DS, la centrale hydraulique à haute pression gère le freinage, la suspension, voire la direction lorsqu’elle est assistée. Conséquemment, les qualités routières de la voiture sont intactes, avec ce toucher de route tout à fait singulier et qui captive aujourd’hui encore, ainsi que ce confort postural hors normes – et diversement apprécié par les estomacs de certains passagers… De ce point de vue, près de quinze ans après son apparition, la DS n’avait pas vieilli et, en bonne Citroën, surclassait sans peine l’entièreté de la concurrence dès lors que les conditions climatiques se dégradaient (tous ceux qui ont essayé de maîtriser une 504 sur la neige auront compris l’allusion). Et, malgré une puissance réduite (91 puis 99 ch à partir de 1973), les chronos n’étaient pas ridicules pour l’époque, en tous cas conformes à ce que proposait la concurrence à ce niveau de prix. Gréée de la sorte, la D Spécial demeurait donc tout à fait pertinente à l’aube de la décennie 70, ce qui n’était pas un mince exploit pour une voiture qui, à ses débuts, avait voisiné avec les Peugeot 403, Renault Frégate ou Simca Versailles… À l’heure actuelle, et comme il arrive souvent avec les variantes « populaires », les D Spécial conservées ou restaurées dans le respect de l’origine ne courent pas les rues, beaucoup d’entre elles ayant été dénaturées, accessoirisées à outrance et/ou subi la greffe d’équipements issus des Pallas. Ce qui ne fait que rehausser la cote du modèle, même si elle reste bien inférieure à celle d’une 23 à injection… Vous savez quoi ? En définitive, l’idéal c’est peut-être bien de posséder les deux !
Texte : Nicolas Fourny