Renault Frégate : l’âge de Pierre
CLASSICS
BERLINE
FRANÇAISE
RENAULT

Renault Frégate : l’âge de Pierre

Par Nicolas Fourny - 24/08/2020

De nos jours, lorsqu’on leur demande d’énumérer les berlines haut de gamme développés par Renault depuis la Libération, la plupart des gens sont capables de mentionner la R 16 ou la R 25 — c’est-à-dire des modèles encore très présents dans la mémoire collective. En revanche, hormis une modeste fraction de passionnés du Losange ou, plus simplement, de fins connaisseurs de l’histoire automobile française, peu de monde s’intéresse au cas de la Frégate, aussi appréciée de ses laudateurs qu’elle est absolument ignorée par tous les autres. Son échec commercial, l’inconsistance de sa personnalité, ses flottements techniques et commerciaux ont été maintes fois relatés ; son héritage inexistant, tout comme son absence d’antériorité dans les annales de la Régie, ne permettent pas de la rattacher à un continuum historique clairement identifié. Pourtant, quand on prend le soin d’examiner son itinéraire et de saluer la mémoire de ceux qui l’ont conçue puis portée à bout de bras une bonne décennie durant, c’est un portrait inattendu qui apparaît ; celui d’une auto avant tout malchanceuse, certes inaboutie, mais non dépourvue de qualités. Il n’est pas inutile de s’interroger sur la place qu’il convient de lui réserver dans le cœur des collectionneurs d’aujourd’hui…

Moteur, on tourne (… ou pas)

Dans un discours resté célèbre et datant de 1960 — c’est-à-dire l’année même de l’arrêt de production de la Frégate —, le général de Gaulle évoqua, entre autres, « la splendeur de la marine à voile », pour en légitimer la nostalgie mais aussi pour la ranger définitivement dans le grenier aux souvenirs, à l’instar de l’ex-empire colonial dont il était question ce jour-là. Il est difficile d’ignorer le clin d’œil involontaire que recelait cette philippique au moment de réévaluer l’importance d’une voiture dont les appellations commerciales successives, ainsi qu’on va le voir, firent largement appel à la phraséologie maritime. Navire en perdition dès l’orée de sa carrière, elle dessinait déjà, avec plusieurs décennies d’avance, la trame des déconvenues qui allaient caractériser la quasi-totalité des tentatives françaises sur le segment des grandes routières, à commencer, bien sûr, par une sous-motorisation chronique.

Car les malheurs de la Frégate ont tout d’abord concerné les capacités très lacunaires de son groupe motopropulseur. Connu sous le nom de code « 668 », il s’agissait d’un quatre-cylindres de 1 996 cm3 dont la puissance, en dépit d’une incontestable modernité conceptuelle en comparaison de l’antédiluvien moteur « 85 » apparu en 1935 et qu’il était censé remplacer, ne dépassait pas les 58 chevaux réels, soit un rendement encore acceptable avant la guerre mais complètement dépassé à la lisière des années 1950. Rappelons qu’au même moment, une Citroën 11 parvenait tout de même à extraire 56 chevaux d’un groupe de 1 911 cm3 alors déjà âgé de quinze ans. Littéralement mis à genoux par la lourde carrosserie d’une voiture longue de 4,70 mètres — dépassant en l’espèce une Ford Vedette Vendôme pourtant notablement plus puissante — et susceptible d’embarquer jusqu’à six adultes, le nouveau moteur Renault n’était visiblement pas à sa place dans une voiture affublée de telles prétentions à un certain standing. Cette situation était d’autant plus regrettable que, pour leur part, les responsables de la partie châssis avaient élaboré des liaisons au sol d’excellente qualité, conférant à la Frégate une tenue de route extrêmement convaincante.

Les mânes du commandant Gildas

Peu gratifiante à conduire, lancée à la hâte et souffrant d’une mise au point bâclée, la grande berline de Billancourt ne tarda pas à mécontenter ses premiers propriétaires, qui ne se privèrent pas de le faire savoir. Très compétente dans le développement puis la commercialisation d’une petite voiture comme la 4 CV, la Régie commença alors à enkyster, pour longtemps, son image dans un référentiel strictement populaire et structurellement incapable de se forger une crédibilité sur des segments de marché plus ambitieux et aussi plus rémunérateurs. D’autant plus qu’il fallut attendre cinq longues années pour que son constructeur daigne enfin accorder un véritable moteur à la Frégate, sous la forme du groupe Étendard (ça ne s’invente pas), arrivé à point nommé pour s’efforcer de concurrencer valablement une certaine Citroën DS… Malheureusement, le mal était fait, le ver était dans le fruit, déjà les carottes étaient cuites (et nous vous épargnerons la suite des formules comparables). Malgré une augmentation sensible de la puissance — qui passa à 77 puis 80 chevaux, soit une valeur somme toute honorable en comparaison des 75 chevaux de la voiture du Quai de Javel —, la réputation de la Frégate, peu aimablement assimilée à un veau, était solidement ancrée dans l’esprit du public et, tout comme le capitaine Haddock avec son sparadrap, elle ne put jamais s’en débarrasser.

À ce stade de notre réflexion, une sorte d’énigme commence à se dessiner. Comment un chef d’entreprise aussi avisé, aussi habile, aussi ingénieux que Pierre Lefaucheux a-t-il pu laisser ses équipes se fourvoyer à un tel point ? Connu sous le nom du commandant Gildas au sein de la Résistance, cet homme n’était rien moins qu’un héros mais, dès qu’il prit la tête de la toute jeune Régie Renault, au début de 1945, il ne tarda pas à confirmer, par surcroît, de solides qualités de manager qui permirent à l’entreprise, dans des conditions matériellement et socialement très difficiles, de reprendre ses activités et même de se réinventer. Car, entre les dernières années de l’avant-guerre — époque à laquelle Louis Renault dirigeait encore la firme qu’il avait créée — et les premiers pas de la RNUR, il y a tout un monde ; un monde constitué de tragédie nationale, de destructions, de sabotages, de luttes politiques et syndicales toxiques ; et c’est en grande partie à l’intelligence, à la ténacité et au courage de Lefaucheux que la 4 CV a dû la réussite de son lancement, son essor commercial ainsi que la pérennité de son succès.

Conçue dans la douleur et lancée dans une précipitation là encore dictée par un contexte politique tourmenté (comme Paul le narre en détail par ailleurs), la Frégate cumulait pour sa part les handicaps et, par-dessus le marché, dut affronter un spectre concurrentiel peu abondant mais opiniâtre avec, en particulier, l’apparition d’une Peugeot 403 aussi sérieusement étudiée que la Renault pouvait se montrer fantasque. Hélas, ni la boîte Transfluide — qui proposait une approche originale de l’automatisme, au prix toutefois d’une nervosité encore atténuée —, ni la luxueuse variante « Grand Pavois », ni le très élégant break « Domaine » apparu pour le millésime 1956, ne parvinrent à corriger le tir.

Chronique d’une mort annoncée

Lorsqu’une automobile est mal née, il arrive que son constructeur finisse par rétablir la situation et par rattraper sa clientèle par la manche ; à cet égard, l’exemple de la Citroën Visa s’avère singulièrement représentatif mais de tels cas demeurent rarissimes. La plupart du temps, le manque d’envergure d’un projet, les erreurs de conception, les stratégies improbables et l’incapacité récurrente à réagir avec toute la vivacité requise sont autant de clous dans le couvercle d’un cercueil pour ainsi dire livré avec le premier exemplaire tombé de chaîne. Ce sont de telles insuffisances qui ont précipité le sort de la Frégate. Dans son roman Chronique d’une mort annoncée, Gabriel García Márquez corrèle la mort du héros à la fatalité ; à celle-ci, dramatiquement validée par la disparition de Pierre Lefaucheux lui-même au volant d’une Frégate, l’on peut sans hésitation ajouter les funestes conséquences d’un certain vagabondage technique, puis d’un précoce désenchantement ayant conduit à l’abandon pur et simple, non seulement du modèle lui-même, mais aussi de son concept.

Dévoilée seulement cinq ans après la disparition de sa devancière, la R16 a été un manifeste esthétique, technique et architectural qui s’apparentait à la très violente réfutation d’une approche condamnée par l’histoire. De la sorte, il n’est pas exagéré d’écrire que la Frégate n’aura jamais connu de descendance réelle ; pour autant, aux yeux du collectionneur de 2020, l’auto peut, sans trop de peine, se montrer séduisante. À son volant — tout du moins lorsque les stipendiés de l’écologie punitive ne sont pas de sortie — il est encore possible d’arpenter les rues de Paris à une allure tout à fait conforme aux exigences du moment et de se croire, pour quelques heures, revenu au temps de Razzia sur la chnouf et d’autres récréations cinématographiques au cours desquelles la berline Renault put prendre une timide revanche sur le destin. On l’a, en effet, beaucoup aperçue dans des films noirs dont la désuétude bonhomme de sa carrosserie date l’intrigue aussi sûrement que le style vestimentaire ou les tics de langage des personnages. Sa rareté la rendrait presque exotique — et d’un exotisme très abordable : d’après la cote de La Vie de l’Auto, sept à huit mille euros peuvent suffire à l’acquisition d’un bel exemplaire. C’est peut-être l’instant de vous laisser tenter…

Autos similaires en vente

Renault R8 Gordini 1300  R1135 0
Renault R8 Gordini 1300  R1135 1
Renault R8 Gordini 1300  R1135 2
Renault R8 Gordini 1300  R1135 3
Renault R8 Gordini 1300  R1135 4
1966 / Manuelle
55 000 €
Renault R5 Turbo 2 0
Renault R5 Turbo 2 1
Renault R5 Turbo 2 2
Renault R5 Turbo 2 3
Renault R5 Turbo 2 4
1984 / Manuelle / 69 806 km
109 900 €
Renault 18 Turbo 0
Renault 18 Turbo 1
Renault 18 Turbo 2
Renault 18 Turbo 3
Renault 18 Turbo 4
1983 / Manuelle / 103 800 km
10 900 €
Renault Nn Torpédo 0
Renault Nn Torpédo 1
Renault Nn Torpédo 2
Renault Nn Torpédo 3
1927 / Manuelle
15 000 €

Carjager vous recommande

Renault Floride et Caravelle : c'est encore loin, l'Amérique ?
Nicolas Fourny / 13 août 2023

Renault Floride et Caravelle : c'est encore loin, l'Amérique ?

« La Floride est une stricte automobile de plaisance, calibrée pour le cruising (en ligne droite de préférence) plus que pour l’arsouille »
COUPÉ
FRANÇAISE
RENAULT
Renault 4 Parisienne : la citadine chic et féminine
PAUL CLÉMENT-COLLIN / 13 sept. 2022

Renault 4 Parisienne : la citadine chic et féminine

Lancée en 1961, la Renault 4 a rapidement pris ses marques sur le marché français (au contraire de sa jumelle Renault 3) en passant en tête des ventes dès 1962 et s’y installant jusqu’en 1968 (excepté l’année 1965 où la Citroën Ami6 créera la surprise). Celle qu’on appelle désormais affectueusement “Quatrelle” fait le plein de clients tant à la campagne qu’à la ville. C’est d’ailleurs une nouveauté pour la Régie qui se doit, avec un même modèle, de toucher deux cibles différentes. En ville, la 4L est souvent la deuxième voiture, dévolue à la mère de famille, ce qui donnera des idées au service marketing naissant : créer de toutes pièces un modèle dédié à cette nouvelle clientèle, la Renault 4 Parisienne.
FRANÇAISE
RENAULT
Renault Estafette : le messager de la route
Quentin Roux / 13 sept. 2022

Renault Estafette : le messager de la route

C’est en allant voir la dernière acquisition d’un ami que m’est venue l’idée de vous parler de l’Estafette. Je me rappelais alors de celle carrossée en marchand de glaces installé dans la zone commerciale de la route de la Charité à Saint Germain du Puy (près de Bourges). La dernière fois que je l’ai vu, c’était sur Leboncoin… J’avais quelque peu hésité à m’offrir cette madeleine de Proust mais mes moyens ne me le permettaient pas…
FRANÇAISE
RENAULT
Renault 4CV Jolly: voiture de plage à l’italienne
13 sept. 2022

Renault 4CV Jolly: voiture de plage à l’italienne

Quand l’été approche, l’envie de posséder une voiture dite « de plage » se fait plus présente, lancinante, malgré l’absence de beau temps en cette fin de mois de mai. Les moins originaux rêveront à une Citroën Méhari, dans sa version thermique évidemment (lire aussi : Citroën Mehari), d’autres se laisseront tenter par l’interprétation du genre réalisée par Renault et Teilhol avec la Rodéo (lire aussi : Renault Rodéo), quand les plus audacieux rechercheront une Mega Club ou Ranch (lire aussi : Mega Club et Ranch) ou une Teilhol Tangara (lire aussi : Teilhol Tangara). Avec les voitures de plage françaises, on est plutôt dans l’utilitaire dérivé de sa fonction première pour devenir à l’usage un véhicule de loisir.
CLASSICS
FRANÇAISE
RENAULT
Renault 10 : quoi ma gueule ?
PAUL CLÉMENT-COLLIN / 12 sept. 2022

Renault 10 : quoi ma gueule ?

Puisqu’on parlait il y a peu de la Renault 8 (lire aussi : Renault 8), il serait idiot de ne pas parler de sa sœur la 10. Vous savez, cette sœur mal aimée et un peu laide qui a toujours eu du mal à exister à côté de la petite mignonne. Censée être plus grande, plus luxueuse, plus statutaire, plus puissante aussi, elle remplaça la R8 Major en 1965. Trois ans plus jeune que la 8, la 10 paraît pourtant plus vieille, déjà dépassée, tandis que la pimpante truste les charts et s’offre une désirable version sportive dénommée Gordini.
FRANÇAISE
RENAULT
Renault 6 : La voiture de Giscard
Jean-Jacques Lucas / 05 sept. 2022

Renault 6 : La voiture de Giscard

« 77 PK 63 » (plaque jaune), était-elle vert anglais ou bleu marine ? La famille Giscard d’Estaing usait d’une Renault 6, en service dans sa demeure patricienne de Varvasse sur la commune de Chanonat (Puy-de-Dôme). Le cliché photographique de Gérard-Aimé pour l’agence Gamma-Rapho est bien connu, suivant la petite berline entre Chanonat et Chamalières, au matin du 8 avril 1974. Elle penche du côté droit et une silhouette de profil se détache dans l’habitacle. Olivier Todd, biographe critique en son temps du président Giscard d’Estaing, avait aussi évoqué cet humble équipage dans La Marelle de Giscard (éditions Robert Laffont, 1977). On était venu le quérir en R6, peut-être Edmond Giscard d’Estaing, mais ce n’est que de mémoire, dans une gare proche. Sujette à moquerie au temps de sa carrière, voiture de pépé à casquette et à la conduite somnolente, toujours vue comme coincée entre la Quatrelle et la R16, cette auto a tout de même trouvé sa clientèle entre 1968 et 1980 en France, prolongée jusqu’en 1986 en Espagne, avec une production dépassant 1,74 million d’exemplaires, proche du 1,85 million d’exemplaires de la R16 (1965-1980).
FRANÇAISE
RENAULT
FASA-Renault 8 TS : La Gordini à l’aspartame.
Aurélien Charle / 16 août 2022

FASA-Renault 8 TS : La Gordini à l’aspartame.

Au milieu des années 1960, le marché espagnol n’était pas encore prêt à accueillir une auto populaire sur-vitaminée. La Fasa-Renault lança toutefois la Renault 8 TS, aux performances timidement dopées mais suffisantes pour se faire de belles frayeurs sur le réseau routier vétuste de l’époque et donner accès au sport auto à peu de frais. Elle connut un succès comparable à la mythique Gordini et eut même le toupet de lui survivre jusqu’en 1976 !
FRANÇAISE
RENAULT
Renault 15 et 17 : coupés décalés
PAUL CLÉMENT-COLLIN / 16 août 2022

Renault 15 et 17 : coupés décalés

Il fut un temps où lancer un coupé 4 places populaire ne relevait pas du rêve, mais bien de la réalité, un temps où les SUV n’existaient pas, pas plus que les monospaces. A cette époque, une ligne légèrement sportive trouvait sa place et sa clientèle, même avec de petits moteurs. Dans ces années 70 encore autophiles, malgré deux crises pétrolières en début et fin de décade, Renault n’hésitait pas à dériver pas moins de deux coupés de sa berline moyenne 12 sous les noms de 15 et 17 : deux voitures qui, mine de rien, trouvèrent près de 300 000 clients.
FRANÇAISE
RENAULT
Renault 16 : pas monacale pour autant
Jean-Jacques Lucas / 16 août 2022

Renault 16 : pas monacale pour autant

Ses phares de format presque rectangulaire contribuent à la dater : des phares comme ceux des Ford Taunus (15M P6), comme ceux des Renault 10 modèle 68, puis des Renault 12 de 1969. La Renault 16 fut une auto de rupture dans l’offre automobile française des années 60, puisqu’elle bouleversait les conventions. Il fallait que l’automobile serve autant par ses fonctions explicites qu’implicites, en avoir pour son argent et son usage, gagner en autonomie. Le leitmotiv Renault des années 80 (« une voiture à vivre ») doit très largement à cette auto. La R16 est une jolie voiture, pimpante et lumineuse, multimodale par l’articulation et le chargement par l’arrière de l’habitacle. Renault entretiendra dès lors deux voies parallèles entre la berline bicorps (la R16, duo de R20 et R30, R25 et Safrane par la suite) et les berlines tricorps à moteur à l’avant (R12 à partir de 1969, continuée par la R18 voire la la R21). Entre les deux s’ouvraient des gammes médianes puisant aux deux familles avec la R14 (1976) puis les R11 et R9. 1 850 000 R16 produites entre 1965 et fin 1979, en presque 20 années, ne disqualifient d’ailleurs pas le quasi million de R14 produites en moins de huit années (1976-1983). Les compactes comme la R14 sont issues de cette pensée de la mobilité traduite par la R16 et sa contemporaine Simca 1100 dans un autre segment.
FRANÇAISE
RENAULT

Vendre avec CarJager ?

Voir toutes nos offres de vente