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Renault Juvaquatre : la vieille dame qui ne voulait pas mourir

- 2 août 2022

Installez-vous confortablement : nous allons vous conter l’épopée d’une survivante. Lancée peu d’années avant le second conflit mondial, la Juvaquatre a, contre toute attente, réussi à survivre bien au-delà de la plus tragique décennie du siècle, transportant jusqu’à l’orée des sixties la mémoire de l’avant-guerre, les remugles d’un pays disparu et le spectre de Louis Renault. Née sous la forme d’une petite voiture populaire et mal-aimée — mais adressant toutefois des clins d’œil appuyés à une certaine bourgeoisie —, l’auto s’est réincarnée dès la fin de la guerre en une humble servante, vétuste mais fidèle, corvéable à merci et qui a longtemps hanté les routes des campagnes françaises. Plus novatrice qu’on le croit, ayant longuement cherché son identité, la « Juva » aura connu plusieurs vies, au fil d’une destinée non écrite et donc forcément passionnante, ainsi qu’on va le voir…

Un plagiat délaissé

Que l’on imagine les grands yeux étonnés de la petite Renault, un quart de siècle après sa naissance, alors que la 4 L — ce prosaïque symptôme de la modernité surnommé « voiture blue-jeans » par Pierre Dreyfus — était sur le point d’apparaître. La Juvaquatre, quant à elle, n’a jamais porté de jeans, n’a jamais connu l’insouciance ; quand elle est apparue, à l’automne de 1937, on entendait déjà des bruits de bottes venus de l’est. Or, par l’une de ces ironies dont le sort détient le secret, c’est également vers l’est que Renault s’était tourné au moment de concevoir ce petit coach d’apparence inoffensive et qui, à ses débuts, éprouva bien des difficultés à trouver son public. Au sein de celui-ci, les plus observateurs n’avaient pas manqué de remarquer que la nouvelle venue ressemblait vraiment beaucoup à l’Opel Olympia présentée deux ans plus tôt et, de fait, même Stevie Wonder aurait noté les nombreuses similitudes esthétiques entre les deux modèles. S’adressant tout comme l’Opel aux classes laborieuses qui, grâce à Léon Blum, avaient enfin obtenu le droit de partir en congés au Tréport ou à Noirmoutier, la « Juva » s’en allait quérir une cible délaissée par Renault depuis plusieurs années. Malgré l’avènement du Front populaire, rappelons qu’à l’autre extrémité de sa gamme la firme du Point du Jour n’avait pas renoncé au prestige proposait toujours une Suprastella mue par un huit cylindres en ligne de 5,4 litres, vendue trois fois plus cher que la Juvaquatre et qui s’efforçait de séduire une petite cohorte de happy few profitant sans vergogne de ses derniers moments de frivolité. Pour autant, le type AEB2 (son identification dans la nomenclature Renault) n’avait rien d’un sous-produit et, bien au contraire, rassemblait des solutions alors inédites chez un constructeur réputé pour son conservatisme…

Lancée à contrecœur

Oh, bien sûr, il ne fallait tout de même pas rêver à une hardiesse technique digne du Quai de Javel : la traction avant, ce n’était pas encore pour cette fois ! Dans son ouvrage de référence, Renault, cent ans d’histoire (éditions E.T.A.I.), Jean-Louis Loubet cite Louis Renault, qui exprime dans une lettre datée de 1938 sa vision de la « petite voiture » : « La petite voiture… est la voiture d’approche dont tout le monde rêve… mais son développement est très faible et son prix doit être… pour ainsi dire sans bénéfice… En fait il n’y a qu’une voiture qui se vende : c’est la voiture de 1000 kg… C’est la voiture qui est suffisamment résistante et suffisamment spacieuse pour emmener quatre personnes normalement. C’est elle qui fait le fond de toutes les ventes, celle qui peut se revendre parce que au fond elle est normale. Elle répond aux dimensions et aux conditions humaines. » En réalité, la Juvaquatre ne faisait pas l’unanimité en interne et la direction de l’entreprise semble n’avoir validé le projet qu’avec circonspection. Néanmoins, les caractéristiques de la nouvelle Renault n’étaient pas dépourvues d’intérêt avec, en premier lieu, une construction plus ou moins monocoque et un train avant à roues indépendantes sans précédents à Billancourt et qui, par ricochet, soulignaient l’archaïsme du reste de la gamme. Animée par un quatre-cylindres entièrement nouveau de 1003 cm3, la Juvaquatre pouvait atteindre la vitesse faramineuse de 95 km/h dans les meilleures conditions, allure qui, pour le conducteur du XXIe siècle, peut sembler modeste jusqu’à ce qu’il ait testé le freinage de l’engin, encore confié à des câbles et tout juste capable de ralentir paresseusement les 700 kilos de l’ensemble !

Les tribulations d’une veuve de guerre

Pour autant, exclusivement disponible en deux portes à ses débuts, et bien que tarifée de façon très attractive, la voiture s’écoule avec difficultés au cours de sa première année d’existence, durement concurrencée par une Peugeot 202 légèrement plus puissante, d’une esthétique plus moderne et proposant d’emblée les quatre portes qui font tant défaut à la Juvaquatre, à laquelle on peut de surcroît reprocher une définition bien trop spartiate, même pour l’époque. Privé de pare-chocs arrière, le modèle recèle bien un coffre mais, faute d’issue extérieure, celui-ci n’est accessible que depuis l’habitacle, au prix des désagréables contorsions que l’on imagine… Devant la mévente de l’auto, Renault ne tarde cependant pas à réagir et, dans les dix-huit mois qui s’ensuivent, plusieurs évolutions bienvenues font leur apparition : de la sorte, pour 1939 la poupe reçoit un pare-chocs — luxe inouï ! — tandis qu’une carrosserie à quatre portes figure désormais au catalogue du constructeur.

De façon inattendue, on verra même survenir deux variantes récréatives, une anecdotique berline découvrable baptisée « Tous temps » et, surtout, un très élégant coupé, extrêmement rare et vendu 20 % plus cher que la berline. Pendant la « drôle de guerre », la production de la gamme se poursuit et, à partir de décembre 1939, toutes les Juvaquatre sont équipées de freins hydrauliques ; ce sera l’ultime modification affectant la voiture avant que la France soit envahie. Pendant l’Occupation, sous la direction de l’ingénieur Fernand Picard, le bureau d’études Renault entreprend dans la clandestinité l’étude de la future 4 CV mais, à la Libération, l’auto n’est pas prête et, tout comme la 202 que Sochaux remet en production en attendant la commercialisation de la 203, la Juvaquatre va reprendre du service pour assurer l’intérim. Dans les premiers jours de 1946, seules la berline à quatre portes et la fourgonnette présentée en 1938 retrouvent leur place sur les chaînes de l’usine martyrisée par les bombardements alliés mais, dès juillet 1948, seule cette dernière va subsister, pour de longues années encore.

Un break pour Melody Nelson

Sobrement dénommée « Fourgonnette 300 kg » — histoire de ne pas tromper le chaland quant à sa charge utile —, la plus humble des Juvaquatre arrive à point nommé dans un pays qui entame à peine une difficile reconstruction. En ce temps-là, seule la Simca 8 éponyme se trouve en mesure de rivaliser avec la petite Renault, qui dispose d’un appréciable volume de chargement et dont la rusticité constitue un précieux atout pour l’artisan comme pour l’agriculteur. Dure au mal, facile et peu coûteuse à entretenir, elle va résister aux surcharges, aux mauvais traitements, aux chemins creux, aux routes défoncées et même à l’irruption de la 2 CV type « AU » lancée en 1951, qui lui aurait chipé davantage de clients si son souffreteux bicylindre ne l’avait pas condamnée à une sous-motorisation endémique, vite problématique en charge. La même année, Renault lui adjoint une version « break » (le Kangoo n’a rien inventé !) qui n’est autre qu’une fourgonnette vitrée nantie d’une banquette arrière. Et c’est indéniablement sous cette apparence que la « Juva » aura enfin accédé à la popularité. À un moment où beaucoup de Français étaient encore contraints de se déplacer au volant de haridelles à bout de souffle et aux pneus lisses datant des années 20 ou 30, la fiche technique de la Renault n’était guère plus moderne mais on pouvait l’acheter neuve. Certes plus onéreux qu’une 4 CV Sport, le break Juvaquatre se montrait bien plus polyvalent et plus logeable — outil de travail idéal en semaine et voiture familiale adaptée aux escapades dominicales, à condition bien entendu de ne pas être pressé. De toute façon, il fallait témoigner d’une intrépidité proche de l’inconscience pour oser rouler vite au volant d’un truc pareil (par « vite », comprenez au-delà de 70 km/h) et telle n’était pas sa vocation. Opportunément rebaptisée « Dauphinoise » en 1956 (car ayant récupéré le 845 cm3 de la Dauphine), l’auto, dont les 26 chevaux-vapeur étaient pleins de bonne volonté, pouvait rouler très longtemps et vous emmener loin, mais à son rythme…

OK boomer !

La fourgonnette, le break 300 kg et la Dauphinoise, on les a vus partout, jusque dans les réclames télévisées pour Ricoré au début des années 80. Comme tant d’autres utilitaires maltraités par leurs propriétaires successifs avant d’être dévorés par la corrosion, beaucoup d’entre eux ont fini leurs jours jetés à la casse par des étudiants désargentés qui en avaient exploité les ressources jusqu’à l’épuisement, transformés en poulaillers par des cultivateurs ingrats, abandonnés au fond d’une grange ou d’un garage désaffecté, si bien que les survivants en état de prendre la route ne sont plus qu’une poignée. Pour tout dire, l’idée de cet article m’est venue l’autre jour rue de Sèvres, alors que ce pluvieux été balbutiait encore. Soudain, au milieu des SUV Lexus et des Passat noires des VTC en goguette, j’au vu surgir un couple de quinquagénaires hilares, lancés à pleine vitesse — tout est relatif… — à bord d’une Dauphinoise manifestement dans son jus étant donné l’état de sa peinture. Sous le regard amusé des badauds, ils ont enquillé le boulevard Raspail sans coup férir et, en regardant s’éloigner ce singulier équipage, j’ai songé à ce qu’aurait été la banalité d’une telle scène, soixante ans auparavant. Les pétarades familières du moteur « Billancourt » nous ont longtemps accompagnés, au fil des générations, jusqu’aux ultimes R5 de base et ils ont semblablement motorisé la fin de vie de la « Juva », inlassable compagne, jusque dans les années 1970, des scouts marins, des vignerons ou des peintres en bâtiment. À la fois dernier enfant de Louis Renault et premier rejeton de la Régie Nationale, sa désuétude mécanique a cessé de la desservir pour participer à son charme. Elle fait partie de ces machines qui, au premier tour de clé, vous entraînent instantanément dans un autre monde — un monde que l’on pourrait croire disparu mais qui, en réalité, n’est pas mort : pour une balade champêtre ou peut-être pour le reste de votre existence, il n’attend plus que vous pour revivre…

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