

La longue et cruelle malédiction ayant souvent frappé les grandes berlines Fiat n’aura pas épargné l’éphémère et méconnue Argenta, dernière berline Fiat à roues arrière motrices et habile restylage d’une 132 elle-même plutôt mal-aimée, mais qui, plus encore que sa devancière, n’aura fait que de la figuration sur un segment de marché traditionnellement peu accueillant pour les marques populaires. Pourtant, même si elle n’attire aujourd’hui qu’une poignée de joyeux hurluberlus fermement décidés à sortir des sentiers battus, l’auto est loin d’être inintéressante – en particulier si l’on aborde le cas de sa variante la plus puissante, c’est-à-dire la VX ! Car, sous cette dénomination absconse, se dissimule le glorieux quatre-cylindres Lampredi, ici surmonté du compresseur volumétrique qui, plusieurs millésimes durant, aura fait les beaux jours des gammes Fiat et Lancia…



C’était mal parti
Présentée au printemps de 1972, la berline 132 vient prendre la succession de la brillante et très appréciée 125. Et, c’est peu de le dire, en dépit de l’adoption d’une plateforme inédite, l’auto est fraîchement accueillie, tant par la presse spécialisée que par la clientèle. De fait, nombreux sont les reproches adressés à la nouvelle familiale Fiat, dont le design, pourtant dû à un Marcello Gandini que l’on a connu plus inspiré, interpelle par ses lourdeurs, aboutissant à un ensemble plutôt terne. Et cela ne s’arrange pas en prenant le volant de l’engin, qui marque une stagnation – voire une régression à certains égards – par rapport à la 125… Train avant mal guidé, direction imprécise, sous-virage endémique, roulis excessif, performances quelconques : l’inévitable comparaison avec la pétillante Alfetta, présentée la même année que la 132, s’avère particulièrement cruelle pour la voiture de Turin, dont les ventes ne décollent pas. À force de vouloir définir une voiture aussi consensuelle que possible afin de s’en aller conquérir les marchés d’Europe du nord, Fiat s’est pris les pieds dans le tapis en accouchant d’une berline certes confortable et habitable, mais trop inaboutie pour pouvoir prétendre rivaliser valablement avec les références de son segment de marché – nous songeons en particulier à la Peugeot 504, autre familiale à propulsion lancée quatre ans avant la 132, mais disposant, contrairement à sa concurrente italienne, de quatre roues indépendantes et de qualités routières d’un tout autre niveau…
Remise à niveau
Il n’est donc guère étonnant d’assister, dès le début de 1974, à la présentation de la Nuova 132, qui corrige l’essentiel des défauts reprochés à la première version. C’est sous cette forme que l’auto va enfin trouver son public, qui n’en fera pas un best-seller mais lui assurera tout de même une carrière honorable – et pas seulement en Italie : la 132 sera également vendue sous les marques Seat (qui est encore contrôlé par Fiat en ce temps-là), Zastava ou FSO, tandis que Kia en assemblera quelques milliers d’unités en Corée du Sud. Lorsque le modèle disparaît, en avril 1981, plus de 650 000 exemplaires sont sortis d’usine. À cette époque, les substrats techniques de la 132 sont déjà frappés d’obsolescence ; ses roues arrière motrices et, surtout, son essieu arrière rigide datent irrémédiablement une voiture qui, au fil des ans, a vu débarquer des rivales soit plus compactes (mais pas moins habitables), soit plus imposantes – et, dans tous les cas, bien plus modernes que la Fiat. À Turin, les responsables du bureau d’études sont bien conscients de la situation et ont entamé, dès 1978, la gestation du projet Tipo 4 (commun à Lancia, Alfa Romeo et Saab) qui aboutira, en 1985, au lancement de la Croma. En attendant, il faut bien faire patienter la clientèle et ne pas la laisser s’enfuir vers une concurrence toujours plus affûtée ; et en pareil cas, la recette est bien connue : il s’agit, toute honte bue, de faire du neuf avec du vieux et c’est ainsi que la 132 va se transformer en Argenta !

Un modèle de transition
Après la Ritmo de 1978, Fiat confirme ainsi l’abandon des dénominations chiffrées pour ses voitures de tourisme. Pourtant, l’Argenta n’a vraiment rien de révolutionnaire puisque, on l’a vu, l’auto n’est qu’un profond restylage de la 132, rajeunie grâce à une proue et une poupe entièrement redessinées dans un style plus massif, presque germanisé, et qui densifie la présence de l’auto sur la route, tandis que le mobilier de bord se voit semblablement renouvelé, même si le constructeur n’a pas profité de l’occasion pour améliorer une qualité de finition de moins en moins acceptable à l’orée de la décennie 80. En revanche, du côté de la fiche technique, c’est le statu quo : les trains roulants n’ont évolué qu’à la marge, les moteurs sont ceux de la 132 et la version la mieux lotie hérite donc de l’inusable quatre-cylindres 2 litres dû au talent d’Aurelio Lampredi, associé à une injection Bosch K-Jetronic et développant 122 ch à 5300 tours/minute – soit un niveau de puissance honorable pour l’époque. L’auto souffre néanmoins d’un problème de positionnement en raison de ses dimensions, qui témoignent d’une conception déjà ancienne ; dix ans auparavant, une longueur de 4,43 mètres correspondait au segment des routières mais, au début des années 1980, il n’en est plus de même et les Peugeot 505, Citroën CX ou Audi 100 s’approchent ou même dépassent allègrement les 4,60 mètres. Il en va de même en largeur, et l’Argenta, plus étroite de sept centimètres que la moyenne de ses rivales, semble désormais trop étriquée pour demeurer crédible, en particulier à l’exportation. Et le restylage intervenu à l’automne de 1982, lequel épaissira encore davantage une ligne qui n’en demandait pas tant, n’y changera pas grand-chose…
Un baroud d’honneur
Les choses auraient pu en rester là et l’Argenta aurait alors achevé sa carrière sans heurts, disparaissant dans l’indifférence générale, un peu comme ces personnages effacés dont on ne se rappelle l’existence qu’en lisant leur faire-part de décès. La présentation de la version VX (ou SX sur le marché italien), au Salon de Genève 1983, constitua donc une surprise qui, au vrai, n’intéressa réellement que les bons connaisseurs de l’ingénierie… Au Salon de Turin 1982, s’inspirant des solutions retenues pour la berlinette 037, Lancia avait présenté une Trevi « Volumex », nantie elle aussi du 2 litres Lampredi, déjà vu dans la confidentielle 131 Volumetrico Abarth et agrémenté d’un compresseur volumétrique de type Roots, lequel, en association avec un bon vieux carburateur Weber double corps, permettait d’atteindre la puissance de 135 ch, pour un couple maximal de 206 Nm atteint dès 3000 tours/minute. C’est ce même groupe qui anime l’Argenta VX qui, gréée de la sorte, gagne 10 km/h par rapport à la 2 litres atmosphérique toujours au catalogue. C’est toujours ça de pris, nous direz-vous, mais on ne peut pas dire que ce timide renfort de puissance ait provoqué un enthousiasme délirant de la part de la clientèle visée. La mauvaise réputation du système Volumex – souvent victime d’un entretien défaillant – ne fit rien pour améliorer l’image de la grande Fiat et, deux ans plus tard, quand l’ambitieuse Croma expédia l’Argenta au purgatoire des bagnoles oubliables, c’est bel et bien un turbo qui succéda à l’infortuné compresseur. Rarissime sur les routes comme dans les petites annonces, l’Argenta l’est plus encore quand elle est dotée de ce moteur original et au tempérament attachant. Si vous appréciez les compagnes de voyage improbables, ce n’est pas le plus mauvais choix… à condition, bien entendu, de réussir à en trouver une !






Texte : Nicolas Fourny