Alpine A110 Berlinette : une certaine idée de la France
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Alpine A110 Berlinette : une certaine idée de la France

Par Paul Clément-Collin - 29/07/2022

L’industrie automobile française a produit quelques modèles mythiques depuis l’après-guerre, mais l’Alpine A110 a une place à part dans ce panthéon français. Est-ce dû à sa ligne, à son palmarès sportif, à son image artisanale ou bien aux 3 à la fois ? Une chose est sure, elle a marqué plusieurs générations différentes au point de donner naissance, lors de la renaissance, à une A110 nouvelle génération (lire à ce sujet notre essai). Retour sur l’histoire de cette petite sportive française pas comme les autres.

Eclaté d’un A110 956 cc

Salon de Paris, octobre 1962. Sur le stand de la petite marque Alpine pointe pour la première fois le capot de la toute nouvelle A110, conçue et produite à Dieppe (l’A106 avait été conçue en région parisienne). A première vue, la nouvelle se distingue peu de l’A108 Berlinette Tour de France, dessinée par Philippe Charles. Si le dessin général semble conservé, le travail de Serge Zuliani est plus profond qu’il n’y paraît. Certes, l’A110 Berlinette conserve le châssis poutre inauguré par l’A108, mais celui-ci s’avère modifié pour recevoir les éléments de la nouvelle star de la Régie, la Renault 8, ses moteurs mais aussi ses trains roulant.

L’A110 lors de sa présentation au salon de Paris 1962 (c) Alpine Planet

La nouvelle gamme A110 au Salon de Paris

Inévitablement, la carrosserie en fibre de verre reçoit elle aussi des modifications, et notamment à l’arrière puisque le radiateur se trouve désormais derrière le 4 cylindres Sierra à 5 paliers de 956 cc et 55 chevaux SAE. Difficile d’imaginer aujourd’hui une sportive avec une si petite puissance. Pourtant, à l’époque, personne ne s’en offusque. Aux côtés de la Berlinette, on trouve une véritable gamme, avec une 2+2 appelée GT4, fabriquée chez Chappe et Gessalin, un coupé sport ainsi qu’un cabriolet (ces trois déclinaisons recevant un 959 cc de moindre puissance, 51 chevaux SAE).

Une A110 1300 G (en haut) et S (en bas)

Si Alpine reste un petit constructeur, il se donne les moyens de conquérir une large clientèle grâce à cette gamme, sachant que l’A108 reste en production jusqu’en octobre 1964. Cette même année, les A110 évoluent et proposent 1108 cc pour 66 chevaux SAE (appelées “70”), puis 95 chevaux grâce au moteur de la R8 Gordini en octobre 64 (appelées “100”). Avec un poids tournant aux alentours de 600 kg, les performances s’en ressentent d’autant que le centre de la gravité de la Berlinette est bas : pas besoin d’une trop grosse cavalerie pour attaquer les épingles. L’année 1964 voit d’ailleurs les ventes s’envoler enfin : Jean Rédélé devient enfin un vrai constructeur, reconnu de ses pairs, d’autant que les A110 commencent à se distinguer en compétition, en gagnant le Tour Auto 1963 dans sa catégorie (moins de 1 000 cc).

Une A110 1600 S

Evolution naturelle

Petit à petit, les A110 évoluent vers plus de sportivité et toujours plus de puissance. Dans le même temps, la Berlinette, dont la carrosserie est la plus agressive, commence à obséder les pilotes en herbe comme les jeunes passionnés lisant la rubrique Starter de Jidéhem dans le journal de Spirou. Fin 1965, l’A110 1300 fait son apparition avec, comme son nom l’indique, une augmentation de la cylindrée passant de 1 108 à 1 296 cc. La barre symbolique des 100 chevaux (SAE, toujours) est franchie puisque la petite Alpine réunit 115 chevaux sous son capot arrière.

Une A110 1300 « 85 »

En 1966, les accords de distribution signés un an plus tôt avec Renault se concrétisent commercialement. A cette occasion, les productions Dieppoises trouvent enfin un réseau à la hauteur des espérances de Jean Rédélé mais perdent un peu d’indépendance, récupérant un losange sur leur carrosserie : un mal pour un bien car les ventes explosent, obligeant à lancer la construction d’une nouvelle usine à Thiron-Gardais, en plus des ateliers de Dieppe. Les A110 reçoivent en outre un nouveau moteur issu de la Renault 16, un 1 470 cc de 90 chevaux tandis que les versions 1300 deviennent 1300 Super avec cette fois-ci 120 chevaux. L’offre moteur devient alors compliqué car une autre “1300” apparaît, avec cette fois-ci le 1 255 cc de la Renault 8 Gordini sans modification (105 chevaux). Les A110 récupèrent alors le radiateur à l’avant.

Victoire en rallye, succès commercial

Loin des productions industrielles de plus grande échelle, les A110 évoluent donc sans cesse, tant mécaniquement qu’esthétiquement, par petites touches successives. Au fur et à mesure, les Berlinettes commencent à impressionner notamment en rallye, voie de promotion choisie par Jean Rédélé. En 1967, l’ouverture de l’usine de Thiron-Gardais permet d’assumer les cadences de productions accélérées par les accords avec Renault sans que l’A110 n’évolue particulièrement.

Intérieur et moteur d’une A110 1600 S

En revanche, en 1968 les choses changent à nouveau. L’A110 reçoit de nouvelles retouches esthétiques, notamment sur sa face avant, avec des phares élargis et des projecteurs intégrés. Les nouvelles normes font diminuer de quelques chevaux les moteurs “70” et 1300, tandis que le “100” disparaît, tout comme le 1500 faute de ventes. En revanche, la Berlinette (et exclusivement elle) reçoit le 1 565 cc de la Renault 16 TS (92 chevaux).

Une nouvelle usine près de Dieppe

L’année 69 n’est pas seulement érotique mais aussi celle de grands changements pour Alpine qui quitte les anciens ateliers de la rue Pasteur pour une toute nouvelle usine avenue de Bréauté. La marque a désormais 2 usines modernes, l’A110 s’impose comme LA voiture sportive française malgré la concurrence d’autres petites marques comme CG (Chappe et Gessalin) ou Matra (avec la 530). En compétition, la Berlinette continue de montrer son potentiel tandis que la gamme évolue. Adieu GT4 et cabriolet qui ne se vendaient plus, place à l’unique Berlinette qui continue à évoluer, abandonnant le “70” pour un “85” de Renault 12 TS (1 289 cc et 81 chevaux), la 1300 devient 1300 G (pour Gordini) et la 1300 Super est renommée 1300S (passant pour l’occasion à 132 chevaux). La 1600 reste au catalogue mais dépasse désormais les 100 chevaux (102 pour être exact). Au sommet de la gamme trône enfin une 1600S de 138 chevaux.

L’année 1970 est plus calme. Il faut dire qu’une grande nouveauté se prépare à Dieppe : l’A310 est à l’étude et prépare son lancement pour 1971. L’A110 n’évolue que peu mais voit disparaître le moteur 1600. Un an plus tard, la gamme A110 est simplifiée tant pour faire de la place à la nouvelle A310 que parce que la Renault 8 Gordini disparaît du catalogue, obligeant le retrait des 1300G et S équipées de ce moteur. Pour plus de cohérence industrielle, la 1600S récupère le nouveau 1605 cc de l’A310.

Les Brigades Rapides d’Intervention de la Gendarmerie nationale recevront des A110 en dotation

Titre mondial et rachat par Renault

Malgré son âge avancé et l’apparition au sein même de la gamme Alpine d’une concurrente (l’A310), le début des années 70 est l’âge d’or de l’A110, de plus en plus mature mais aussi de plus en plus performante en rallye, au point de s’adjuger le titre mondial trois années de suite (1971, 1972 et 1973). La légende de la Berlinette s’écrit à coup d’exploits sportifs mais la situation de l’entreprise n’est pas aussi florissante qu’il n’y paraît. La production est paralysée de longues semaines en 1972, suite à une grève générale. Cette épisode fragilise l’entreprise tout en dégoûtant Jean Rédélé qui va finir par la céder en 1973 à Renault. C’est la fin de l’indépendance mais pas la fin de la carrière de l’A110.

Cette dernière continue d’évoluer, mais au rythme de sa soeur A310. En 1973, la 1600 SC (138 chevaux) fait son apparition dans la gamme puis en 1974, c’est au tour de la 1600 SI (même moteur, mais à injection, pour 140 chevaux). Dès lors, la fin de carrière s’approche et en juillet 1976, seul un unique modèle subsiste, la 1600 SX de 95 chevaux. Il s’éteindra un an plus tard, en juin 1977, après 7 176 exemplaires produits en France.

L’A110 1600 SX, dernière de la série, reconnaissable à ses jantes d’A310

Une carrière internationale

L’A110 n’a pas été produite qu’en France. Soucieux de faire rentrer de l’argent dans les caisses, Jean Rédélé avait cédé des licences de fabrication à l’étranger, tant pour l’A108 que l’A110. On trouve ainsi des A110 produites sous la marque FASA-Renault en Espagne, des Dinalpin au Mexique, des Willys Interlagos au Brésil et même des Bulgaralpine en Bulgarie. Après 15 ans de carrière, des victoires en rallye, une production internationale et une ligne inimitable, l’A110 est devenue le symbole d’Alpine, bien que moins fabriquée que l’A310 sur une durée plus courte. C’est elle qui inspirera les designers et les ingénieurs de Renault pour faire revivre la marque en 2017.

Aujourd’hui, vu le nombre de versions existantes, on trouve des A110 à tous les prix, mais quoi qu’il arrive, le rêve a un prix de plus en plus élevé tant la Berlinette a marqué les esprits et continue de le faire. Mais que voulez-vous, cette adorable petite boule de muscles, le plus souvent bleue, avec sa bouille adorable et son équilibre étonnant n’en finit pas de séduire, et ce n’est pas près de s’arrêter. Le prix de la nostalgie.

Paul Clément-Collin

Paul Clément-Collin

Paul Clément-Collin est une figure reconnue du journalisme automobile français. Fondateur du site culte Boîtier Rouge, sacré meilleur blog auto aux Golden Blog Awards 2014 et cité parmi les médias auto les plus influents par Teads/eBuzzing et l’étude Scanblog Advent, il a ensuite été rédacteur en chef de CarJager et collaborateur de Top Gear Magazine France. Journaliste indépendant, spécialiste des voitures oubliées, rares, iconiques ou mal-aimées, il cultive une écriture passionnée et documentée, mêlant culture auto, design, histoire et anecdotes authentiques, et intervient également sur des événements majeurs comme le Mondial de l’Auto.

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