

Qui a dit que les constructeurs allemands ne savaient pas s’amuser ? En partant du très austère Geländewagen conçu par Mercedes en collaboration avec Steyr-Puch dans les années 1970, la firme stuttgartoise n’a pas hésité, depuis une trentaine d’années, à multiplier les variantes les plus improbables. De la sorte, s’éloignant de plus en plus de sa définition initiale mais sans toutefois trahir ses fondamentaux, le premier véhicule tout-terrain étoilé a sans cesse repoussé les limites de l’imaginable, comme en témoignent, entre autres, les versions surélevées développées à partir de 2013. Puissantes, luxueuses et exotiques jusqu’à la caricature, ces machines très convoitées par les frimeurs de tout poil dispensent aussi des sensations de conduite très particulières…



La plus atypique des Mercedes
Si le catalogue Mercedes actuel se trouve littéralement envahi par les SUV – à tel point que le GLC est, au niveau mondial, devenu le véhicule le plus vendu du constructeur –, à la fin des années 1970 personne ne s’attendait à ce que la marque allemande se risque dans un segment de marché encore exotique et où ne s’ébattaient que des machines telles que les Range Rover ou Jeep Wagoneer. Pensé en premier lieu comme un engin à vocation militaire, le G, successivement rejeté par la Bundeswehr (au profil de la Volkswagen Iltis) puis victime collatérale de la révolution iranienne survenue l’année même de son lancement commercial (dans ses dernières années, le régime du Shah s’était intéressé de très près à la réalisation germano-autrichienne), dut se civiliser un minimum avant d’intégrer le catalogue Mercedes. Choc culturel garanti pour la clientèle usuelle de la firme à l’étoile qui, en ce temps-là, opérait encore son choix parmi une gamme bien plis restreinte qu’aujourd’hui, ne comportant que deux berlines (la « gamme basse » de la série 123 et la Classe S), un coupé et un break établis sur la base 123, une limousine (la moribonde 600) ainsi que les coupés et cabriolets SL/SLC.
Le couteau suisse de Graz
Cependant, en dépit des efforts consentis pour le rapprocher, autant que faire se pouvait, d’une Mercedes traditionnelle, à l’instar de la Range Rover le Geländewagen va débuter sa carrière sous la forme d’un engin dépourvu de tout luxe, à la finition plutôt rustique et tout entier tourné vers l’efficacité d’un comportement hors goudron immédiatement salué par les bons connaisseurs des acrobaties forestières ou montagnardes – sans parler des capacités de l’auto à évoluer dans les sables du Sahara, comme en témoigne la victoire de l’équipage Jacky Ickx/Claude Brasseur obtenue au volant d’un 280 G à l’issue du Paris-Dakar 1983. De fait, ce break surélevé au design fonctionnel n’a pas été dessiné pour séduire, mais sa versatilité ne connaît pratiquement aucun équivalent, ni chez Mercedes ni chez ses concurrents. Tour à tour véhicule de liaison (la Bundeswehr finira par en commander quelques exemplaires), ambulance ou camionnette tout-terrain, le G devient très vite le partenaire de tous ceux qui, pour leur travail, doivent emprunter les chemins les moins carrossables, notamment en montagne. Il préservera longtemps cette vocation, tout en s’orientant parallèlement, à partir de la fin des eighties, vers un embourgeoisement comparable à celui de la Range ou, dans une moindre mesure, du Toyota Land Cruiser HDJ.
Comme un dragster sur échasses
Se muant peu à peu en l’une de ces automobiles de luxe dont l’atypisme façonne le charme, le G ne va pourtant pas se contenter, comme son éternel concurrent britannique, de décorer son habitacle avec du cuir et des boiseries ou d’enrichir son équipement de fonctionnalités électriques empruntées à la Classe S. Techniquement parlant, le plus luthérien des SUV – catégorie dont, sans en avoir l’air, il a été l’un des pionniers – va alors se livrer à une sorte de débauche mécanique absolument délirante, à base de V8 et même de V12 de plus en plus puissants, et qui surpasseront assez vite les capacités d’un châssis conçu, à l’origine, pour encaisser les modestes 156 chevaux des premiers 280 GE (ceux qui, par exemple, se sont risqués à arsouiller au volant d’un G 55 AMG me comprendront…). Engin paradoxal s’il en est, celui qui, à sa naissance, n’était qu’un outil spartiate et laborieux devient, dans les années 2000, un joujou à la mode dont la clientèle réclame sans répit toujours plus de folie et de déraison. Devenu (et de loin) le doyen de la gamme, celui qui se nomme désormais « Classe G » va alors, à son couchant, pousser encore plus loin l’extravagance en proposant consécutivement, à partir de 2013, trois variantes dont la définition technique réjouit les amateurs de dingueries à quatre (voire six) roues, mais épuise les qualificatifs !

De quatre à six roues
La fête commence donc il y a douze ans avec le G 63 AMG 6×6, dérivé d’une version militaire du G développée pour l’armée australienne et doté, comme sa dénomination l’indique, de six roues motrices ! Mais les ingénieurs de Mercedes et Magna-Steyr ne se sont pas arrêtés là et ont joyeusement surélevé une machine qui n’en demandait pas tant (une Classe G « normale » atteignait déjà 1,93 mètre de haut à l’époque). Juché sur des ponts-portiques spécialement développés pour lui, le Geländewagen ainsi modifié atteint à présent 2,25 mètres de haut et 44 centimètres de garde au sol. Avec, de surcroît, des voies élargies de 30 centimètres, c’est peu dire que le G à six roues en impose dans le trafic, d’autant que les 544 chevaux du V8 lui garantissent des performances honorables pour un tel bahut. « À quoi ça sert ? » persifleront sans coup férir les pisse-vinaigre patentés… À rien, bien entendu, d’autant que sur la centaine d’exemplaires produits, peu auront connu autre chose que le bitume. C’est là toute la beauté de la chose : avec son système de contrôle de la pression des pneus et ses capacités d’évolution hors goudron quasiment surnaturelles, il s’agit avant tout, un peu comme une Bugatti Chiron, d’un très bel objet que pratiquement personne ne poussera dans ses retranchements. Il reste à admirer…
Une dernière folie pour la route
Mercedes remettra le couvert en 2015 puis en 2017 avec deux réalisations très inspirées du G 63 6×6, mais à quatre roues cette fois. Le plus « raisonnable » des trois est incontestablement le G 500 4×42, doté du V8 biturbo AMG toujours assemblé de nos jours. Utilisable jusqu’à un certain point (n’espérez pas pénétrer dans un parking souterrain à son bord), l’auto réussit l’exploit de banaliser les G 63 AMG de série contemporains, presque banals en comparaison. Mais le plus décadent de la bande n’est autre que le landaulet Maybach à moteur V12 de 630 ch, construit à 99 exemplaires en 2017, alors que le G originel s’apprêtait à tirer sa révérence pour être remplacé par un nouveau modèle, entièrement inédit malgré les apparences. Reposant sur un empattement extra-long (3,43 mètres !) et plus imposant qu’une Classe S châssis long, le G 650 est une somptueuse caricature, s’efforçant de reproduire l’esprit des landaulets 600 ou Maybach 62 S Landaulet tout en reposant sur les mêmes principes techniques que les G 500 4×42 et G 63 6×6. Déjantée, presque clownesque à force d’exacerber des caractéristiques déjà sidérantes, c’est certainement l’une des G-Klasse les plus collectionnables à l’avenir. Les amateurs ne s’y sont pas trompés et, à l’heure actuelle, la cote du Landaulet avoisine les 700 000 euros ! Comme disait l’autre, l’exclusivité n’a pas de prix – mais elle a un coût…






Texte : Nicolas Fourny



