

Beaucoup de ceux qui nous lisent n’étaient pas nés lorsqu’à l’automne de 1980, Citroën offrit, de façon tout à fait inattendue, un ultime coup de jeune au plus ancien de ses modèles d’alors. Élaborée à peu de frais sur une base amortie depuis des lustres, la 2 CV Charleston, authentique coup de génie marketing, permit à l’ancêtre de survivre encore dix ans, jouant de ses charmes vintage dans une époque marquée par la crise économique et la rationalisation de l’offre. Et la recette fonctionne toujours : quarante-cinq ans après, la Charleston reste ainsi l’une des 2 CV « modernes » les plus appréciées…



L’un des pans de la légende
Avec la Traction et la DS, la 2 CV fait partie des Citroën les plus connues, les plus aimées et les plus collectionnées – à tel point que, de nos jours, sa cote a pu susciter quelques aigreurs d’estomac chez les grincheux professionnels, toujours prêts à se plaindre (en vain, bien entendu) devant des prix de vente qu’ils estiment volontiers indécents. Et ce n’est pas la Charleston qui va leur rendre le sourire : à l’heure où ces lignes sont écrites, la cote LVA donne ainsi une valeur oscillant entre 10 500 et 14 500 euros – un montant qui peut être allègrement dépassé pour des exemplaires en parfait d’état d’origine ou entièrement restaurés (en 2024, lors de sa traditionnelle vente organisée durant le salon Rétromobile, Artcurial a vendu une Charleston de 1990, totalisant seulement 6000 kilomètres, pour un peu moins de 31 000 euros). Cependant, une fois ces viles considérations matérielles mises de côté, le plus intéressant consiste à se pencher sur les origines de la Charleston, son histoire et la place qu’elle occupe dans la longue histoire de la « Deuche ».
Un mythe en fin de vie
Comme chacun sait, la 2 CV a été officiellement présentée dans le cadre du Salon de Paris 1948, pour achever sa carrière au début de l’été 1990, lorsque les dernières unités construites ont quitté l’usine de Mangualde, au Portugal. Et, bien sûr, en quarante-deux ans de production (et un peu plus de cinq millions d’exemplaires au total), les évolutions du modèle furent tellement nombreuses qu’il faudrait tout un volume pour en effectuer la recension. Certaines de ses variantes et séries spéciales se sont toutefois inscrites durablement dans la mémoire collective, telles que la fourgonnette apparue en 1950, la Sahara à deux moteurs de 1958 ou la Charleston qui nous occupe aujourd’hui et qui, sur le stand Citroën du Salon de Paris 1980, est initialement présentée comme une série limitée, prévue pour un tirage de 8000 exemplaires. La création de la Charleston tombe à pic pour relancer les ventes d’un modèle devenu totalement anachronique et dont la part de marché, en France, dépasse désormais à peine les 1 %.
À bout de souffle, made in France
De la sorte, devenue totalement atypique dans la production de l’époque, la 2 CV est alors une fragile survivante qui, certes, conserve ses adeptes, mais ceux-ci s’avèrent de moins en moins nombreux, ce qui assombrit les perspectives de la doyenne des Citroën. C’est que, depuis une bonne dizaine d’années déjà, l’avenir est aux petites citadines modernes, à la fois plus rapides, plus sûres, plus polyvalentes et plus économiques que la « Deuche », dont la conception originelle remonte à l’avant-guerre. Prenant habilement le contrepied d’une obsolescence devenue presque caricaturale, la firme aux chevrons demande alors à Serge Gevin, qui a déjà signé les 2 CV Spot et Dyane Caban, de créer une nouvelle série limitée destinée à exacerber le côté vintage de la 2 CV, le tout dans les limites budgétaires que l’on imagine. La Charleston, singulièrement nommée en hommage à un temps que la « Deuche » n’a pas connu, ne sera pas la dernière série spéciale développée sur la base de la 2 CV, mais c’est indéniablement celle qui marquera le plus son parcours.

Un enterrement de première classe
En cet automne 1980, la 2 CV entonne ainsi son chant du cygne, mais personne ne le sait encore car, contre toute attente, le succès de la Charleston se révèle foudroyant. Avec sa décoration en forme de clin d’œil aux années 1920, son bicolorisme sophistiqué et un soin attentif porté aux détails, celle qui, techniquement, n’est rien de plus qu’une « banale » 2 CV 6, dont elle conserve l’entièreté des caractéristiques, donne un coup de jeune inattendu à la plus sénescente des Citroën (les deux tiers des acquéreurs de la Charleston ont moins de 35 ans). Devenue marginale au fil des ans et ne séduisant plus, au soir de sa vie, que quelques soixante-huitards attardés, la 2 CV se met de nouveau à séduire une clientèle jeune et urbaine, que son constructeur met volontiers en avant dans ses publicités, et qui se montre sensible à l’originalité du modèle, tellement éloigné de la banalité grise des citadines ordinaires, objectivement plus efficaces mais incapables de rivaliser avec l’insolite séduction du « parapluie à quatre roues » voué à ses débuts aux rudesses de la paysannerie. Située d’emblée au sommet tarifaire de la gamme 2 CV, la Charleston intègre le catalogue régulier de la marque dès le mois de juillet 1981, avec quelques modifications esthétiques (nouvelle sellerie et phares chromés notamment).
Cent kilomètres dans l’heure, les cheveux au vent
Et, de fait, l’engin ne se brade pas : il est piquant de remarquer qu’au début du millésime 1982, la 2 CV Charleston est légèrement plus onéreuse qu’une Visa Spécial, certes dotée d’un moteur à peu près similaire mais dont les prestations d’ensemble sont celles d’une petite voiture contemporaine, à des années-lumière de celles de la « Deuche ». On peut aisément en déduire que le charme n’a pas de prix et cela n’empêchera jamais la plus snob des 2 CV de bien se vendre, sans connaître d’évolutions notables jusqu’à sa disparition. On notera simplement, aux côtés de la combinaison de coloris originelle (rouge Delage/noir) qui sera commercialisée jusqu’à la fin, l’apparition, en novembre 1981, d’une autre proposition, très éphémère puisqu’elle ne durera que deux ans (jaune Hélios/noir) avant d’être remplacée par une plus consensuelle livrée associant le gris Cormoran au gris Nocturne. De nos jours, on trouve de plus en plus d’exemplaires restaurés, fréquemment dotés d’un châssis neuf et de quelques modernisations techniques destinées à en faciliter l’usage (allumage électronique par exemple). Comme toutes les 2 CV 6, l’auto se prêtera encore volontiers à un usage courant, véhiculant une sympathie difficilement égalable et présentant par surcroît l’avantage de préserver vos points de permis. Et puis, cerise sur le gâteau : c’est aussi l’une des découvrables anciennes les plus abordables !






Texte : Nicolas Fourny








