

Parmi les Aston Martin des années 1960, les choses sont assez simples : en schématisant à l’extrême, on peut considérer qu’il y a une seule et unique star – je veux bien sûr parler de l’indépassable DB5, statufiée pour l’éternité grâce à James Bond – captant toute la lumière et, pour le grand public du moins, rejetant dans l’ombre les autres modèles de la même série. Car, de la DB4 qui nous occupe aujourd’hui à la DB6, il s’agit bel et bien d’un seul et unique modèle, construit douze années durant en bénéficiant de multiples évolutions mécaniques et esthétiques qui ont plus ou moins justifié les changements de dénomination, d’où des durées de vie relativement courtes. Toutes les Aston de ce temps-là partagent donc tous leurs fondamentaux ; du design signé Touring au légendaire six-cylindres, tout était déjà là dès 1958, quand la DB4 accomplit ses premiers tours de roues…



Une pionnière nommée DB2
Rachetée par l’industriel David Brown en 1947, en même temps que la firme Lagonda, Aston Martin a déjà alors plus de trente ans d’existence – un parcours jalonné par des difficultés financières et des rachats successifs. Lui apportant une réconfortante stabilité, Brown va demeurer le propriétaire de l’entreprise (dont la dénomination officielle devient alors Aston Martin Lagonda, après l’agrégation des deux firmes) durant les vingt-cinq années qui vont suivre ; c’est sous sa férule que l’identité de la marque, telle qu’on la connaît aujourd’hui encore, va peu à peu se constituer, Aston se ménageant une place très spécifique dans l’univers encore balbutiant des automobiles de grand tourisme européennes, pouvant rivaliser aussi bien avec les Jaguar que les Ferrari, les Maserati ou les roadsters et coupés Mercedes-Benz les plus ambitieux. C’est dans ce contexte que la série des DB2 voit le jour en 1950. Animée par un robuste six-cylindres en ligne initialement dessiné par Walter Owen Bentley pour le compte de Lagonda, puis revu par l’ingénieur Tadek Marek, l’auto se taille rapidement une jolie réputation auprès des amateurs fortunés et amateurs d’exclusivité auxquels Aston Martin s’adresse prioritairement, comme le ratifie la production de l’auto, circonscrite à seulement 1726 exemplaires jusqu’en 1959. Présentée au Salon de Paris à l’automne précédent, la DB4 va afficher de tout autres ambitions…
De nouvelles ambitions
Par rapport aux ultimes DB Mark III, la nouvelle voiture représente ce que l’on appellerait vulgairement de nos jours une « montée en gamme » et change de dimension, au propre comme au figuré. Plus volumineuse que sa devancière et basée sur un nouveau châssis, l’auto reçoit également un moteur inédit, entièrement conçu par Tadek Marek cette fois. Il s’agit d’un six-cylindres de 3,7 litres développant 240 ch SAE à ses débuts, permettant à la DB4 d’atteindre les 225 km/h en pointe – ce qui signifie que la GT britannique peut soutenir le rythme d’une Ferrari 250 GT. L’ensemble fait appel à des solutions éprouvées côté liaisons au sol (si un pont De Dion est testé durant le développement de l’auto, on lui préférera en définitive un essieu rigide), tandis que le freinage est confié à quatre disques, solution rarissime à l’époque. Mais c’est avant tout par son design que la nouvelle Aston retient l’attention : la DB4 est allée s’habiller en Italie, chez Touring plus précisément, pour le compte duquel le styliste Federico Formenti a dessiné une carrosserie tout en aluminium, élaborée selon le principe « Superleggera » breveté par le carrossier. Tout à la fois élégante, d’une agressivité de bon aloi et suggérant la performance, la physionomie de la DB4 est une grande réussite, unanimement saluée et qui, on l’a vu, va perdurer de longues années durant.

La course à la puissance
En ce temps-là, deux pays dominent le paysage des GT en Europe : l’Angleterre et l’Italie, qui ont inventé le concept en s’inspirant des sportives les plus raffinées de l’avant-guerre. Et il se trouve que les constructeurs de chacune de ces contrées ont choisi un typage mécanique spécifique : schématiquement, aux Italiens les V8 et les V12, tandis que les Anglais, chez Aston Martin comme chez Jaguar, vont tout miser sur les straight six jusqu’à la fin des années 1960 – sans d’ailleurs que cela n’engendre un déficit de performances, comme la DB4 ou la Type E vont amplement le démontrer. Chez Aston, le nouveau six-cylindres n’en est encore qu’au début de son développement et Marek va s’employer à exprimer tout son potentiel, non sans résoudre les problèmes de lubrification des premiers exemplaires, qui laisseront plus d’un propriétaire déconfit après avoir tiré un peu trop longtemps sur leur mécanique… Cela commence dès le printemps 1959 avec la DB4 GT, version radicale du modèle destinée tout autant à la compétition qu’aux gentlemen drivers désireux de dévorer les kilomètres à son volant. Bâtie sur un empattement raccourci de 12,7 centimètres, ce qui entraîne la suppression des places arrière, la DB4 GT reçoit par ailleurs une carrosserie allégée ainsi que des vitrages en plexiglas pour les custodes et la lunette arrière. De son côté, le valeureux six-cylindres n’est pas en reste ; alimenté par trois carburateurs double corps Weber et bénéficiant d’un double allumage, le moteur de la GT atteint à présent les 302 ch à 6000 tours/minute, l’auto pouvant dorénavant rouler à 245 km/h !
Un joli brouillon pour la DB5
La GT reçoit également des phares carénés qui feront école ; proposés en option aux acheteurs de la DB4 « de base », on les retrouvera également sur la version Vantage présentée en septembre 1961, conservant l’empattement normal de 2,49 mètres et disposant de 266 ch, puis sur les DB5 et DB6 qui prendront la suite de la DB4. De surcroît, sur la base de la GT, Zagato élaborera une machine de légende, dessinée par Ercole Spada et taillée sur mesure pour rivaliser avec une certaine 250 GTO – mais sans connaître le même succès, loin s’en faut, même si c’est aujourd’hui la variante la plus cotée de la famille. Déclinée en cinq séries successives jusqu’à l’automne de 1962, la DB4 évoluera par petites touches, tout autant sur le plan mécanique qu’esthétique, la gamme s’enrichissant d’un très joli cabriolet (pas encore baptisé Volante) en 1961. Peu à peu, la DB4 Vantage va prendre le pas sur sa matrice et représentera les deux tiers des voitures de la Series V. Laquelle, rallongée de neuf centimètres, dotée d’un toit légèrement rehaussé et nantie d’office des fameux projecteurs sous globe, ne se différencie guère, en apparence, de la DB5 présentée en au Salon de Francfort 1963 (et qui a bien failli s’appeler DB4 Series VI !). Produite à 1110 exemplaires dont soixante-dix cabriolets, soixante-quinze GT et quinze GT Zagato, la DB4, si elle n’a pas la notoriété de celle qui l’a remplacée, constitue toujours une valeur sûre et continue d’attirer les connaisseurs ; c’est surtout un précieux jalon dans l’histoire d’une firme qui, de nos jours encore, n’a pas fini de nous faire rêver !






Texte : Nicolas Fourny