

C’est peu dire qu’en dix-sept ans de carrière, la CX aura fait feu de tout bois : berline ou break, essence ou Diesel, moteurs atmosphériques ou suralimentés, la grande routière Citroën des années 70 et 80 proposait un catalogue bien plus étendu que celui de sa légendaire devancière. Elle pouvait ainsi s’adresser tout autant aux voyageurs de commerce, qui profitaient d’un confort et de qualités routières d’exception dès les versions de base du modèle, qu’aux capitaines d’industrie ou aux responsables politiques de premier plan, soucieux de « rouler français » sans rien perdre de leur standing. C’est à ces derniers que l’ex-Quai de Javel a songé en proposant, dès 1976, une variante dénommée « Prestige », qui perdura jusqu’à l’arrêt de production des berlines CX, treize ans plus tard. Nous nous intéressons aujourd’hui aux premiers millésimes de la plus élitaire des Citroën d’alors…



Faute de grives…
Au vrai, l’appellation « Prestige » ne date pas de la CX. C’est, dès 1958, la DS qui a eu l’honneur de l’étrenner mais, contrairement à sa descendante, l’auto reposait sur le même empattement que ses sœurs de gamme. Il faut dire qu’avec ses 3,12 mètres, celui-ci suffisait amplement pour ménager une place suffisante aux jambes des passagers arrière – y compris celles du Général qui, comme chacun sait, roula très longtemps en DS. Avec la CX cependant, ce n’est pas tout à fait la même limonade : avec ses 4,66 mètres, la berline dévoilée à la fin de l’été 1974 apparaît plus compacte que son aînée, plus longue de 16 centimètres et qu’elle n’est d’ailleurs pas censée remplacer, si l’on en croit le discours officiel de Citroën. Mais la prise de contrôle de la firme aux chevrons par Peugeot va précipiter la fin de la DS, qui quitte la scène dès le mois d’avril 1975, c’est-à-dire à un moment où le catalogue CX est encore embryonnaire : il se cantonne en effet à deux motorisations héritées de feue la série D, dont elles animaient le bas de gamme. C’est que le moteur rotatif Wankel, expérimenté sur l’éphémère GS Birotor, et qui était initialement destiné à animer les variantes les plus ambitieuses de la CX, est abandonné en rase campagne, condamnant la nouvelle venue à recycler, pour ses futures versions haut de gamme, les « vieux » moteurs de la DS…
L’ironie du sort
Il est difficile d’ignorer qu’à vingt ans de distance, l’histoire se répète : la DS elle-même devait recevoir un flat-six inédit, très prometteur sur le papier mais que ses difficultés de mise au point envoyèrent au rebut – ce qui explique que les premières DS 19 abritèrent, faute de mieux, le quatre-cylindres issu de la Traction ; cela n’a pas empêché le modèle d’évoluer, en passant par le groupe à cinq paliers dévoilé en 1965 et dont l’évolution ultime fit le bonheur des conducteurs de DS 23. Il faut néanmoins attendre le mois de janvier 1976 pour voir réapparaître ce moteur sous le capot de la CX – et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de la Prestige qui nous occupe aujourd’hui. Pourtant, de façon incompréhensible, ce n’est pas la version à injection électronique Bosch du 2,3 litres qui est retenue dans un premier temps : la CX 2400 Prestige – telle est sa dénomination officielle, en léger décalage avec sa cylindrée réelle – doit se contenter d’une alimentation par carburateur. Au bilan, si le gain de puissance est faible par rapport à la CX 2200 (115 ch contre 112), les progrès en matière de couple sont indéniables ; on passe de 17 mkg à 3500 tours/minute à 18,3 mkg à 2750 tours.
La plus raffinée des Françaises
Dans la bonne tradition maison, la CX sommitale peut compter sur sa finesse aérodynamique pour rivaliser avec les Peugeot 604 et Renault 30, certes dotées d’un V6 tout neuf – le fameux PRV – mais pas plus performantes que la Citroën et son roturier quatre-cylindres à arbre à cames latéral… Et la concurrence française n’est pas non plus en mesure d’égaler le raffinement de la Prestige. Établie sur le même empattement que le break, allongé de 25 centimètres par rapport aux berlines, l’auto offre un espace inusité aux places arrière, bénéficiaires exclusives de l’opération, et qui disposent de 60 % d’espace en plus par rapport à la DS ! Toutefois, l’intérêt de la CX « châssis long » ne se borne pas à une habitabilité record. Le niveau d’équipement est à l’avenant, avec un rétroviseur extérieur réglable de l’intérieur – ne rigolez pas, c’était rarissime à l’époque –, des feux antibrouillard arrière, des appuie-tête et des vitres électriques à l’avant comme à l’arrière, des repose-pieds spécifiques à l’arrière ou encore un système de chauffage renforcé. En option, les clients les plus exigeants peuvent obtenir, entre autres, une sellerie cuir, un climatiseur ou une séparation chauffeur.

Le temps où Citroën osait encore
Tarifée 56 000 francs en septembre 1976 (environ 42 000 euros de 2024), la CX Prestige coûte 40 % plus cher qu’une berline 2400 Pallas – laquelle lui a emprunté son moteur à l’été de la même année, en remplacement du 2,2 litres. Pour fixer les idées, une BMW 528 coûte alors 56 700 francs tandis qu’une Mercedes 250 exige 57 600 francs. Vendues respectivement 46 000 et 42 200 francs, les 604 et R30 s’avèrent sensiblement moins onéreuses que la Citroën mais, on l’a vu, elles n’évoluent pas tout à fait dans le même univers. Pour autant ces comparaisons ne sont qu’indicatives car, au vrai, la Prestige ne connaît aucune concurrente. Pas un seul constructeur généraliste ne propose de modèle réellement équivalent en termes de confort et de raffinement, tandis qu’il faut débourser des sommes bien plus élevées pour rouler en Mercedes Classe S ou en Jaguar XJ, il est vrai nettement plus puissantes et mieux finies que la Citroën, mais moins habitables et plus délicates à contrôler sous la pluie. On ne peut s’empêcher de rêver à ce qu’aurait donné une CX mieux motorisée face aux références de l’époque…
La préférée de Giscard
Ces constats vont demeurer en l’état tout au long de la carrière de la Prestige, assemblée en petite série dans l’usine d’Aulnay-sous-Bois, aux côtés des autres CX (l’ouvrage de référence de Michael Buurma, publié aux éditions Citrovisie, fait état d’une dizaine d’exemplaires par jour en moyenne). Plusieurs millésimes durant, la marque fera l’effort d’éditer de luxueux catalogues spécifiques, entièrement consacrés à la Prestige, qui font aujourd’hui le bonheur des collectionneurs d’automobilia. Dotée d’un toit surélevé – inauguré par l’exemplaire destiné au président Valéry Giscard d’Estaing – à partir de l’année-modèle 1977, la Prestige recevra enfin le moteur à injection qu’elle méritait en 1978, avant que le le 2,5 litres – atmosphérique puis turbo – prenne le relais en fin de carrière. Produite à un peu moins de 30 000 exemplaires jusqu’en 1989, l’auto présente une cote à peu près identique (environ 9000 € en bel état) quels que soient son millésime et sa motorisation, même si l’on voit souvent les prix s’envoler dans les ventes aux enchères. Dans ces conditions et à notre humble avis, autant privilégier le charme vintage, les chromes et l’inox des toutes premières…






Texte : Nicolas Fourny