

Qui aurait pu croire en 1981, lors de la présentation de la toute première Maserati Biturbo, que ce coach élégant mais discret se muerait, dix ans plus tard, en une Shamal à la torride exubérance, assumant sa sauvagerie et semblant prête à cracher des flammes ? On ne peut rien, décidément, contre sa propre identité, et la firme modénaise qui, avec la Biturbo originelle, semblait se vouer à concurrencer la BMW Série 3, a fini par revenir à ses vieilles traditions. Engin singulier, exigeant, d’un exotisme paroxystique, animé par un authentique volcan en guise de moteur, la Shamal a laissé des souvenirs particulièrement épicés à tous ceux qui l’ont pratiquée. Voici pourquoi…



Au commencement était la Biturbo
La grande famille des Biturbo (même si elles n’ont pas toutes officiellement porté cette dénomination) a, pour l’essentiel, animé l’intégralité du catalogue Maserati durant dix-sept ans – les ultimes Quattroporte de quatrième génération, issues de la même base, ayant même poursuivi leur route jusqu’en 2001 ! Pourtant, à ses débuts l’auto en a déconcerté plus d’un, avec ce design volontairement banalisé, directement inspiré de la Quattroporte III mais tranchant très nettement avec celui des berlinettes et des coupés qui avaient jusqu’alors marqué l’histoire du constructeur. Dans ces lignes sobres, élégantes dans leur neutralité et se contentant de suggérer une sportivité tout en retenue, inutile de rechercher le charisme d’une Bora ou d’une Mistral… C’est qu’Alejandro de Tomaso, propriétaire de Maserati depuis 1975, avait décidé de réorienter la marque vers le segment des berlines compactes à caractère sportif, alors en plein essor, porté – déjà – par une certaine Série 3, devenue en peu d’années le mètre étalon de la catégorie.
Ne jamais se fier aux apparences
Cependant, les premiers essayeurs de l’engin ne tardent pas à en déceler le tempérament véritable. Mue par un moteur de feu – en somme, le V6 issu de la Merak, mais profondément retravaillé et, surtout, suralimenté par les deux turbocompresseurs ayant donné son nom à l’auto –, la Biturbo cache bien son jeu et, sous une physionomie que certains jugent anodine, vous attend une automobile de caractère, dont, dès l’abord, la mécanique s’avère pleine de ressources. Bien sûr, nous sommes en Italie au début des années 1980, conséquemment la mise au point n’a pas grand-chose à voir avec celle d’une Porsche 944 mais il se trouvera un nombre assez conséquent d’amateurs pour pardonner ses défaillances à la Biturbo, préférant la fougue et la musicalité du V6 italien au grondement sans éclat du quatre-cylindres allemand, même si la voiture de Stuttgart était bien plus facile à contrôler à la limite. D’autant qu’au fil des ans, la « petite » Maserati ne cessera de développer sa gamme, diversifiant aussi bien ses carrosseries que la puissance de son six-cylindres, lequel passera des 180 ch du 2 litres originel aux 285 ch de l’éphémère variante dite « Racing », tandis que, pour sa part, la cylindrée culminait à 2,8 litres.
Le retour du V8
Parvenue aux limites du développement de son V6 vers la fin de la décennie, la petite officine n’en était pas moins toujours décidée à poursuivre la course à la puissance dans laquelle elle s’était lancée et n’avait pas du tout l’intention de laisser le champ libre à la concurrence. Présentée dans les derniers jours de 1989, la Shamal – baptisée d’un nom de vent, selon une vieille tradition maison – était donc censée couronner la gamme en retrouvant le prestige du huit-cylindres. En l’occurrence, un V8 inédit mais, à la vérité, étroitement dérivé du V6 qui faisait les beaux jours de la Biturbo et de sa descendance depuis huit ans. Ce qui n’empêchait pas le nouveau moteur de tenir toutes ses promesses de sa fiche technique, qui s’inspirait directement – et pour cause – des solutions retenues pour le six-cylindres. D’une cylindrée de 3,2 litres et disposant de quatre soupapes par cylindre, le V8 Maserati recevait donc lui aussi le renfort de deux turbos IHI accompagnés de leurs échangeurs air/air, ce qui lui permettait d’afficher la confortable puissance de 326 ch à 6000 tours/minute, le couple atteignant de son côté les 431 Nm délivrés dès 3000 tours. Les chronos étaient à l’avenant et tutoyaient ceux d’une Porsche 928 GT, avec 270 km/h en pointe et le kilomètre départ arrêté abattu en un peu plus de 26 secondes.

Chassez le naturel…
Là s’arrêtent toutefois les comparaisons, car les deux voitures ne s’adressent évidemment pas à la même clientèle. Au design sophistiqué et à la rigueur toute germanique de la 928, la Shamal – œuvre d’un Marcello Gandini que l’on a connu plus inspiré – ressemble à ce qu’elle est, c’est-à-dire à une Biturbo sous anabolisants, hypertrophiée à tous égards et flirtant même avec une certaine vulgarité. Construite sur l’empattement le plus court de la famille Biturbo (celui des Karif et Spyder) et souffrant d’un déséquilibre structurel (59 % du poids pèse sur l’avant), l’auto ne donne le meilleur d’elle-même qu’entre des mains expertes, mais même les pilotes les plus aguerris seront bien avisés de prendre toutes les précautions d’usage sur le mouillé…
Plus sulfureuse que désirable
Totalement décalée par rapport à ses rivales potentielles, la Shamal n’aura trouvé que 369 clients en six ans de production. Réputé pour sa violence et son indomptabilité, le modèle a souffert de la réputation de fragilité (pas toujours justifiée) de son constructeur et d’un style très vite ringardisé par la sublimissime 3200 GT, qui en reprenait la mécanique mais avec un tout autre langage stylistique, aussi plébiscité par la clientèle que la Shamal aura été boudée. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Son allure très datée continue de rebuter certains collectionneurs mais, à l’inverse, elle peut séduire les amateurs de raretés et que la brutalité de l’engin ne rebutera pas. Et ceux-ci sont sans doute plus nombreux qu’on pourrait le penser car, de nos jours, une belle Shamal se négocie quasiment deux fois plus cher qu’une 3200 GT dans le même état. À méditer…






Texte : Nicolas Fourny