

Si vous avez eu un jour la chance de croiser une Bugatti de l’âge contemporain (depuis la Veyron, donc) dans la rue ou sur la route, je suis sûr que vous n’oublierez jamais les émotions que vous avez ressenties alors – pour ma part, c’est toujours un mélange d’admiration et de cette sorte de plaisir chimiquement pur que n’importe quel petrolhead éprouve au passage d’une telle quintessence technique et esthétique. Construites chacune à quelques centaines d’unité, les Veyron puis Chiron ont successivement symbolisé l’idée automobile dans ce qu’elle a de plus abouti et de plus rare, et la récente Tourbillon vient de prendre fastueusement le relais. Toutefois, si vous les trouvez encore trop communes, Bugatti a une solution, dont la Brouillard constitue le premier avatar !



Vers l’infini et au-delà
Le monde de l’automobile comporte ses hiérarchies, plus ou moins intangibles selon les époques mais néanmoins bien identifiées par tout un chacun dans leur verticalité. Il y a d’abord les constructeurs de masse – ce qui ne veut pas dire qu’ils sont incapables de concevoir des voitures dignes d’intérêt –, puis les marques dites « premium », elles-mêmes surplombées par l’univers du luxe véritable. Et puis, à une altitude encore bien supérieure, naviguent des labels exacerbant encore davantage l’excellence ingénieriale, repoussant sans cesse les limites de la sophistication et entretenant une course à la puissance que le profane juge volontiers superfétatoire mais que les amoureux de la « bagnole » savent saluer en connaisseurs – y compris s’ils ne sont pas en capacité de débourser les dix à quinze millions d’euros qui semblent baliser le territoire probable de la Bugatti Brouillard, en termes de prix de vente, notion épouvantablement vulgaire s’agissant d’une telle auto. Chacun connaît la formule consacrée : « Si vous demandez le prix, c’est que vous n’avez pas les moyens de vous l’offrir »…
Le ciel est la limite
Plus ambitieuse encore que la première, la seconde renaissance de Bugatti, opérée sous l’égide du groupe Volkswagen à partir de 1998 – après la courageuse mais éphémère tentative de Romano Artioli au début de la même décennie – s’est immédiatement inscrite dans un univers exclusivement et noblement superlatif. Noblement, parce que la Veyron 16.4, dès sa révélation, a marqué les esprits par la volonté de ses concepteurs, travaillant sous la férule exigeante (et un rien mégalomaniaque) de Ferdinand Piëch afin de donner naissance à un engin dont les caractéristiques, aujourd’hui encore, laissent rêveur. Depuis lors, la firme alsacienne n’a pas dévié de cette philosophie et la Chiron de 2016, dont dérive la Brouillard qui nous occupe ici, a fait en sorte de se maintenir au firmament de la construction automobile même si, en termes de puissance brute, voire de chronos, certains petits manufacturiers, tels que Koenigsegg par exemple, sont parvenus à faire encore mieux.
Le W16 n’est pas tout à fait mort
Formellement, la production de la Chiron s’est arrêtée en 2024 mais, depuis sa naissance huit ans auparavant, le modèle a donné naissance à plusieurs dérivés, construits en série plus que limitée comme il se doit – voire même, à l’instar de la Voiture Noire ou de la Brouillard, en un seul exemplaire. Ainsi, celle-ci dérive-t-elle du roadster Mistral – mais, comme on va le voir, elle ne borne pas à en constituer la version fermée. Présentée en 2022, la Mistral devait être la dernière Bugatti utilisant le fameux moteur à 16 cylindres en W et quatre turbocompresseurs, initialement développé pour la Veyron et qui, en deux décennies, n’aura cessé d’évoluer. De la sorte, en partant des 1001 chevaux qui avaient fait couler tant d’encre en leur temps, la puissance en est arrivée à la valeur, plus stupéfiante encore pour un moteur thermique, de 1600 chevaux, aussi bien dans la Chiron Super Sport que dans la Mistral. Pour autant, la Brouillard, tout en reprenant l’entièreté de la fiche technique de la Mistral, raconte une tout autre histoire…

Quand l’automobile devient œuvre d’art
Première réalisation du programme Bugatti Solitaire, présenté comme « ultra-exclusif » par la marque car il va encore plus loin que du programme « Sur Mesure », et qui vise à créer chaque année deux automobiles uniques au maximum, la Brouillard correspond sans coup férir aux prolégomènes de celui-ci, tels que décrits par Henrik Malinowski, l’actuel taulier de Molsheim : « Chaque Solitaire, joyau précieux, incarnera l’unicité absolue, avec une minutie surpassant celle des plus prestigieuses œuvres de l’automobile ». La Brouillard reprend le nom du cheval préféré d’Ettore et s’efforce ainsi d’établir une filiation directe avec les modèles d’avant-guerre. Exercice délicat, persifleront les puristes, pour un constructeur mis en sommeil quatre décennies durant, mais cela n’empêche pas l’objet de se révéler fascinant à tous égards, en particulier dans l’habitacle.
Le paradis est dans les détails
Pensée elle aussi pour rendre hommage au Bugatti des origines, allant jusqu’aux créations du frère et du père d’Ettore – Rembrandt pour les sculptures et Carlo pour le mobilier –, la cabine de la Brouillard, très proche dans sa structure de celle de la Mistral, a été définie en étroite collaboration avec l’heureux propriétaire de l’auto et est dominée par d’exquises nuances de vert et d’élégants clins d’œil à l’univers équestre. On y trouve, entre autres, des motifs de chevaux brodés sur les dossiers des sièges et les panneaux de porte ainsi que des motifs tartan tissés sur mesure. Usiné dans un seul bloc d’aluminium, le levier de vitesses recèle un insert de verre contenant une sculpture miniature représentant le pur-sang d’Ettore. L’ensemble se trouve éclairé par un toit vitré – le soleil lui-même pourra ainsi éclairer sans trêve la magnificence d’un environnement dont la seule existence suffit à rendre la vie plus belle !






Texte : Nicolas Fourny