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Jeep Cherokee "XJ" : quand la French Touch révolutionna l'Amérique !
PAUL CLÉMENT-COLLIN - 11 mai 2015Le 9 mars 1987 est un jour noir pour l’industrie automobile française ! C’est en effet ce jour-là qu’est signé par Renault et Chrysler l’acte de vente d’AMC-Jeep, sonnant la fin peu glorieuse de la conquête de l’Ouest pour le constructeur français. En France, tout le monde pousse un « ouf » de soulagement : Renault encaisse un gros chèque d’1,5 milliards de dollars, et semble enfin sortir d’un piège que beaucoup pensaient dramatique pour la firme. Raymond Lévy, le nouveau patron de la Régie, semble être le nouveau sauveur d’une marque exsangue. En gros, tout le monde pense que Renault limite la casse et ne s’en sort pas si mal. Erreur !
Il est vrai que la mort brutale de Georges Besse le 17 novembre 1986, lâchement assassiné par un commando d’Action Directe avait sérieusement secoué l’Etat Major de Renault. Bien sûr, cela faisait quelques temps que la situation financière difficile de Renault comme d’AMC faisait réfléchir Besse, hésitant entre fermer boutique, vendre la marque américaine, ou continuer l’effort pour profiter des investissements déjà consentis en Amérique. Mais l’emblématique patron avait tranché : AMC-Jeep resterait dans le giron de Renault. Sa mort vint tout bouleverser. Sans un chef fort et visionnaire, il était difficile pour Renault de maintenir ses positions outre-Atlantique, tandis que Chrysler ,emmené par son patron non moins visionnaire Lee Iacocca, attendait en embuscade le carnet de chèque à la main ! C’était une aubaine pour Raymond Lévy, le successeur de Besse, qui ne se fit pas prier pour empocher le Grisby et sauver « le soldat Renault ».
Pourtant, avec le recul, c’était bien Georges Besse qui avait raison. Ce qui semblait un boulet (AMC) détenait pourtant deux pépites. La première ? La marque Jeep bien sûr, qui venait de lancer son nouveau modèle, le Cherokee dit « XJ » en 1984. La seconde ? Le français François Castaing qui passera avec armes et bagages chez Chrysler après la vente ! Les hommes de chez Renault avaient devant leurs yeux tous les indicateurs qui passaient au vert, mais la pression due à la situation financière du moment et à la disparition brutale de leur PDG ne leur permit pas de voir ce que Lee Iacocca lui avait vu : la roue allait tourner pour AMC-Jeep. Castaing lui, comme Besse, l’avait bien compris, voilà pourquoi il resta au sein du groupe Chrysler.
Mais revenons en arrière pour mieux comprendre ce qui était en train de se passer, et que Renault ne sut pas voir. C’est à partir de 1979 que Renault commence à investir au sein d’AMC, grimpant à 46 % du capital. C’est aussi à ce moment-là que Castaing est envoyé par Renault aux Etats-Unis pour diriger l’ingénierie du constructeur américain ! A partir de cette date, ce sera la révolution chez AMC, sous l’impulsion d’un français bien décidé à rationnaliser, moderniser et appliquer de nouvelles méthodes chez les yankees. 1979, c’est aussi l’année du deuxième choc pétrolier, signant (pour un temps) la fin des big blocks gloutons. Le Cherokee (type SJ) avec ses gros V8, se retrouve en grande difficulté. Castaing va alors habilement mêler « l’american way of life » à une vision plus européenne de la voiture, donnant naissance à ce qui allait devenir l’un des plus gros succès de l’automobile américaine : le Cherokee type XJ.
Le Cherokee type SJ commençait à devenir ringard et peu adapté au marché !Adieu V8, place à un 4 cylindres 2,5 litres économe ! Adieu châssis séparé, place à la monocoque ! A l’inverse de ses concurrents, Jeep s’oriente vers un modèle léger, robuste, économe, pratique, séduisant (sa ligne est intemporelle), tout en respectant les codes américains. En bref, un chef d’oeuvre d’ingénierie et de marketing. En 1984 paraissait le Cherokee, ringardisant toute la concurrence avec une offre hyper adaptée. La baisse du prix du pétrole permit même d’adopter des moteurs plus gros et plus puissants comme les 6 cylindres 2,8 litres (V6) puis le 4 litres culminant (L6, 175 puis 183 chevaux), rendant le XJ super performant vue la légèreté de l’engin. Un turbo-diesel d’origine Renault fut aussi proposé (88 ch, attention!) notamment pour l’export, puis un VM de 115 ch. Renault se chargeait de la diffusion en Europe occidentale (le contrat durera jusqu’en 1992, avant d’être transféré à Sonauto). Ultra performant en 4 roues motrices, il deviendra une icône dans le monde du 4×4, mais sera aussi proposé en version 2 roues motrices (propulsion), preuve s’il en était que le XJ voulait conquérir tous les segments du marché. Il sera d’ailleurs proposé en version 3 ou 5 portes, pick up, et en version luxueuse (Wagoneer, Limited) concurrençant jusqu’au Range Rover !
Dans le même temps, un grand chambardement changeait radicalement AMC : les investissements consentis par Renault permirent la modernisation de l’outil industriel, le lancement de projets pertinents comme la Premier (lire aussi : Eagle Premier) qui servira de base par la suite au renouveau de Chrysler. Surtout, Castaing appliqua de nouvelles méthodes, comme la conception assistée par ordinateur, ou un meilleur système de communication interne, ainsi qu’une nouvelle organisation par plate-forme. Au moment de la vente d’AMC-Jeep par Chrysler, c’est une entreprise performante, moderne, en avance sur bien des constructeurs américains, que présente Renault. Les ventes du XJ explosent pour atteindre 187 136 exemplaires en 1987 ! Ah, si Renault avait tenu bon !
Renault assura la distribution des Jeep en France jusqu’en 1992Car si le XJ crevait les plafonds (il s’en vendra 2 932 013 exemplaires jusqu’en 1998, date de sa retraite), Jeep avait dans ses cartons un autre atout, développé par Castaing lui aussi : le Grand Cherokee (type ZJ), qui deviendra lui aussi un best-seller. Lee Iacocca, qui avait mené des négociations entre 1985 et 1987 pour pouvoir utiliser les usines flambant neuves d’AMC, avait pressenti tout cela, et attendait son heure pour faire main basse sur un joyau à moindre coût. Chrysler était pourtant elle aussi au plus mal, avec des produits pas toujours adaptés, vieillots, et ultra sensibles aux coups de boutoirs des japonais sur le marché américain. Avec le rachat d’AMC, c’est la face de Chrysler qui changeait, se mettant au rythme et à l’organisation imprimée par Castaing, utilisant les plate-formes modernes héritées de Renault, et jouissant du formidable succès de Jeep (tout en sacrifiant au passage l’héritage Renault des Alliance et Encore, lire aussi : Renault Alliance et Encore) !
Ce 9 mars 1987 est donc un jour maudit, le jour où Renault a raté le coche d’une stratégie pertinente par manque de courage, et de personnage emblématique comme Georges Besse, capable d’assumer le projet jusqu’au bout. Reste une petite fierté : c’est grâce à des ingénieurs français et une volonté française qu’est né celui qu’on considère comme le SUV parfait, l’initiateur d’un mouvement qui perdure encore aujourd’hui, le Cherokee XJ, celui que Robert Cumberford, journaliste auto réputé, classe parmi les 20 voitures les plus marquantes de tous les temps. Sa large diffusion permet aujourd’hui de s’offrir une voiture mythique pour un prix raisonnable. Son offre produit sans égal vous permettra de choisir votre Cherokee selon vos goûts, besoins, envies ou fantasmes, même si de nombreux exemplaires ont été transformés, défigurés par trop de trail, modifiés à coup de grosse roues et rincés par un mauvais entretien. A vous de faire le tri, le mythe est à ce prix, mais il est accessible !