

En 2022, l’affaire a fait les gros titres de la presse britannique : une Ford Escort RS Turbo de 1985 s’est vendue 722 500 livres sterling – soit environ 869 000 euros. Ce qui, vous vous en doutez, constitue le record absolu pour ce modèle (même les mythiques RS 1600 et 1800 n’atteignent pas de tels sommets)… S’agissant d’une RS Turbo de série, le pedigree de l’engin est plutôt à chercher du côté de ses propriétaires et, en effet, cette Escort – sportive populaire s’il en est – a ceci de particulier qu’elle fut acquise neuve par feue la princesse de Galles, mieux connue sous le surnom de Lady Diana !



L’autre voiture universelle
Si un collectionneur vous affirme, sans autres précisions, qu’il possède une Ford Escort, vous ne serez guère avancé : apparu en 1967, ce nom – en usage jusqu’en 2003 en Amérique du Nord – a été littéralement mis à toutes les sauces depuis près de soixante ans et a pu désigner tout aussi bien d’authentiques légendes du rallye que de médiocres déplaçoirs animés par les pires moteurs Diesel jamais conçus de mémoire d’automobiliste. Dans cette longue histoire, l’Escort Mk3, présentée en 1980, fait figure de tournant majeur puisque c’est avec cette génération que le modèle est passé de la propulsion à la traction. Il était temps : face à la brillante Volkswagen Golf et à la récente Opel Kadett D, l’antique Escort des origines, avec ses roues arrière motrices et ses liaisons au sol dignes d’une charrette marocaine, n’était vraiment plus de saison. Initialement destinée à devenir une « voiture mondiale » (même si sa version américaine ne partage finalement que peu de composants avec la voiture de Cologne), l’Escort est alors un modèle entièrement nouveau et très ambitieux, proposant une gamme extrêmement complète, susceptible de répondre à toutes les attentes du plus important segment de marché en Europe – celui des compactes. Et, aux côtés des versions « civiles », Ford n’oublie pas les amateurs de petites bombes…
La course à la puissance
L’insolent succès de la Golf GTI ayant donné des idées à plus d’un concurrent, Ford ne peut rester à l’écart et marche sur les traces des Opel Kadett GT/E ou Fiat Ritmo 105 TC en proposant, dès le millésime 1981, une Escort XR3 certes séduisante mais dont les 96 chevaux apparaissent encore un peu tendres pour pouvoir rivaliser valablement avec les 110 chevaux de la VW ; bien qu’obtenant un succès commercial honorable, l’engin ne parvient pas à détrôner la voiture de Wolfsburg. Qu’à cela ne tienne, la firme à l’ovale bleu n’en reste pas là et, tout au long de la carrière de l’Escort, va s’astreindre à pousser toujours plus loin les ressources de l’auto – sans que le châssis suive toujours les élans de la mécanique, comme on va le voir… Ainsi, l’apparition de la RS Turbo, à l’automne de 1984, a-t-elle pour ambition de faire définitivement taire les sarcasmes ayant visé la désuétude technique de la XR3 des débuts, son carburateur, sa boîte à quatre vitesses et ses très perfectibles aptitudes routières. Porteuse d’un sigle déjà légendaire, la RS Turbo – c’est le cas de le dire – est attendue au tournant, et sa fiche technique ne déçoit pas les amateurs.

Des chevaux (mais c’est tout)
Toujours doté du groupe CVH, l’engin se met à la page en recevant l’injection Bosch KE-Jetronic déjà vue sur l’éphémère variante RS 1600i, associée à un turbocompresseur Garrett. Sur le papier, ses 130 chevaux surpassent enfin la Golf et tutoient les capacités du brillant 2 litres de la Fiat Ritmo Abarth. De surcroît, l’auto reçoit un kit carrosserie très suggestif – et délicieusement daté quatre décennies plus tard – ainsi que de très belles jantes alu de 15 pouces au design spécifique. Hélas, ces quelques mots suffisent pour énoncer les qualités objectives de la RS Turbo, car ses chronos, certes flatteurs, ne suffisent pas à compenser les insuffisances de ses trains roulants, vite dépassés par les événements dès lors que le conducteur tente d’exploiter la puissance disponible. Pour la plupart des essayeurs de l’époque, cela ravale la voiture au rang de petite frimeuse sans réelle envergure, tout juste bonne à s’aligner au Grand Prix des feux rouges… Pour autant, les Anglais – qui, comme chacun sait, vouent un véritable culte aux Ford de tout poil – ne tardent pas à s’enticher de cette créature aussi lacunaire qu’attachante. Ce d’autant plus que l’une des personnalités les plus populaires du royaume va assurer à la plus puissante des Escort de ce temps-là une publicité absolument inespérée !
Toutes blanches, sauf une
Sur les quelque 8604 Escort RS Turbo construites, seules trois voitures ont été peints en noir – toutes les autres étaient blanches, sans autre choix possible –, dont l’exemplaire de la princesse de Galles, qui en a pris possession en 1985. Strictement de série hormis sa calandre, identique à celle des Escort « normales » dans un souci de discrétion, l’auto n’avait parcouru que 6800 miles quand Ford UK l’a reprise à son illustre première conductrice en 1988. Trente-quatre ans plus tard, cette Escort très spéciale (et restaurée dans les règles de l’art) se trouve parée de l’aura très particulière qui entoure la mémoire de Lady Diana, tragiquement décédée dans les circonstances que l’on sait ; c’est ce qui explique la somme démesurée qu’un collectionneur à l’identité tenue secrète a consenti à débourser pour s’emparer de cette Ford, si banale en apparence et pourtant à jamais inscrite dans les anecdotes de son siècle. La bonne nouvelle, c’est que les RS Turbo plus roturières s’avèrent nettement plus accessibles : 12 000 euros peuvent suffire pour repartir au volant d’un bel exemplaire. Et puis, rien ne vous interdit de le repeindre en noir…






Texte : Nicolas Fourny