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Ford Scorpio Cosworth : la routière qui n'existait pas

Nicolas Fourny - 7 juin 2024

« Si le bas moteur reste fidèle à la fonte, les culasses sont entièrement nouvelles et recèlent désormais deux arbres à cames en tête par rangée de cylindres, actionnant 24 soupapes au total »

Si, au cours d’une réunion entre amis, vous évoquez les différentes versions de la Sierra Cosworth, vous êtes sûr de lancer une conversation longue et fructueuse. Chacun a des souvenirs à partager au sujet de celle que les Anglais surnomment affectueusement Cossie, pour en avoir rêvé, l’avoir conduite, possédée ou vue triompher en course. En revanche, la Scorpio revue et corrigée par le motoriste de Northampton demeure largement méconnue aujourd’hui. Il est vrai que son destin n’aura pas été aussi glorieux, loin s’en faut : dépourvue de tout palmarès en compétition, la grande berline à l’ovale bleu n’avait envoyé son vénérable six-cylindres se refaire une santé outre-Manche que dans l’espoir de se ménager enfin une place au sein de l’élite des routières européennes. Hélas, en dépit de ses nombreuses qualités de fond, la « 24v » aura connu une carrière aussi anonyme que sa désignation commerciale. Ce fut pourtant, sans conteste, la plus réussie des Scorpio et, dans l’absolu, l’une des toutes meilleures automobiles de sa catégorie. Il est d’autant plus dommage que son constructeur ait été incapable de la vendre…

À l’est, du nouveau

Nous sommes en 1985 et Ford Europe a largement entamé une révolution stylistique dans son haut de gamme. Lancée trois ans auparavant, la Sierra, après avoir décontenancé la clientèle très conservatrice des Taunus, trouve peu à peu son public et, pour succéder à une Granada elle aussi réfugiée dans un classicisme auquel il est permis de reprocher sa frilosité, Uwe Bahnsen, Vice President of design de la firme de Cologne, a réussi à imposer un concept encore peu répandu à ce niveau de gamme — et inédit chez Ford : à la berline tricorps aux lignes géométriques va succéder une cinq-portes dont le fastback abrite un hayon. Il s’agit tout à la fois d’un postulat esthétique et d’un pari commercial : à l’exception de la Citroën CX, rares sont les modèles de ce segment de marché à avoir pu imposer un format « deux volumes » en Europe où, de surcroît, la cinquième porte demeure incompatible avec le niveau de standing usuellement revendiqué. Harm Lagaay (alors chief designer de Ford et qui allait, par la suite, créer la BMW Z1 avant de passer de longues années chez Porsche) inscrit son travail dans la thématique de l’aero look déjà exploitée sur la Sierra et que l’on reverra outre-Atlantique sur la Taurus de 1986. À ce moment-là, la quête de l’aérodynamisme correspond, chez certains constructeurs comme Audi par exemple, à un vocabulaire fluide et épuré, extrêmement novateur pour l’époque. Dans le cas de la Scorpio, la hardiesse connaît cependant des limites : l’épaisseur des montants de carrosserie de la Sierra a été diversement appréciée et, de ce point de vue, la plus imposante des Ford européennes revient à un design plus sobre ; toutefois, les stylistes ont choisi un traitement uniformément noir autour des vitrages latéraux, d’où cette impression de « toit flottant » qui sera fréquemment copiée dans les décennies suivantes.

Le futur a pris un coup de vieux

Lancée sous le slogan de « vaisseau du futur », la Scorpio circonscrit néanmoins son avant-gardisme à une carrosserie qui fait couler beaucoup d’encre — tout comme, mais pour d’autres motifs, la stagnation de sa mécanique. Classique propulsion (mais à roues arrière indépendantes, là où les Audi « C3 » à traction avant conservent encore un essieu semi-rigide !), l’auto ne propose par-dessus le marché que des moteurs aux provenances diverses mais aux caractéristiques invariablement ternes. Ainsi, les quatre-cylindres d’entrée de gamme appartiennent à la vieillissante famille « Pinto » — machine américaine tristement célèbre en raison de ses aptitudes à la combustion spontanée — et leur utilisation s’avère aussi enthousiasmante qu’un lavement aux racines de pissenlit. Les V6 « Cologne » à arbre à cames central sont, si l’on ose dire, de la même eau et, avec 150 ch pour 2,8 litres de cylindrée, la version de pointe ne se montre pas particulièrement convaincante, même si l’impressionnante réduction du coefficient de pénétration dans l’air lui permet d’afficher des valeurs de consommation bien moindres que celle de la Granada identiquement motorisée. On se console comme on peut, n’est-ce pas ? Enfin, les amateurs de Diesel et les masochistes désinhibés peuvent compter sur les 69 percherons péniblement exhalés par le 2,5 litres Indenor issu en droite ligne de la Peugeot 505

Entre intrépidité et archaïsme

Bien sûr, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et l’honnêteté commande de rappeler que tout n’est pas sombre sur la fiche technique des premières Scorpio — qui, d’ailleurs, conservent le nom « Granada » outre-Manche, sans doute histoire de ne pas faire fuir la totalité d’une clientèle très attachée à la bonne vieille Grannie dans ses diverses configurations ; nous songeons notamment au break, très apprécié et, qui dans ses versions Ghia à six-cylindres, pouvait, avec un peu d’imagination, constituer une alternative crédible aux Volvo 265 ou aux Mercedes T-Modell. Malheureusement pour elle, à l’instar d’une Renault 25, la Scorpio n’existe qu’en une seule carrosserie, sous laquelle l’amateur d’innovations peut pour autant trouver sa pitance : non seulement le modèle propose, pour la première fois en série, l’ABS sur toutes ses versions mais, tout comme la Sierra, il peut disposer d’une authentique transmission intégrale ! Ainsi gréée, la berline Ford atteint un niveau de sécurité active aussi valable que celui d’une Mercedes W124 « 4 Matic » ou d’une Audi 100 quattro et c’est probablement, en grande partie, ce qui lui permet de remporter le trophée de la voiture européenne de l’année 1986. Mais, comme on pouvait s’y attendre, la sauce ne prend pas : la montée en gamme se trouve contrariée par un style extérieur trop déroutant pour une part importante des acheteurs potentiels, aux yeux desquels une berline à hayon présente nécessairement des relents de roture trop flagrants ; tandis que les moteurs, on l’a vu, sont typiquement Ford, c’est-à-dire aussi solides que dépassés. De plus, perplexes et n’adhérant que modérément au concept, les concessionnaires traînent les pieds pour écouler leur contingent de Scorpio qui, dès lors, rejoint la tribu populeuse des berlines haut de gamme généralistes délaissées par la clientèle.

La multiplication des soupapes

Il faut attendre trois ans — donc déjà longtemps dans la carrière d’une voiture — pour que Ford se décide à réagir. Lancée dès 1988, l’offensive porte sur deux fronts : à une réactualisation mécanique bienvenue, entamée avec l’arrivée de quatre-cylindres Twin Cam s’ajoute, deux ans plus tard, l’arrivée d’une carrosserie à coffre séparé. Et, sur le marché français, cette dernière bénéficie en exclusivité d’un développement tout à fait inattendu du vénérable V6, dont les origines remontent alors déjà à vingt-cinq ans : confié aux bons soins de Cosworth, le vieillard cacochyme réalésé à 2,9 litres se transforme en athlète ! Si le bas moteur reste fidèle à la fonte, les culasses sont entièrement nouvelles et recèlent désormais deux arbres à cames en tête par rangée de cylindres, actionnant 24 soupapes au total. Par rapport à la version traditionnelle maintenue au catalogue (car seule compatible avec les quatre roues motrices), les progrès sont considérables : tombée à 145 ch à l’arrivée du catalyseur, la puissance passe d’un coup à 195 ch, rejoignant sans coup férir la BMW 525i E34 dont le moteur M50 vient, lui aussi, de recevoir une culasse multisoupapes. À cela s’ajoute une dotation généreuse : contrairement aux mœurs en vigueur à Stuttgart ou Munich, il n’est pas indispensable d’alourdir la facture d’achat de coûteuses options pour obtenir un véhicule correctement équipé. Naturellement, on ne change pas d’ADN comme qui rigole et, dans l’habitacle aux plastiques quelconques, la médiocre boutonnerie commune aux Fiesta contemporaines ou l’authentique ronce de plastique censée remplacer les boiseries définissent une atmosphère générale assez éloignée de celle d’une Jaguar. Malgré d’irréfutables qualités de fond, le constat est implacable : Ford demeure une marque populaire, ce qui n’exclut pas un équipement complet ou une habitabilité de très bon aloi mais reste incompatible avec la notion même de luxe.

L’essence précède l’existence

De fait, avec la Scorpio, Ford a rabâché la tragédie mille fois relatée des constructeurs de masse s’aventurant dans des territoires a priori interdits. Appliquée à une routière de près de 200 chevaux, la politique du « tout compris » si appréciée des propriétaires d’Escort n’a abouti qu’à un produit inachevé, comme l’ont été, chacune à leur façon, les Peugeot 605 SV24 ou Opel Senator « B ». À leur volant, on apprécie le volontarisme de la mécanique, la qualité des liaisons au sol, l’opulence des équipements — en bref, le désir de bien faire. Mais, d’une manière ou d’une autre, la démonstration reste systématiquement lacunaire et c’est la raison pour laquelle ces firmes ont fini par abandonner un marché pourtant très lucratif au trio germanique que chacun connaît. À partir d’un certain spectre concurrentiel, il ne suffit plus de proposer des performances flatteuses ou d’empiler consciencieusement les fonctions de confort que proposent les équipementiers pour satisfaire des acquéreurs attentifs au moindre détail — c’est-à-dire là où l’enfer aime tant s’installer. Pour réussir, il eût fallu consentir à quelques efforts supplémentaires, au moment de choisir le fournisseur des cuirs ou de définir l’ampleur et le contenu des campagnes de publicité. Sensiblement plus puissante et, dans un autre style, aussi gratifiante à conduire qu’une Audi 100 2.8E, la Scorpio sommitale a, inexplicablement, rejeté l’appellation « Cosworth », que son moteur aurait légitimée et qui lui aurait probablement valu une bien meilleure notoriété. Sur plusieurs marchés (dont le nôtre), le nom du motoriste anglais ne figure que sur les couvre-culasses, pas sur le panneau de coffre où seule une inscription minuscule renseigne le badaud sur le nombre de soupapes présentes sous le capot. Moyennant quoi, l’auto a vécu huit ans au catalogue de son constructeur dans l’anonymat le plus complet, même après le spectaculaire restylage intervenu en 1994, à la faveur duquel le V6 gagna encore 12 chevaux. Si, à l’heure actuelle, les Scorpio plus courantes ne retiennent guère l’attention, la « 24 soupapes », pour sa part, a depuis longtemps sombré dans l’oubli. Si vous avez la chance d’en trouver une en bon état, n’hésitez pas : devenu rarissime, l’objet est en mesure de vous apporter de grandes satisfactions, si vous faites partie de ces esprits libres que ne préoccupe pas l’absence totale de prestige. En l’espèce, c’est même un prérequis pour pouvoir savourer les innombrables vertus d’une auto qui aurait mérité un tout autre sort !

2935 cm3Cylindrée
207 chPuissance
218 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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