
Dites, vous souvenez-vous de la dernière Bentley à roues arrière motrices ? C’était il y a cinq ans, quand la Mulsanne de seconde génération a quitté la scène. L’auto, qui datait de 2010, incarnait la dernière Bentley « à l’ancienne » – comprenez l’héritière directe des plus luxueuses berlines de la firme, ayant pris la suite de l’inoubliable Arnage et nantie, comme il se devait, du légendaire V8 conçu dans les années 1950. Depuis lors, c’est l’orthodoxie germanique qui s’est imposée à tous les étages, avec la généralisation d’une transmission intégrale dont les préceptes doivent beaucoup à la culture ingénieriale d’Audi, y compris pour les variantes les plus épicées des générations successives de la « Conti ». C’est pourquoi la nouvelle Supersports, qui ne sera construite qu’à cinq cents exemplaires, a grandement surpris les amateurs en revenant à la propulsion…


Le quattro à la sauce anglaise
À quoi ça ressemble, une Bentley âgée d’un quart de siècle ? Cela peut paraître surprenant, mais les premières Continental de l’ère contemporaine approchent désormais cette frontière symbolique. C’est en effet au Salon de Paris 2002 qu’a été présentée la toute première Bentley conçue sous l’égide de Volkswagen, propriétaire de la marque depuis 1998. Un modèle dont les préceptes n’avaient plus rien à voir avec ses devanciers puisque, sous l’élégante carrosserie dessinée sous la férule du talentueux Dirk van Braeckel, l’on trouvait des soubassements étroitement dérivés de ceux de la VW Phaeton, berline statutaire lancée – en vain – par le constructeur de Wolfsburg l’année précédente afin de rivaliser avec les Mercedes Classe S ou BMW Série 7. Avec son W12 voulu par la bienheureuse mégalomanie de Ferdinand Piëch et sa transmission aux quatre roues très inspirée du système quattro (le vrai, c’est-à-dire celui dédié aux moteurs montés « en long »), la « Conti » du XXIe siècle n’avait plus de britannique que son design et le charme insurpassable de son habitacle, où le cuir, les boiseries et les aérateurs chromés s’efforçaient de rattacher l’engin à une tradition séculaire qu’il s’agissait de dépoussiérer.
L’irremplaçable puissance
Ce cocktail inédit, sanctionné par un indéniable succès commercial, s’est depuis perpétué au fil de quatre générations successives, lesquelles sont demeurées fidèles à l’architecture initiale, en dépit des critiques liées au poids de l’ensemble, auquel la présence systématique des quatre roues motrices n’était pas étrangère. Mais qu’importe ! Les Continental GT sont, comme leur appellation l’indique, des automobiles de grand tourisme, et donc pas des sportives pures et dures ; et, de surcroît, les niveaux de puissance affichés par le W12, puis par le V8 qui l’a peu à peu supplanté (jusqu’à 782 ch pour la machine hybride de l’actuelle GT Speed) se sont de tout temps chargés d’offrir à leurs conducteurs des performances superlatives, la Continental GT originelle affichant déjà, rappelons-le, plus de 310 km/h en pointe. Pourtant, le côté « camionnesque » du coupé Bentley, en comparaison notamment des Aston Martin concurrentes, a toujours suscité certains commentaires peu aimables qui ont dû faire sourire le fantôme d’Ettore Bugatti, à chaque fois qu’il a été question d’emmener une « Conti » limer le bitume d’un circuit. Ce qui n’a guère de sens, entre nous, pour une voiture dépassant volontiers les 2,5 tonnes avec deux occupants à bord et une fois les pleins faits.


Le poids, c’est (toujours) l’ennemi
Mais que voulez-vous, c’est ainsi : en tout conducteur de GT, il y a toujours un sportif qui ne sommeille que d’un œil et qui ne dédaignerait pas, à l’occasion, d’arsouiller un brin au volant d’une auto dont les ressources ne peuvent qu’encourager des comportements qui horrifieraient les technocrates de la Sécurité routière et qui, tôt ou tard, finissent par rendre encombrante la transmission intégrale ; même si le sous-virage caricatural des premières Audi quattro appartient à un passé depuis longtemps révolu, comme nous l’avons évoqué plus haut, les deux roues motrices supplémentaires pèsent toujours leur poids. C’est d’ailleurs, avec une architecture il est vrai différente, ce qui a poussé Lamborghini et Audi à décliner des versions à deux roues motrices des Gallardo, Huracán et R8. Et, à présent, de façon inattendue, voici donc que Bentley s’y met, avec une Continental GT Supersports qui, contrairement à ses aînées, renonce pour la première fois aux joies du all wheel drive. À la clé, un poids réduit d’environ cinq cents kilos, et un package technique qui, comme on va le voir, aboutit à un typage très différent de la Continental GT « normale ».
Priorité aux sensations
La lecture de la fiche technique de la Supersports le confirme d’emblée : le V8 doublement suralimenté a subi plusieurs modifications affectant aussi bien les turbocompresseurs que le vilebrequin et développe, sans la moindre hybridation, la puissance forcément démoniaque de 666 ch, le couple atteignant pour sa part la valeur faramineuse de 800 Nm. Toujours présentes, les quatre roues directrices ont fait l’objet d’un recalibrage favorisant une conduite plus ludique, tandis que le conducteur peut, si ses compétences le lui permettent, désactiver la totalité des béquilles électroniques… L’allègement provient aussi de la suppression des sièges arrière ainsi que d’une partie des insonorisants, et l’engin clame sa sportivité exacerbée par une série d’appendices en carbone qui viennent agrémenter la carrosserie, laquelle semble littéralement dévorée par les immenses roues de 22 pouces. Enfin, c’est la maison Akrapovic qui signe la ligne d’échappement en titane. Vous l’aurez compris, tout cela fleure bon des sensations à l’ancienne et, à cette aune, cette nouvelle Supersports ressemblerait presque à une survivante égarée dans une époque vouée à l’électrification à tout crin. Rien que pour ça, Bentley mérite une infinie gratitude !



