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Jaguar 420 : un charme ambigu

Nicolas Fourny - 2 août 2022

Ce sont les Anglais qui ont inventé le Meccano, jeu de construction tombé en désuétude mais qui connut son heure de gloire durant l’essentiel du XXe siècle. Ce sont aussi les Anglais qui ont inventé Jaguar et, au mitan de la décennie 1960, la firme de Browns Lane se lança dans une série de bricolages plus ou moins convaincants qui, à certains égards, rappelaient la philosophie du jeu, les composants disponibles et successivement mis au point depuis la berline Mark I de 1955 permettant, il est vrai, toutes sortes de combinaisons techniques et esthétiques. Cette créativité désordonnée donna notamment naissance à la berline 420, aussi éphémère que torturée, et dont nous sommes peu nombreux à nous souvenir…

Peut-on tout avoir ? 

Lors de son apparition, en octobre 1968, la XJ6 conjugua plusieurs mérites et, au-delà de ses qualités propres, elle permit à son constructeur de procéder à une simplification salutaire de sa gamme. À ce moment-là, il fallait beaucoup de patience et d’abnégation pour parvenir à en saisir la cohérence ; les modèles se superposaient, se cannibalisaient ou doublonnaient joyeusement et, par surcroît, la nomenclature de la firme était devenue à peu près illisible au fil du temps. En partant de la Mark II, Jaguar avait en effet développé une S-Type à la physionomie légèrement altérée mais dont la fiche technique recelait d’intéressants développements, ceux-ci dépendant d’ailleurs partiellement de celle-là. L’intégration d’une suspension arrière indépendante, qui constituait l’innovation majeure du modèle, avait dicté un allongement de la partie arrière de l’auto, compromettant de la sorte l’harmonie miraculeuse qui, jusqu’à aujourd’hui, a statufié la Mark II dans le cœur de nombreux collectionneurs. Machine archétypale s’il en est, elle personnifie la sports saloon idéale de son temps et nous l’aimons tellement que nous sommes prêts à fermer les yeux sur ses archaïsmes, tels que l’épouvantable boîte Moss ou la rusticité de son train arrière. Ce dernier devenait de moins en moins admissible, aussi bien en termes de qualités routières que de confort postural, d’autant plus que la grande Mark X, présentée à l’automne de 1961, bénéficiait quant à elle d’un nouveau train arrière reprenant les principes retenus pour la E-Type, avec ses quatre combines ressorts-amortisseurs. Sophistiqué, efficace et témoignant des étincelantes capacités ingénieriales de Jaguar, ce dispositif n’allait pas tarder à essaimer au sein de la gamme et, deux ans plus tard, la S-Type le récupéra donc, au prix de modifications esthétiques qui améliorèrent la polyvalence d’usage de l’auto mais la privèrent hélas d’une partie de sa grâce.

Une beauté contrariée

Si l’on circonscrit sa réflexion au design, il suffit de placer une Mark II et une S-Type l’une à côté de l’autre pour mesurer l’impact — pas forcément positif — de l’évolution de l’espèce. Avec sa poupe allongée, son coffre sensiblement plus volumineux et son pavillon légèrement rehaussé à l’arrière, la plus récente des deux ressemble davantage à un brouillon conçu dans la précipitation qu’à une voiture réellement aboutie. En substance, il apparaît clairement que les ingénieurs et les stylistes de la firme ont fait ce qu’ils ont pu en intégrant un train arrière dont l’encombrement n’avait pas été suffisamment anticipé durant la conception de la toute première 2,4 litre saloon, une dizaine d’années plus tôt. Certains détails, comme l’échancrure des portes arrière, ratifient la disharmonie d’un ensemble qui va cependant rencontrer un incontestable succès, les ventes de la S-Type surpassant très vite celles d’une Mark II vieillissante et qui va connaître une fin de vie singulièrement appauvrie, sous la forme des 240 et 340 dont les dénominations étaient inusitées à Coventry et rappelaient plutôt les habitudes stuttgartoises… L’inattendue 420 qui nous intéresse aujourd’hui, et qui fait irruption en octobre 1966, répond à la même logique — laquelle ne fera pas long feu, ce qui démontre l’errance décisionnelle dans laquelle se trouve alors l’entreprise, qui traverse une séquence difficile. La conception de la très ambitieuse XJ s’avère extrêmement coûteuse, l’obsolescence de l’outil industriel dégrade la compétitivité et entraîne des tensions sociales au sein de l’usine, tandis que la fusion avec BMC complexifie la gestion. Avec le recul du temps, la 420 apparaît donc comme un modèle de transition, ce que confirme la brièveté de sa carrière, les derniers exemplaires, badgés Daimler, tombant de chaîne à l’été 1969.

Le crépuscule d’un concept

Schématiquement, la 420 n’est qu’un restylage de la S-Type, accueillant dans ses entrailles l’inévitable moteur XK, dans sa cylindrée la plus élevée — c’est-à-dire 4235 cm3. Par rapport à celui de la Mark X (rebaptisée 420 G, histoire d’ajouter à la confusion), son six-cylindres conserve sa culasse « straight port » mais perd un carburateur, sa puissance s’établissant à 248 chevaux SAE. Par rapport à une S-Type 3,8 litres, le gain s’établit tout de même à 25 chevaux mais les sensations de conduite sont évidemment similaires, car le reste de la fiche technique n’a guère évolué, si l’on excepte l’adoption d’une servo-direction optionnelle dite « Marles Varamatic », développée conjointement par Bendix et Adwest Engineering. Semblablement, l’habitacle des deux autos est très proche, même si l’on peut noter que les boiseries cèdent du terrain (notamment sur les portières) et que le meuble de bord arbore dorénavant un rembourrage en vinyle noir, une horloge carrée plutôt saugrenue venant surplomber le reste des cadrans, heureusement demeurés circulaires pour leur part. Toutefois, c’est à l’extérieur que l’on remarque les modifications les plus significatives : le visage de l’auto a profondément changé, reprenant la structure de celui de l’ex-Mark X. La calandre ovale héritée de la Mark II cède la place à un modèle rectangulaire et deux paires de phares aux diamètres différenciés font leur apparition, selon une disposition qui perdurera jusqu’en 1992 sur la XJ (et sur la limousine Daimler DS 420).

Baroque n’roll

Lorsqu’on la contemple en trois dimensions, la 420 s’apparente à un patchwork plus habile qu’élégant — mais non dénué de charme. L’hétérogénéité des différentes parties de la carrosserie, rassemblant des caractéristiques issues de modèles de formats divers, est impossible à oublier dès lors que l’on a goûté, ne serait-ce qu’une seule fois dans sa vie, à la sensualité exacerbée d’une Mark II ou à l’opulente volupté d’une Mark X. La 420 tente courageusement une périlleuse synthèse entre les deux — et c’est avec une classe indéniable qu’elle y échoue. Pourtant, il est permis d’aimer cette mosaïque singulière qui mêle, sans grand souci de cohérence, une cellule centrale datant des années 1950 avec une proue annonçant très précisément les seventies. Proportionnée pour les 1,93 mètre de large d’une Mark X et très joliment adaptée sur la XJ, la partie avant de l’auto (qui ne mesure que 1,69 mètre dans cette dimension) manque de place pour s’exprimer dans un volume qui, en la circonstance, devient presque étriqué. Mais l’aspect baroque et même improbable de la démarche ne lui ôte pas sa distinction naturelle. La 420 reste une authentique Jaguar ; elle transporte avec elle tous les fondamentaux de la marque — grace, space and pace — et il est bien difficile de ne pas succomber à sa séduction. S’installer au volant, même pour ne parcourir que quelques kilomètres, c’est avoir le privilège de contempler la route à l’aplomb des volutes dessinées par le profil des phares, tout en savourant le grondement policé du gros XK. L’atmosphère du bord est une fête pour le regard comme pour l’odorat (il était rigoureusement inutile de le préciser, mais c’est toujours agréable de l’écrire). Avec ses gènes métissés, la 420 hésite sans cesse entre la sportivité que suggère le pedigree de ses devancières et la bourgeoisie nonchalante qui va finir par l’emporter, constituant le principal substrat de la firme pour les décennies à venir. Éclipsée de la mémoire collective par la XJ et la Mark II — seuls un peu plus de 15 000 exemplaires en ont été construits —, elle ne s’adresse aujourd’hui qu’à des amateurs éclairés, attirés par son atypisme, son étrangeté, ses attachantes maladresses. Seuls ceux qui ne l’ont jamais pratiquée oseront parler de « second choix » à son sujet. Bien plus malins, les autres profitent d’une cote demeurée plus raisonnable que celle de ses sœurs de gamme à la réputation plus solide… Serez-vous du nombre ?

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