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Panhard 24 CT : quand le tigre miaule
Aurélien Charle - 1 août 2022Au début des années 1960, Panhard se maintient tant bien que mal avec une gamme pauvre et quelque peu bricolée. La firme du quai d’Ivry joue alors sa dernière carte en lançant de nouveaux modèles avant-gardistes censés régénérer l’âme du constructeur et le sortir de l’impasse. À tendance sportive et raffinée, la 24 CT devait représenter la nouvelle dynamique de Panhard. Après un court enthousiasme, les ventes dégringolent et la doyenne des marques françaises meurt poignardée par des chevrons finement affûtés.
Réinventer la « Pan-Pan »
Grand avant-gardiste, un peu oublié, de l’automobile française, Panhard n’a cessé d’inventer et de se réinventer. Fabricant de haut-de-gamme avant-guerre, la plus ancienne des marques françaises tomba dans l’automobile populaire en figurant parmi les pionniers de la carrosserie en aluminium et des lignes aérodynamiques testées en soufflerie. Autre signature caractéristique de la Panhard des années 1950 : des mécaniques bicylindre à plat de faible cylindrée capables de procurer d’étonnantes accélérations, donnant à la voiture un tempérament qualifiable de sportif au vu des sensations qu’elle peut provoquer sur les infrastructures routières de l’époque. Cette motorisation atteint son apogée en 1959 dans sa version baptisée Tigre délivrant 50 ch pour 850 cc, autorisant un très honorable 145 km/h et rugissant de sa caractéristique voix de crécelle.
Malgré cela, Panhard n’est pas franchement en forme. Les moyens manquent cruellement et la seule Dyna Z que propose le constructeur a pris un coup de vieux, notamment à cause de sa ligne de type Ponton déjà bien démodée au milieu des nouvelles carrosseries rectilignes de la concurrence. Un très habile replâtrage apparaît sous la forme de la Panhard PL 17, permettant de relancer les ventes. La modernité commence toutefois à faire furieusement défaut à la marque et malgré le valeureux félin qui a pris place sous les capots, tout cela sent vraiment le fauve.
Pour pouvoir ressortir la tête de l’eau, il est urgent de ratisser plus large afin de toucher une nouvelle clientèle. Plus subtilement, il devient nécessaire de pourvoir le constructeur du quai d’Ivry d’une nouvelle image, tout aussi novatrice et décalée, qu’il pourrait se forger dans les marchés de niche. Souhaitant miser sur le dynamisme, le bureau d’études met en chantier un nouveau modèle élégant, raffiné et sportif à la mode de chez « Pan-Pan ». Le grand Louis Bionier, chef des études carrosserie de Panhard depuis plus de trente ans, élabore une toute nouvelle ligne aérodynamique et résolument moderne se caractérisant par une ceinture de caisse prononcée autour de laquelle les poignées de portière ou les feux arrière s’intègrent très harmonieusement. La face avant se veut également avant-gardiste par son profilage et ses quatre phares installés derrière une vitre. Pour accentuer le caractère sportif de la future Panhard, le simple nom de 24 est choisi en référence aux exploits antérieurs de la marque lors de la plus célèbre compétition organisée sur le circuit du Mans. Le bicylindre maison prend naturellement place sous le capot dans une cylindrée de 848 cc. La 24 sera disponible en finition C, plus sage, et CT, plus axée vers la conduite sportive. De ce fait, on met le fameux Tigre dans le moteur de cette dernière.
Une nouvelle bouffée d’air…
En même temps que les Panhard millésimées 1964, les nouvelles 24 sont présentées le 24 juin 1963. L’effet provoqué par l’apparition d’une 24 de couleur Quetsche, posée sur l’étang de la roseraie Truffaut de Versailles, est des plus réussis. Petit bémol toutefois : la mécanique n’est pas présente et seuls les mannequins de chez Lanvin ont le droit de s’installer à l’intérieur. Il faut véritablement attendre la fin de l’année pour pouvoir en prendre les commandes. À partir de l’automne, la presse et le public peuvent désormais goûter au dernier petit félin. Innovante sans brusquer, la ligne fait l’unanimité et la dotation générale se montre de haut niveau pour la catégorie. La 24 CT retient toute l’attention du public à tel point que la « basique » C ne survivra pas au millésime suivant.
Le tableau de bord, muni de cinq cadrans, s’avère très complet bien qu’un manomètre de pression d’huile n’aurait pas été de trop au vu du ménagement spécifique que nécessite la mécanique. On dénote de nombreuses astuces et raffinements encore inédits sur une telle auto. Les sièges avant, ultra-modulables, sont réglables en longueur comme en profondeur et ne proposent pas moins de vingt-huit positions d’inclinaison des dossiers. Ces assises peuvent également rapidement s’avancer vers l’avant pour faciliter l’accès aux places arrière où se trouve une banquette rabattable. Le miroir de courtoisie destiné au passager avant est éclairé et la malle arrière, en plus d’afficher un beau volume est capitonnée de feutrine et se voit dépourvue de roue de secours, placée au-dessous dans une trappe escamotable et que la voiture défèque en toute aisance en cas de besoin. Le petit fauve qui se trouve sous le capot surprend par ses accélérations mais peine toutefois à se maintenir à vitesse élevée. Quant au système de freinage à tambour à évacuation thermique accélérée, son efficacité laisse encore à désirer.
La 24 CT plaît beaucoup et, étonnamment, les ventes de la PL 17 ne s’en voient pas affectées. Les couples trentenaires ou les jeunes célibataires sont nombreux parmi ceux qui passent commande et représentent même l’espoir d’un nouveau vivier de fidèles pour l’avenir.
…pour un soufflé qui retombe !
Durant les mois qui suivent sa commercialisation, la Panhard 24 CT voit ses défauts de jeunesse corrigés. Des freins à disque aux quatre roues sont montés, ce qui permet à la CT de se pourvoir de nouvelles jantes recouvertes d’enjoliveurs chromés en forme d’étoile à trois branches. Le moteur est également retravaillé par une augmentation du régime et du couple tandis que le quatrième rapport de boîte de vitesses est allongé. La Panhard 24 CT année-modèle 1964 affiche donc une coquette vitesse de pointe de 160 km/h. Malgré cela, la 24 CT a quelque peu la malle entre deux chaises et se cherche une identité entre le gentil coupé raffiné et la véritable sportive. Les amateurs de pilotage la boudent et on la perçoit plus comme une élégante voiture de femme de notable, occupée à aller chercher sa robe chez le tailleur avant de retrouver ses copines au salon de thé. L’effet de nouveauté s’est essoufflé et, de plus, la réputation de fragilité de la mécanique Panhard termine de refroidir le potentiel acheteur. Le constructeur mise alors sur les nouvelles 24 B et BT au châssis rallongé mais la France est peu friande de berlines à deux portes et, à l’export, leur prix de vente les place dans une catégorie supérieure face à des concurrentes disposant de plus d’atouts. Enfin, une seule et unique cylindrée est disponible pour l’ensemble de l’offre du constructeur.
Au printemps 1965, Panhard est absorbé par Citroën. On ne cesse cependant de croire en l’avenir des 24 et la firme de Javel effectue quelques ajustements techniques afin d’améliorer la fiabilité de la mécanique et simplifie légèrement la finition intérieure des modèles.
On se la pète en compèt’
Bien que la Panhard 24 CT se revendique comme sportive et que la marque jouisse d’un glorieux passé en compétition, les cruels manques de moyens empêchent tout engagement officiel en course. Ce seront donc, dans un premier temps, des particuliers qui s’engageront en solo. Dans ce registre du sport automobile, l’absorption par Citroën présente un avantage. La DS 21 est en attente d’homologation et, pour la saison des rallyes 1965-1966, c’est le constructeur de Javel en personne qui engage la 24 CT. Les débuts se font en novembre 1965 aux mains de Jean-Claude Ogier lors du Tour de Corse. La petite Panhard tire allègrement profit des performances délivrées par sa petite cylindrée et se classe première de sa catégorie. Sur d’autres rallyes tels le Critérium des Cévennes, le Rallye des Routes du Nord ou le Stuttgart-Lyon-Charbonnières, la 24 CT se défend admirablement et se hisse toujours sur les places d’honneur. Cette excellente publicité n’a hélas aucune retombée et n’empêche pas la production Panhard de passer de 11 631 exemplaires en 1965 à 3 845 en 1966.
On achève mal les Pan-Pans !
Au salon de Paris 1966, sur un stand ridiculement exigu, la Panhard 24 CT et ses consoeurs ne suscitent que peu d’intérêt. Les ventes ne sont plus que sporadiques et Citroën se trouve bien éparpillée entre le rachat de Maserati, son éventuel rapprochement avec Fiat et sa collaboration avec NSU pour le développement d’un moteur Wankel à piston rotatif. La doyenne des firmes automobiles françaises est devenue un vrai boulet pour les chevrons qui, cependant, n’ont fait preuve d’aucune inventivité ni de souplesse pour lui permettre de survivre. La fin des automobiles Panhard est officialisée pendant l’été 1967 via un presque anecdotique communiqué de presse.
La Panhard 24 CT, par son originalité et sa jolie frimousse, méritait une fin bien plus digne mais aussi l’opportunité de poursuivre sa carrière munie d’un moderne quatre cylindres tandis qu’une berline quatre portes, envisagée par Panhard mais refusée par Citroën, aurait pu répondre aux attentes d’une clientèle qui n’en attendait pas moins. La marque de Javel a-t-elle volontairement sabordé Panhard, dont la personnalité et l’avant-gardisme auraient pu lui faire de l’ombre ? Beaucoup en restent encore convaincus et, au vu du retour de bâton que Citroën se prit quelques années plus tard en devenant propriété de Peugeot, on n’hésite pas à employer les termes plus ou moins à la mode de karma ou d’arroseur arrosé. Bien que la fin de Panhard fût triste et que Citroën manquât de fair-play, restons sur le verdict objectif et définitif d’une conséquence de la loi du marché et réjouissons-nous du fait que ce joli fauve (au tempérament d’angora) qu’est la 24 CT soit aujourd’hui une espèce amoureusement protégée.
Pour tout savoir sur Panhard, un excellent site : Panhard Racing Team