Jaguar XJ220 : le cauchemar le plus rapide du monde
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Jaguar XJ220 : le cauchemar le plus rapide du monde

Par Nicolas Fourny - 11/08/2022

L’avez-vous remarqué ? Le terme supercar, jadis réservé à des automobiles exceptionnellement performantes et construites en quantité très limitée — on songe par exemple aux Ferrari F40, McLaren F1 ou Porsche 959 — est de plus en plus galvaudé, car utilisé à tort et à travers pour désigner à peu près n’importe quelle voiture de sport coûtant plus de 100 000 euros. Il est grand temps de remettre l’église au milieu du village et de rappeler le sens premier du mot : une supercar, c’est forcément rarissime, forcément surpuissant, forcément inaccessible, forcément complexe à utiliser et à entretenir. Autrement dit, forcément conçu comme une Jaguar XJ220, dont la genèse puis la destinée ont entraîné le concept vers de dangereux paroxysmes, à tel point que l’on peut se demander si ses auteurs n’étaient pas aussi sadiques que ses propriétaires furent masochistes. Erratique dans sa définition, élaborée puis construite « à l’anglaise » — ce qui n’est pas forcément un compliment —, d’une complexité aussi immaîtrisable que son pilotage, l’engin peut terrifier ou fasciner, voire les deux à la fois… et c’est sans doute pour ça qu’on l’aime !

Vue de face de la Jaguar XJ220 dans la cour d'un palace de nuit

Une passagère clandestine

Comme un certain nombre d’autres automobiles fantasmatiques, la XJ220 est née dans des conditions approximatives et son bref parcours industriel — si l’on ose dire — aura été marqué par de nombreuses incertitudes. Initialement pensée par un petit groupe d’employés de la firme travaillant de façon à peu près occulte durant leurs heures de liberté, l’auto semblait dès l’abord marquée par l’intrépidité, l’aventure et le secret. Quand elle fut dévoilée au Salon de Birmingham, à l’automne de 1988, il s’agissait tout d’abord, pour Jaguar, de démontrer que les Italiens et les Allemands n’étaient pas les seuls capables de concevoir une supercar en mesure d’impressionner le public par son esthétique comme par son degré de sophistication. Et il est vrai que, sur le papier, les caractéristiques de l’auto suscitaient le respect : animé par le V12 maison implanté en position centrale arrière, réalésé à 6,2 litres et poussé à 500 chevaux pour l’occasion, doté d’une transmission intégrale — c’était la mode à l’époque —, le concept-car originel se présentait de surcroît sous la forme d’une berlinette aux formes fluides et aux proportions exotiques : 5,13 mètres de long, 2 mètres de large, 2,84 mètres d’empattement. Son patronyme adressait un clin d’œil à la XK120 de 1948 et s’inspirait de la même logique : si le « 120 » qui avait fait sensation quatre décennies plus tôt correspondait à 193 km/h — on se souvient néanmoins que, sur l’autoroute belge de Jabbeke, une XK120 de série dépassa de peu les 200 km/h chrono —, le « 220 » signifiait cette fois, en toute simplicité, que la nouvelle Jag pouvait atteindre les 350 km/h !

Intérieur de la Jaguar XJ220

La vitesse, elle vous dit m…

À la fin des années 1980, une telle performance relevait encore de la science-fiction pour une machine de route, même si les Vector W2 et W8 créées en Californie par Jerry Wiegert dès 1978 prétendaient pouvoir rouler encore nettement plus vite — mais ces voitures ne se sont que péniblement extraites de leur statut de prototypes artisanaux et il demeure difficile d’attester de la réalité de leurs aptitudes. Rappelons que la F40 atteignait officiellement les 324 km/h et que la 959 la suivait de peu, avec 317 km/h dans les meilleures conditions. Soit dit en passant, il est permis de regretter cette période où la quête de la « Vmax » la plus élevée pouvait avoir lieu dans le cadre d’une captivante émulation entre les constructeurs des plus rapides automobiles qui soient, sans que des discours culpabilisateurs ne s’abattent sur la tête de leurs dirigeants. Aujourd’hui, ce sont plutôt les temps de référence établis sur la Nordschleife qui sont mis en avant, ce qui, a priori, choque moins les sicaires de l’écologie punitive et les technocrates moisis de la sécurité routière, dont on imagine avec délectation la tête si, revenue d’entre les morts, la XJ220 devait être de nouveau commercialisée — hypothèse fort improbable lorsque l’on prend connaissance des innombrables embûches qui ont jalonné le parcours de ses concepteurs.

Photo moteur Jaguar XJ220

De douze à six

Car, devant l’enthousiasme des visiteurs du Salon, les commentaires élogieux de la presse spécialisée et — surtout — l’empressement des amateurs à signer un bon de commande, Jaguar se lança dans l’aventure de la mise en production effective de sa supercar. On l’a peut-être oublié mais l’acronyme « XJ » signifie eXperimental Jaguar et en l’occurrence, d’un certain point de vue, il eût probablement mieux valu en rester au stade expérimental, tant la mise au point de la voiture fut laborieuse et marquée par une kyrielle d’ajustements et de renoncements préjudiciables à la crédibilité du projet et aboutissant, in fine, à un véhicule à peu près invendable dont les prestations pouvaient, certes, faire rêver ceux qui n’avaient pas les moyens de se l’offrir, mais inciter tous les autres à la prudence la plus élémentaire.

Jaguar XJ220 dans la cour d'un palace, vue d'une fenêtre

Pour le numéro 52 de la revue Automobiles Classiques, paru en octobre 1992, Pierre Dieudonné a pris le volant d’une XJ220 « de série ». Son reportage, intitulé Au volant de la plus rapide du monde, incluait une photographie éloquente du tachymètre de la voiture, sur laquelle l’aiguille se rapprochait très sensiblement des 220 miles per hour. La filiale JaguarSport lui avait confié l’un des exemplaires produits par TWR dans son usine de Bloxham, spécialement édifiée pour l’occasion, et la lecture de son compte-rendu délivre des informations surprenantes pour qui en serait resté aux promesses de Birmingham. Ainsi, en lieu et place du douze-cylindres dessiné plus de trente ans auparavant sous la férule de William Heynes, le capot arrière de l’auto abritait désormais un V6 de 3,5 litres suralimenté par deux turbocompresseurs, issu de la malheureuse MG Metro 6R4 et qui délivrait la bagatelle de 542 chevaux pour 642 Nm de couple. La transmission avait délaissé le principe des quatre roues motrices pour s’en remettre à un seul essieu — postérieur, comme on s’en doute —, afin de limiter le poids, annoncé à 1470 kilos par le constructeur mais mesuré à 1 688 kilos par le pilote-essayeur, ce qui constitue tout de même un singulier écart, surtout quand on songe que la Porsche 959 ne dépassait pas les 1 440 kilos…

Photo de nuit de la Jaguar XJ220 devant un château Photo de profil de la Jaguar XJ220

Money for nothing

Ces vicissitudes n’empêchaient pas la XJ220 de se montrer exceptionnellement véloce, comme le démontra John Lamm pour Road and Track. À ses côtés, sur l’anneau de vitesse de Nardo, Martin Brundle réalisa très exactement 341,6 km/h au volant d’une voiture de présérie dépourvue d’une partie de ses matériaux insonorisants, tandis qu’une autre tentative avec les catalyseurs démontés (on croit rêver !) l’emmena très près de l’objectif, sans toutefois que l’auto parvienne à tenir complètement ses promesses. Bien sûr, il y a une part de futilité dans le fait d’ergoter pour quelques kilomètres/heure mais, d’un autre côté, personne n’a obligé Jaguar à claironner des objectifs aussi ambitieux, sans se donner pleinement les moyens de les remplir. De toute façon, le problème de fond se trouvait ailleurs : tarifée jusqu’à 470 000 livres sterling (l’équivalent d’environ un million d’euros de 2020), la XJ220 était non seulement horriblement chère, mais surtout sensiblement plus onéreuse qu’annoncé au départ et, en dépit des 50 000 livres d’acompte exigés lors de la signature de leur bon de commande, de nombreux clients renoncèrent purement et simplement à acquérir la voiture — sans parler du fait qu’une partie d’entre eux attaquèrent Jaguar en justice pour non-respect des clauses de leur contrat. L’honnêteté commande de mentionner que la malchance n’aura pas été étrangère au destin pour le moins torturé de la supercaranglaise : sa commercialisation effective coïncida avec la récession qui suivit la guerre du Golfe. Nous ne pleurerons pas sur le sort des vils spéculateurs qui y laissèrent une manche de leur chemise et dont certains avaient bâti des fortunes indécentes, en particulier sur le dos des Ferrari F40 (à la fin des années 1980, on en a vu se vendre six fois plus cher que le prix du neuf) mais l’affaire fut difficile à digérer pour les finances de la firme de Coventry, que l’on n’a plus reprise au jeu depuis lors.

Il vaut mieux l’avoir en photo que dans son garage

Dès 1993, McLaren présenta sa F1, qui s’apparente certainement à l’antithèse absolue de la XJ220 (et de sa soeur XJ220S). Aussi sérieusement charpentée que la Jaguar pouvait être foutraque et improvisée à certains égards, l’œuvre de Gordon Murray est depuis longtemps entrée dans la légende, et pas seulement en raison de sa rapidité. La voiture de Woking a brillamment illustré ce que pouvait donner l’intuition d’un authentique génie lorsqu’elle est travaillée avec une méthode irréfutable et une exigence de chaque instant. En comparaison, la XJ220 ressemble aux élucubrations approximatives d’une bande d’anciens combattants ayant vidé une pinte de trop au pub du coin.

Jaguar XJ220 devant une villa de nuit

Cela ne l’empêche pas d’être diablement attachante et, après tout, les photographies floues ou imparfaitement cadrées ont souvent plus de charme que les compositions trop parfaites, maniéristes et retouchées jusqu’à l’obsession. Il n’empêche qu’il a fallu des années à Jaguar pour écouler son stock — ce qui laisse songeur quand on sait que la production de la plupart des supercars est fréquemment vendue dans son entièreté avant même que le premier exemplaire ait été assemblé. Malgré son moteur qui râle, grogne et éructe comme s’il équipait encore une voiture de course, ses rétroviseurs de Citroën CX et ses feux arrière de Rover 200/400, la XJ220 reste intimidante pour qui la contemple « en vrai », et surtout émouvante si l’on prend le temps de réfléchir à l’enthousiasme, au courage et à la fortitude qu’il aura fallu à ses auteurs pour transformer leur rêve en objet roulant, bruyant, vivant. Ils méritent assurément d’être salués avec toute la chaleur humaine possible — mais cela ne veut pas dire que, si vous avez 500 000 euros dont vous ne savez pas quoi faire (soit à peu près ce qu’il faut débourser à l’heure actuelle pour posséder l’un des rares exemplaires disponibles à la vente), c’est forcément la meilleure façon de les investir !

Texte : Nicolas Fourny

Photos : (c) Zack Brehl pour CarJager

Nicolas Fourny

Nicolas Fourny

Nicolas Fourny est rédacteur indépendant pour Car Jager, diplômé de l'ESJ Paris (École Supérieure de Journalisme). Passionné par l'automobile sous toutes ses formes, il explore le passé et le présent des plus grandes mécaniques avec une plume exigeante et documentée. Nicolas met son expérience journalistique au service d'une écriture à la fois précise, évocatrice et fiable. Chaque article est le fruit d'une recherche approfondie et d'un regard passionné, porté par une connaissance fine de l'histoire automobile. Rigueur, style et curiosité guident son travail, dans une quête permanente de justesse éditoriale, au service des lecteurs exigeants et des passionnés.

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