Renault 12 Gordini : le poison de l’héritage
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Renault 12 Gordini : le poison de l’héritage

Par Nicolas Fourny - 29/06/2020

La Renault 12 fait partie de ces autos à l’histoire tentaculaire et au parcours mouvementé. Parfois inattendues, ses identités auront été multiples, de la familiale rustique au break 4×4 Sinpar, en passant par d’improbables spécialités roumaines concoctées par le Dacia de l’autre siècle — on a même vu quelques exemplaires d’un inénarrable coupé Sport arpenter les routes de Valachie ou des Carpathes ! Cependant, et de façon paradoxale, la 12 la plus mythique, la plus désirable, la plus recherchée par les collectionneurs d’aujourd’hui fut aussi, de son vivant, l’une des machines les plus dédaignées et les plus incomprises de son temps. Il s’agit bien sûr de la version Gordini, sur les mânes de laquelle bien des petrolheads du XXIème siècle s’attendrissent ; et il n’est pas inutile d’explorer le destin atrophié de cette étrange automobile, dont les caractéristiques ne connaissent pas d’équivalent dans la production de l’ex-Régie.

Un virage à 180 degrés

« Je me souviens des jours anciens / Et je pleure », a écrit Paul Verlaine. Sur YouTube, on peut facilement trouver une passionnante séquence dans laquelle le regretté Jean-François Piot explique et démontre toute la science du pilotage qu’il convenait de déployer pour maîtriser la « Gorde ». Bien que plusieurs autres Renault, aux fortunes diverses, aient reçu le badge Gordini (jusqu’à une calamiteuse Twingo Diesel !), ce surnom affectueux est à tout jamais attaché à la Renault 8, dont on a suffisamment énoncé les mérites et raconté l’histoire pour qu’il soit superflu d’y revenir ici — sauf pour évoquer la terrible mission de son successeur. Car, évidemment, l’abandon progressif du tout-à-l’arrière par le Losange ratifiait la fin d’une époque, faite de virages négociés en travers et de contrebraquages virevoltants. Chacun s’attendait donc, sans pouvoir vraiment s’y résoudre, à ce que les réjouissances se poursuivent dans un format substantiellement différent. En 1969, les premières R12, avec leur transmission aux roues avant, leur moteur en porte-à-faux et leur essieu arrière rigide, avaient livré des indices assez clairs quant à l’orientation technique que Renault entendait suivre dorénavant pour son milieu de gamme. Et il faut bien en convenir, un tel préambule ne pouvait que consterner les amateurs de pilotage tel qu’on le comprenait à ce moment-là, la notion même de conduite sportive semblant à tout jamais incompatible avec la traction. Adulée par toute une génération de pilotes — et non des moindres : Jean-Pierre Jabouille, Bernard Darniche ou Jean Ragnotti se sont révélés à son volant — la 8 Gordini est l’une de ces autos dont l’arrêt de production aura laissé comme orphelins tous ceux qui les ont aimées. Prendre la suite d’un tel mythe, pratiquement statufié de son vivant, n’était certes pas facile, surtout à partir du moment où les paradigmes avaient changé.

La cérémonie des adieux

Dans les premiers jours du mois de juillet 1970, la nouvelle Gordini fut donc présentée sur le circuit Paul Ricard, au cours d’une manifestation qui ressemblait plus à une cérémonie funèbre qu’au lancement d’un nouveau modèle. La « Gorde » était censée y tirer sa révérence dans d’ultimes acrobaties avant de céder la place à la 12 — dans le catalogue Renault tout du moins car, dans le cœur des passionnés, la partie était loin d’être gagnée et certains d’entre eux n’hésitèrent pas à huer la nouvelle venue. Lors du lancement des berlines 12, deux ans auparavant, la rusticité de leur fiche technique ainsi que l’apparente simplicité de leur design avaient rebuté plus d’un observateur. Soyons justes : pour sa part, l’esthétique de la 8 n’est pas non plus tellement citée lorsqu’il s’agit d’évoquer les chefs-d’œuvre stylistiques du XXème siècle ; quant à l’architecture générale, le passage du tout-à-l’arrière à la traction avant, au début des années 1970, signait la fin d’un archaïsme auquel Volkswagen allait également renoncer. Cependant, le cahier des charges de la 12 présentait certaines spécificités qui la rapprochaient du fantasme de la voiture mondiale : conçue pour pouvoir être produite partout dans le monde, et en particulier dans des pays que le vocabulaire contemporain qualifierait volontiers d’émergents, par une main-d’œuvre souvent peu qualifiée, l’auto avait volontairement banni toute sophistication de son patrimoine et, à cet égard, prenait le contrepied de la Citroën GS — l’une de ses principales rivales qui avait pris, quant à elle, le parti d’une complexité technique alors sans équivalent dans son segment de marché. 

La nouvelle familiale Renault ne constituait donc pas, a priori, une base idéale pour développer une berline sportive digne de ce nom ; cependant, en l’espèce on ne saurait reprocher aux ingénieurs de la RNUR d’avoir bâclé leur réflexion. Ayant jeté aux orties le Cléon-fonte qui animait — si l’on ose dire — le reste de la gamme, la nouvelle Gordini avait en effet retenu le Cléon-alu 77 x 84 issu de la R16, pour une cylindrée exacte de 1565 cm3. Un moteur soigneusement retravaillé pour l’occasion, alimenté par deux carburateurs double corps Weber 45DCOE, équipé d’un radiateur d’huile, de soupapes d’admission de 42,1 mm de diamètre (contre 40 mm sur la R16 TS), de pistons plus bombés, d’un diagramme d’arbre à cames modifié, de tubulures d’échappement élargies et d’un joint de culasse renforcé ; à l’arrivée, on n’obtenait ainsi pas moins de 113 chevaux à 6250 tours/minute. De son côté, le châssis n’était pas en reste avec, entre autres, un freinage à quatre disques (ventilés à l’avant !), des ressorts de suspension plus courts et deux barres stabilisatrices de gros diamètre. 

Comme une charnière qui grince

La préparation s’avérait donc sérieuse et s’efforçait de se montrer digne de son appellation, tandis que l’accastillage n’avait pas grand-chose à voir avec celui d’une 12 « normale ». Proposée dans onze teintes de carrosserie dont, en exclusivité, le célèbre « bleu de France » 418 popularisé par l’aïeule, agrémentée de bandes blanches extrêmement suggestives, privée de pare-chocs (pour faire plus « sport », sans aucun doute), la « G » reposait sur des jantes Fergat (en tôle, certes…) et recevait le renfort de deux projecteurs à longue portée fixés sous la calandre. D’autres détails permettaient à coup sûr d’identifier l’auto : l’orifice du réservoir d’essence (d’une capacité de 89 litres) se trouvait déplacé dans l’aile arrière gauche alors que les confortables sièges avant de série laissaient la place à des unités tubulaires très « 4L » dans l’esprit et devenues introuvables aujourd’hui. 

Ce rapide inventaire, aussi émouvant qu’il soit, ne peut que laisser perplexe et, comme l’ont montré les évolutions de la voiture durant sa courte carrière, matérialise les hésitations de ses concepteurs. Cinquante ans plus tard, il suscite une interrogation fondamentale : à quelle clientèle au juste la 12 Gordini était-elle destinée ? Incapable d’amadouer les thuriféraires de la 8, qui furent nombreux à aller trouver une relative consolation au volant des Simca 1000 Rallye dont la fabrication perdura plusieurs années encore, l’engin peinait aussi à convaincre toute une frange de conducteurs sportifs à la recherche d’une certaine polyvalence, mais dont la dévotion à la propulsion demeurait intacte. Tarifé 19 200 francs à l’automne de 1972, il pouvait par exemple se voir opposer une Alfa Romeo Giulia 1600, légèrement plus coûteuse, à peine moins puissante et qui, en dépit de son âge déjà avancé, proposait un indéniable plaisir de conduite, en plus d’un blason sensiblement plus prestigieux — et le raisonnement demeurait valable lorsqu’on se tournait vers la BMW 2002. Au-delà des questions liées à la promotion sociale, on peut aisément comprendre l’hésitation des clients ayant envisagé l’acquisition de la 12 Gordini, dont l’identité chancelante semblait inapte à choisir entre le sport pur et dur — mais, dans ce cas, à quoi bon choisir une berline ? — et les charmes du grand tourisme — domaine dans lequel les origines plébéiennes et le manque de raffinement de la Renault représentaient des obstacles quasiment infranchissables. De surcroît, les problèmes de motricité récurrents de la voiture représentaient autant d’arguments en défaveur de son schéma de transmission…

Dès le millésime 1973, la firme au losange proposa une variante embourgeoisée de la 12 « G », sous la forme d’une option groupée reprenant l’intérieur de la TS (avec sièges intégraux) et comportant des pare-chocs. L’année suivante, lesdits sièges intégrèrent la dotation de série mais le cœur n’y était déjà plus et, seulement quatre ans après sa présentation initiale, la production du modèle s’interrompit dans l’indifférence générale, après 5 188 exemplaires produits. Un nombre très limité d’entre eux reçurent le kit « 807/G », élaboré dans les ateliers de Viry-Châtillon et qui aboutissait à une puissance de 150 chevaux avec, à la clé, un gain très sensible en termes de performances pures. En dépit de quoi, et dans la détestable tradition française, ce kit ne fut commercialisé que de façon confidentielle et n’intégra jamais la gamme en tant que version à part entière, démontrant, de la sorte, le renoncement définitif à renforcer la crédibilité de l’auto. 

En retard d’une guerre, en avance d’une autre

Avec le recul du temps, le fait que la production de la 12 Gordini ait cessé peu de temps avant l’apparition de la première Golf GTI peut difficilement être considéré comme une coïncidence. Avec son injection Bosch, son hayon arrière et le charme irréfutable du dessin de Giugiaro, la sportive de Wolfsburg bénéficiait d’une définition aussi tangible que jubilatoire et signa l’arrêt de mort d’un monde qui était déjà entré en agonie, mais ne l’avait pas encore compris. Radicale pour les uns, aseptisée pour les autres, construite sur une base technique dépourvue d’envergure, la 12 « G » était probablement périmée avant même sa commercialisation et, en définitive, il est permis de penser qu’à l’époque où elle figurait au catalogue de son constructeur, son principal handicap ne fut autre que sa dénomination, synonyme d’un héritage bien trop lourd à assumer. Sans doute un acronyme moins connoté (GTS, par exemple) lui aurait-il épargné bon nombre de quolibets et de reproches ; car, sans avoir l’air d’y toucher, le modèle annonçait assez précisément à quoi allaient ressembler les innombrables berlines sportives à roues avant motrices proposées par les constructeurs généralistes jusqu’à une période récente. Avec un moteur qui ne déméritait pas, quatre vraies places, un coffre digne de ce nom et des qualités dynamiques à la hauteur, elle aurait pu, bien avant la 21 Turbo, incarner ce qu’aurait dû être une berline sportive française. Caramba, encore raté ! De nos jours, il en reste une auto vivante, pointue, très imparfaite à certains égards — il faut notamment se battre avec une direction camionnesque — et dont le moteur demande à être sans cesse cravaché pour donner le meilleur de lui-même. Il n’empêche qu’elle vaut infiniment mieux que sa réputation, entretenue comme souvent par des individus qui n’en ont jamais pris le volant. Bien des amateurs ont fini par s’en apercevoir, et sa cote s’en ressent : il faut désormais compter 20 000 euros, au bas mot, pour acquérir un bel exemplaire. Qu’on se le dise…

Saviez vous qu’en Argentine, il avait existé une Renault 12 Alpine ?

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