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Mercedes-Benz coupé Strich-Acht (C114) : la solitude de la vieille dame

Par Nicolas Fourny - 03/06/2025

« D’une beauté dépourvue de toute ostentation, les coupés les moins chers de la firme, s’ils proscrivaient tout avant-gardisme, n’en étaient pas moins en mesure de contenter et peut-être même d’épanouir leurs conducteurs »

Il y a quelques jours, Mercedes a présenté les coupés et cabriolets CLE, chargés de perpétuer, au sein d’une gamme de plus en plus phagocytée par les SUV en tous genres, l’une des plus anciennes traditions du constructeur souabe, qui a donné naissance à plusieurs grandes réussites stylistiques depuis un peu plus de cinquante ans. Cette séquence réconfortante nous a fourni un prétexte idéal pour nous intéresser à la série qui a durablement installé la firme de Stuttgart dans un segment bien particulier, celui des coupés dérivés des berlines moyennes (au sens germanique du terme). Ou comment créer des variantes récréatives et flatteuses pour l’œil sans pour autant tourner le dos à un certain classicisme… Sur ce chemin de crête, l’Étoile n’a jamais déçu et le premier modèle de la lignée n’est pas le moins abouti, comme vous allez le (re)découvrir dans les lignes qui suivent.

La disparue de Sindelfingen

À l’heure actuelle, le coupé 114 a, à peu de choses près, disparu des routes européennes. On n’en croise plus guère que dans des salons comme le Techno-Classica à Essen ou lors des Cars & Coffee régulièrement organisés entre la fin du printemps et le début de l’automne sur l’esplanade du Mercedes-Benz Museum. Et pourtant, toutes proportions gardées, le modèle a connu un réel succès, avec plus de 67 000 exemplaires construits de 1968 à 1976. Où sont donc passées ces autos ? Dorénavant trop âgées pour attirer les amateurs de youngtimers, moins prestigieuses que les coupés de la série 111 ou que les SLC sorties en 1971, il est malheureusement probable que beaucoup d’entre elles aient fini en pièces détachées, la corrosion ne les ayant pas davantage épargnées que les berlines dont elles dérivaient — à quoi sont venus s’ajouter le déclassement puis la négligence dont sont toujours victimes les carrosseries marginales, que la mode abandonne aussi brutalement qu’elle les a célébrées. Moyennant quoi, cette deux portes au dépouillement subtil, bourgeoise mais atypique, fertile en détails propres à réjouir l’esthète, peine à s’extraire des trop quiètes provinces de l’oubli.

Un nouveau marché pour l'étoile

Nulle devancière n’avait balisé sa route. À l’automne de 1968, quelques mois après la présentation des berlines W114 et W115 (les 114 ayant l’apanage des moteurs six-cylindres), le coupé que dévoilèrent les responsables de la Daimler-Benz à la presse spécialisée apparut en effet comme une voiture absolument inédite dans son positionnement. Jusqu’alors, la marque n’avait rien à proposer aux clients désireux de se singulariser en réfutant les vertus parfois triviales que l’on associe volontiers aux berlines — praticité des quatre portes et habitabilité suffisante pour quatre à cinq adultes bien nourris — mais incapables de débourser les 24 000 deutschemarks exigés pour l’acquisition d’un coupé 280 SE contemporain. C’est ici que, sans doute, réside le tout premier mérite des premières 250 C et CE, vendues environ 8000 DM de moins : en faisant irruption sur un segment de marché peu fréquenté mais rémunérateur, Mercedes faisait coup double, élargissant son offre tout en ouvrant des perspectives à ceux qui roulaient en Opel Commodore GS ou en Lancia Flavia, et en répondant aux ambitions nouvelles de BMW, dont la 2800 CS vit le jour simultanément…

Les leçons du professeur Bracq

Au total, Paul Bracq aura passé dix ans au design Mercedes et, le moins que l’on puisse écrire, c’est qu’il a mis à profit cette séquence de sa vie professionnelle pour insuffler un style et influer de façon significative sur la physionomie de plusieurs modèles marquants.  De la sorte, révélée au Salon de Francfort de 1967, la berline 114/115 (couramment surnommée Strich-Acht, c’est-à-dire littéralement « /8 », en référence à l’année de sa commercialisation) reprenait le vocabulaire de la série « S » présentée en 1965, tout en le modernisant. Les phares verticaux restaient fidèles au poste mais avaient adopté un format plus rectangulaire, tandis que le dessin général gagnait en nervosité, de par sa transcription en une caisse plus compacte. Des W108 et W109 la nouvelle berline reprenait l’ensemble des préceptes, avec notamment une ligne de caisse relativement basse, favorisant une luminosité hors pair. On ne peut pas dire que, ce faisant, le constructeur souabe ait surpris les observateurs — on était loin du choc provoqué par la série à ailerons dite Heckflosse apparue près d’une décennie plus tôt ! Justement, l’auto envoya à la retraite les ultimes représentantes des Mercedes fintail et, par la suite, nombreux furent ceux qui lui reprochèrent de borner son approche à une fonctionnalité un peu trop stricte (Acht !), sans s’autoriser la moindre fantaisie, à l’exception peut-être des optiques qui rappelaient celles de feues les Facel Vega mais qui, après dix ans et de multiples déclinaisons, avaient cessé de surprendre.

Poigne de fer et discrétion

C’est pourquoi le coupé établi sur cette même base a séduit un large public, que ce dernier ait eu ou non les moyens de se l’offrir — disponible à partir de 29 000 francs en septembre 1969, la 250 C, modèle d’accès, dépassait tout de même de 16 % le tarif de la quatre portes identiquement motorisée. Tout à fait entre nous, le supplément de prix se justifiait amplement ; entre une proue et une poupe similaire à celles des berlines intervenait désormais un très élégant pavillon surbaissé dont la forme évoquait le toit d’une pagode, à l’instar du roadster SL W113 ; de surcroît, les vitrages latéraux, veufs de tout montant central, offraient un ouverture sans entraves vers l’extérieur, une fois escamotés. La forme de la custode, se rapprochant délibérément d’un carré, laissait s’enfuir, avec une grâce tout en retenue, un montant C à l’angle idéal. Proposant une interprétation du coupé très différente de celle de la W111, l’auto proposait un design à la palpable tension, annonçant assez précisément à quoi allaient ressembler les années 1970 de ce point de vue. En ce temps-là, la ligne de démarcation qui sépare l’aristocratie de la plèbe avait encore une signification sur le plan mécanique et la série C114 fut exclusivement disponible avec des six-cylindres. À essence, ça va de soi. Bien entendu, après le premier choc pétrolier il se trouva quelques radins pour y greffer des moteurs Diesel dont les fumées et la fragrance ne correspondaient que médiocrement à la beauté de cette sculpture roulante ; de nos jours, de tels errements ont disparu et les voitures survivantes ont, pour la plupart, retrouvé le respect qui leur est dû — sauf lorsqu’elles tombent entre les mains d’énergumènes adeptes des jantes dorées, des coloris vulgaires et des lift kits. En premier lieu, le client potentiel se vit offrir le choix entre deux variantes du même 2,5 litres à simple arbre à cames en tête, issues directement de la série « S », proposant de 130 à 150 ch selon leur système d’alimentation (carburateurs Zenith ou injection Bosch). Dans la tradition délicatement exaltée par le discours des brochures commerciales, il s’agissait de prodiguer un niveau de performances déjà élevé (la 250 CE atteignant les 190 km/h en pointe), tout en renonçant jusqu’au moindre stigmate de virulence ou d’agressivité. « Nous nous arrangeons parfaitement de nos plus puissants adversaires », clamaient alors les publicités du constructeur, avec ce mélange de compétence et de morgue qui le caractérisait. Convenons-en, la démonstration s’avérait convaincante : raisonnablement puissants, d’une beauté dépourvue de toute ostentation, les coupés les moins chers de la firme, s’ils proscrivaient tout avant-gardisme, n’en étaient pas moins en mesure de contenter et peut-être même d’épanouir leurs conducteurs. Leurs qualités routières découlaient d’un schéma technique qui, selon les habitudes de la maison, évoluait avec prudence d’une génération à l’autre, le sempiternel essieu arrière brisé ayant toutefois cédé la place à un essieu oscillant triangulé, pour le plus grand bénéfice de l’agrément comme de la sécurité !

En coupé Mercedes, on est toujours heureux

Durant ses huit années de production, le coupé 114 ne connut aucun bouleversement majeur. En juin 1972, la 250 C reçut un groupe réalésé à 2,8 litres, très proche de celui des 280 S W108. D’une puissance inchangée, il permettait un gain sensible en termes de souplesse. Parallèlement, la 250 CE fut remplacée par une 280 C dont le moteur, l’inédit M110 double arbre, offrait dix chevaux de plus ; au même moment, surgit la 280 CE, également animée par le M110 dans sa version à injection. Avec 185 ch, l’auto présentait désormais des performances de tout premier ordre, capable de 200 km/h chrono, ce qui, dans l’environnement concurrentiel de la première moitié des années 1970, la situait de façon avantageuse — dans cette catégorie, il n’y avait guère que la BMW 3.0 CSi ou la Jaguar XJC 4.2 pour pouvoir suivre son rythme. Il n’y avait guère de raison de retoucher une telle silhouette mais le modèle eut néanmoins droit à un regrettable restylage de mi-carrière, lequel eut surtout pour résultat d’alourdir (modérément) des formes qui, à notre sens, ne nécessitaient aucune correction. Les gros feux arrière à striures constituaient, certes, un progrès technique, mais ils avaient perdu la finesse de leurs prédécesseurs ; l’intégration du nouveau et volumineux rétroviseur extérieur, difficilement compatible avec le maintien des déflecteurs (supprimés sur les berlines lors de ce face-lift) ne saurait, quant à elle, figurer parmi les réalisations les plus heureuses de la marque… Mais ne vétillons pas : nous naviguons là dans des détails superficiels et les substrats du modèle furent, pour l’essentiel, préservés jusqu’au bout. En définitive, les choses n’ont guère changé ; tout comme il y a cinquante ans, la personnalité de ce coupé n’attire qu’un nombre restreint de collectionneurs. Les émotions qu’il peut susciter s’apparentent à des séismes secrets plutôt qu’à de tapageuses éruptions ; il faut un minimum de culture et de sensibilité pour pouvoir apprécier à sa juste valeur le caractère singulier d’une auto dont les schèmes esthétiques convoquent autant de fantômes que de perspectives : si les phares verticaux et la pagode proviennent en droite ligne des années 1960, le traitement général de la caisse se projette déjà loin au-delà. À cette aune, ce sont probablement les voitures antérieures au restylage intervenu pour le millésime 1973 qui sont les plus désirables, à moins que vous ne donniez la priorité à la performance, auquel cas les 280 devraient pouvoir combler vos attentes. Dans l’absolu, l’offre n’est pas considérable, y compris outre-Rhin où les prix peuvent aller jusqu’à 30 000 euros pour un exemplaire irréprochable. Tout bien considéré, pour voyager à bord de l’un des plus somptueux coupés Mercedes de l’après-guerre, ce n’est pas cher payé…





Texte : Nicolas Fourny

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