17 novembre 1988 : quand le voyage de presse vire au cauchemar
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17 novembre 1988 : quand le voyage de presse vire au cauchemar

Par Paul Clément-Collin - 21/05/2017

J’étais à Monaco, confortablement installé, à regarder le Grand Prix de Formule E : une occasion formidable de voir un beau spectacle, certes, mais aussi de discuter avec des confrères de presse écrite plus expérimentés que moi, et qui ont toujours une petite anecdote bien sentie à raconter. Généralement, c’est sur le ton de la plaisanterie que les souvenirs remontent. Mais cette fois-ci, j’ai compris qu’être un « globe-trotter » de l’automobile avait aussi ses risques.

A l’évocation de notre avion prévu à 19h, et des risques d’orage sur Nice, je vois le visage des mes compagnons d’un jour s’assombrir. Moi je n’ai pas peur en avion, mais voir leurs visages graves me fit comprendre que tout ne se passe pas toujours comme prévu :

« tu comprends Paul, on a beau prendre l’avion des dizaines de fois, voire des centaines de fois dans l’année, on reste conscient que tout peut arriver »

Cette petite phrase me pousse à creuser le sujet. Ont-ils eu des sensations fortes lors de vols, en partance pour des voyages de presse ? « Oui, effectivement – me répondent mes camarades – , des trous d’air, ou des moments difficiles, on en a connu, mais on a surtout été marqué par un événement tragique ». C’est cet événement tragique que je vais vous raconter.

Remontons le temps. Nous sommes le 17 novembre 1988. Ce jour-là, une dizaine de journalistes sont invités par le Garage du Bac, un gros concessionnaire BMW et importateur Alpina (lire aussi : Alpina), à venir découvrir la BMW M3 Championne de France piloté par Fabien Giroix (qui n’est autre que le fils du patron du Garage du Bac, Jean-Claude Giroix), sur le circuit du Mas du Clos, créé par Pierre Bardinon (on peut voir en ouverture de l’article une M3 du même type, pilotée par Fabien Giroix, mais en 2014, au Techno Classica).

Le Garage du Bac et son sponsor compétition Castrol ont, pour l’organisation du voyage, fait appel à Dynn Air International (dirigée par Pierre Bos), qui a alors affrété un Cessna 441 Conquest II de la compagnie JC Air (dirigée par Bernard Lévy) pour un vol Toussus-Le-Noble/Montluçon. Rien d’anormal a priori. Pourtant le soir même, mon camarade journaliste racontant l’anecdote, a comme un pressentiment : prévu pour le voyage, il préfère se désister. Un autre camarade journaliste aura lui, le 17 novembre fatidique, la plus chanceuse panne de réveil qui soit : il n’arrivera à Toussus-Le-Noble que pour assister à la catastrophe.

Un Cessna 441 Conquest II identique à celui qui décolla de Toussus-Le-Noble ce 17 novembre 1988

Dans l’avion, 7 personnes prennent place : le pilote, Daniel Touzard, mais aussi Jean-Claude Depincé, le responsable de la compétition au Garage du Bac, Marc Duick, un photographe free-lance spécialisé dans l’automobile, François-Xavier Beaudet, une figure du journal L’Equipe, Denis Charpentier, de l’Argus, Raymond Bochet, de Sport Auto, et Geoffroy Lemaignan, du journal de l’Automobile. Tous montent confiant malgré un brouillard très dense ce jour là. Ils font confiance, il n’y a pas de raison, pensent-ils, que cela se passe mal. Et pourtant, rien ne se passera comme prévu.

L’avion décolle, et tente de voler pendant 4 minutes. Au lieu de grimper tout droit dans le brouillard et les nuages, le Conquest va rapidement entamer un virage à 180 degrés, puis perdre de l’altitude avant de s’écraser dans les marais de Saclay, près de Gif sur Yvette, l’aile droite ayant la première touché le sol. L’impact sera si violent qu’il sera difficile d’identifier les corps des 7 victimes d’un accident incompréhensible.

Le C441 de JC Air après l’impact, lors de l’enquête du BEA avec l’aide de la Gendarmerie

Que s’est-il réellement passé ? L’enquête puis les procès successifs intentés par les familles des victimes mettra en lumière le manque d’expérience du pilote, qui n’avait pas encore toutes les qualifications nécessaires. Le responsable de JC Air, Bernard Lévy, présent à Toussus-Le-Noble aurait en outre du retarder ou annuler le vol, étant donné les conditions de brouillard et l’obligation d’un décollage aux instruments (IFR). Il semblerait aussi que le pilote ne disposait pas des documents nécessaires à la bonne répartition des charges pour le décollage de l’avion.

Au fil de l’enquête et des procès, on découvrira que le Cessna avait un problème technique non réparé : le couple-mètre du moteur droit était défectueux, entraînant un légère asymétrie de puissance des moteurs. Si ce problème n’est pas la cause de l’accident, il a sans doute contribué à désorienter un pilote peu chevronné sur ce type d’appareil, et étant donné les conditions climatiques. Pire, on s’apercevra aussi que l’appareil n’était pas censé décoller ce jour là avec des passagers.

In fine, et après 10 ans de procédure, Bernard Lévy et Pierre Bos seront condamné pour homicide involontaire à 18 mois de prison, dont 14 avec sursis. Le Garage du Bac sera gravement touché par cette affaire : Jean-Claude Giroix quittera la direction de l’entreprise. Aujourd’hui encore, on peut lire sur le site de la société : « Après un accident, grave préjudice commercial, c’est Madame Francine Giroix et son fils qui prirent la direction de la concession BMW ».

Pour beaucoup, la version officielle de la défaillance du pilote ne tient pas la route. Pour certains, l’histoire est plus sombre : un pilote un peu barbouze que des services officiels auraient voulu éliminer, alors que le vol n’était pas censé transporter des passagers. Il est vrai que défaillance du pilote, brouillard et anomalie moteur ne suffisent pas forcément à expliquer ce brusque décrochage à droite. De là à aller chercher des explications plus occultes, il n’y a qu’un pas.

La vérité sur cette affaire vieille de 30 ans ? On ne la saura sans doute jamais, mais le monde des médias automobiles perdait ce jour là une brochette de journalistes chevronnés, à la passion chevillée au corps, tandis que ceux qui, prévus sur ce vol, et qui l’ont finalement soit décliné soit manqué, se dirent qu’ils l’avaient échappé belle. En revanche, le souvenir est toujours vivace, et la tristesse d’avoir perdu des amis et confrères encore bien présente. Cet article est aussi l’occasion pour nous, qui ne les avons pas connu, d’avoir une pensée pour eux comme pour leur famille, même 30 ans après !

Paul Clément-Collin

Paul Clément-Collin

Paul Clément-Collin est une figure reconnue du journalisme automobile français. Fondateur du site culte Boîtier Rouge, sacré meilleur blog auto aux Golden Blog Awards 2014 et cité parmi les médias auto les plus influents par Teads/eBuzzing et l’étude Scanblog Advent, il a ensuite été rédacteur en chef de CarJager et collaborateur de Top Gear Magazine France. Journaliste indépendant, spécialiste des voitures oubliées, rares, iconiques ou mal-aimées, il cultive une écriture passionnée et documentée, mêlant culture auto, design, histoire et anecdotes authentiques, et intervient également sur des événements majeurs comme le Mondial de l’Auto.

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