
Les coupés allemands à moteur V12 apparus depuis l’après-guerre ne sont pas légion – et, à ce jour, ils ont malheureusement tous disparu mais, il y a une trentaine d’années, les amateurs du genre pouvaient encore hésiter entre plusieurs modèles aussi fascinants les uns que les autres. Si la Mercedes CL et la BMW Série 8 viennent immédiatement à l’esprit, il n’en va toutefois pas de même pour la déclinaison la plus exclusive de cette dernière, j’ai nommé l’Alpina B12 ! Pourtant, sous cette dénomination un rien ésotérique, connue et révérée par quelques rares connaisseurs, se dissimule rien moins que l’une des plus fabuleuses GT de son temps…

Un préparateur devenu constructeur
L’histoire d’Alpina est connue, mais elle mérite d’être brièvement rappelée. Fondée il y a exactement soixante ans par Burkard Bovensiepen, l’entreprise se spécialise immédiatement dans l’optimisation des BMW. Très vite, les préparations proposées par la petite firme de Buchloe ne se bornent plus à accroître la capacité des brillants moteurs munichois conçus à quelques encablures de là, mais s’intéressent également aux liaisons au sol, de façon à proposer à une clientèle aussi avertie qu’exigeante des BMW superlatives, plus puissantes et plus abouties encore que leurs matrices. Unanimement reconnue pour la qualité de ses réalisations – qui reçoivent même l’approbation, discrète au départ, de la firme à l’hélice –, Alpina change de statut à partir de 1983 et cesse alors d’être un simple préparateur pour devenir un constructeur à part entière, ce qui renforce encore l’attrait de ces BMW très spéciales, dont la production ne représente qu’une fraction des modèles qui leur servent de base. Ainsi, à chaque modèle BMW correspondent une ou plusieurs déclinaisons élaborées par les motoristes et ingénieurs Alpina, toujours attendues avec impatience par les disciples les plus férus d’exclusivité de la marque. Et la très ambitieuse Série 8, présentée à Francfort à l’automne 1989, ne fera pas exception à la règle.
Anatomie d’un échec
Ce grand coupé patricien vient couronner le catalogue BMW, dont il est censé parachever la méthodique montée en gamme entreprise dès le mitan des seventies et qui a progressivement permis au constructeur bavarois de s’élever au niveau de Mercedes, éternel rival dont la plupart des modèles entrent en conflagration directe avec les siens. Tel n’est cependant pas le cas de la 850i originelle, qu’un positionnement quelque peu bancal va pénaliser dès l’abord : pas assez luxueuse pour pouvoir rivaliser avec les grands coupés Mercedes dérivés de la Classe S, l’auto s’avère également trop lourde pour pouvoir satisfaire les plus sportifs des conducteurs. Par surcroît, son V12, une fois admis le respect inné que suscite une telle architecture, est rigoureusement le même que celui de la Série 7 E32, et engendre conséquemment les mêmes critiques liées à l’incompréhensible pusillanimité dont ses concepteurs ont fait preuve, l’auto se révélant moins plaisante à mener qu’une Porsche 928 apparue plus de dix ans auparavant. Et, malgré les efforts méritoires de BMW pour relancer son coupé, rien n’y fera ; la Série 8 E31 quittera la scène sans gloire en 1999, après que seuls une trentaine de milliers d’exemplaires aient été produits.

La magie Alpina
Néanmoins, cela ne veut pas dire que le modèle soit dénué d’intérêt, bien au contraire. Son épopée comporte même, à notre humble avis, l’une des plus fantastiques GT allemandes du siècle passé, sous la forme d’une 850 CSi aussi confidentielle que vénérée aujourd’hui, et dont tout « béhémiste » patenté saura rappeler l’extrême rareté aux béotiens – seuls 1510 exemplaires de l’engin ont vu le jour et constituent un joli lot de consolation destiné aux aficionados de la marque ayant espéré une M8 qui, hélas, ne dépassera pas l’état de prototype… Pourtant, en dépit d’un moteur poussé à 380 ch et d’un inédit essieu arrière autodirectionnel, la 850 CSi n’incarne pas la plus échevelée des Série 8 ; dès l’été 1990, Alpina s’est penché sur le cas de l’infortuné coupé, développant la première B12 à deux portes – rappelons pour les distraits que les B12 à quatre portes dérivent de la Série 7 – et parvenant à extirper 350 ch d’un V12 souvent décrit comme insuffisamment vindicatif en comparaison des V8 Mercedes de l’époque. Inévitablement, la 850 CSi allait, elle aussi, subir les derniers outrages concoctés par les sorciers de Buchloe…
Ce n’est pas la Béhème de votre voisin
Présenté en novembre 1992, le coupé B12 5.7 est sans conteste la Série 8 ultime. Réalésé à 5646 cm3, le douze-cylindres améliore encore de trente-six chevaux les ressources du 5,6 litres de la 850 CSi. Bien sûr, on reste très loin des 550 ch du proto M8 mais, en ce temps-là, les GT dépassant les 400 ch sont encore rarissimes et les chronos de l’engin sont éloquents : Alpina revendique une vitesse maximale supérieure à 300 km/h et un 0 à 100 km/h accompli en 5,8 secondes, le kilomètre départ arrêté réclamant pour sa part 24,8 secondes. Des temps qui se rapprochent de ceux d’une Ferrari 456 GT, ce qui aide à situer la B12 5,7 litres dans la hiérarchie de son époque, l’auto surpassant même le monumental V12 que Mercedes propose depuis peu sous le capot de la 600 SL. La plus faramineuse des Alpina ne sortira pour autant pas de la plus extrême confidentialité ; seuls cinquante-sept exemplaires en seront construits jusqu’à la fin de 1996. Inutile de préciser que les transactions sont rares ; à titre indicatif, il y a cinq ans RM Sotheby’s a vendu un exemplaire de 1993 pour la modique somme de 265 000 euros. Et croyez-nous, elle les vaut !



