
De nos jours, l’Audi A8 survit dans l’indifférence générale, abandonnée de tous – y compris, il faut bien le dire, de son propre constructeur, qui semble avoir d’autres chats à fouetter. N’ayant jamais réussi à véritablement s’imposer face aux Mercedes Classe S et BMW Série 7, la plus grande des berlines Audi doit, par surcroît, subir la désertion d’une bonne part de sa clientèle potentielle, dorénavant plus attirée par les SUV dont la firme aux anneaux est justement prodigue. Pourtant, et même si elle a vieilli, l’auto demeure captivante en l’état, porteuse d’un héritage dont la plus singulière représentante n’est autre que l’éphémère S8 à moteur V10 qui nous intéresse aujourd’hui…

Trente ans déjà
À bien y regarder, peu d’automobiles se ringardisent plus vite que les grandes routières de luxe. Souvent encensées à leur apparition pour leur raffinement, leur prestance, leurs innovations et l’entregent de leurs mécaniques, elles ne tardent pas à sombrer dans l’oubli une fois remplacées et, à la faveur d’une décote abyssale, tombent ensuite dans entre des mains de moins en moins recommandables au fil des reventes successives. De sorte que, quand la marée des désirs impécunieux finit par se retirer, elle ne laisse derrière elle que de pathétiques semi-épaves abandonnées sur un rivage déserté par les amateurs véritables – lesquels ont, bien au contraire, veillé à préserver les plus beaux exemplaires de ces reines de la route. Tel est – entre beaucoup d’autres – le destin des premières générations d’Audi A8, dont la première version, codée D2, est apparue voici plus de trente ans déjà et qui, dès 1996, s’épanouit encore davantage sous la forme de la S8. Intégralement composée d’aluminium et dotée de motorisations de grande classe, la grande Audi affronta sans complexes les rivales germaniques précitées et, si elle n’égala pas leurs statistiques de ventes, contribua significativement à ennoblir l’image de la firme aux anneaux.
L’avènement du V10
Je me souviens fort bien du Mondial de l’Automobile 2002, dans le cadre duquel Audi présenta l’A8 D3 en première mondiale. Un petit cortège d’A8 W12 et de S8 de la génération sortante, immatriculées à Ingolstadt, siège historique du constructeur, stationna tout au long du hall 4 du parc des expositions parisien durant les journées presse, ce qui permit aux journalistes présents de se livrer à des comparaisons in situ, le nouveau modèle trônant fièrement à quelques mètres de là, sur le stand Audi. Esthétiquement modernisée, encore mieux finie, plus puissante et disposant de qualités routières améliorées, la nouvelle A8 ne déçut pas les observateurs mais, dans la tradition maison, dut néanmoins attendre quatre ans pour, à son tour, voir apparaître son dérivé à caractère sportif. Lequel, comme on va le voir, plaçait la barre nettement plus haut que son prédécesseur. Car si la première S8 se contentait d’optimiser le V8 de l’A8 4.2, sa descendante, bien décidée à en découdre avec la Mercedes S 55 AMG, avait choisi, en toute simplicité, d’un moteur V10 !


Une querelle de puristes
Aujourd’hui encore, une petite querelle subsiste entre ceux qui considèrent que la S8 D3 et la Lamborghini Gallardo (apparue en 2003) partagent le même moteur, et ceux qui estiment que les deux V10 n’ont rien à voir. La vérité se situe sans doute quelque part entre les deux : si la Lamborghini est née avec un moteur de 5 litres aux cotes spécifiques, elle a adopté dès 2008 le 5,2 litres FSi animant plusieurs modèles Audi (dont la S8), lui-même dérivé du V8 4,2 litres maison – et il est difficile d’imaginer une absence totale de parenté technique entre ces deux groupes. Toujours est-il que, si son niveau de puissance a bien sûr été largement dépassé depuis lors, la S8 V10 présente une fiche technique qui, aujourd’hui encore, suscite le respect. Développant 450 ch à 7000 tours/minute, le groupe germano-italien emmène l’ensemble avec une maestria qui fait honneur à ses concepteurs. D’autant que l’engin dispose de série de la transmission quattro, ce qui lui confère un avantage non négligeable sur la Mercedes précitée, qui n’existe qu’en propulsion. À l’étage en-dessous, si l’on ose écrire, BMW n’a rien d’autre à proposer que sa M5 E60, elle aussi motorisée par un V10, Munich ayant toujours refusé de développé une version « M » sur la base de sa Série 7…
Retour à la case départ
Malheureusement, chez Audi comme chez BMW les moteurs V10 n’ont constitué qu’une éblouissante parenthèse, bien vite refermée ; à Ingolstadt et à Munich, ce sont des V8 suralimentés – moins onéreux à produire, plus sobres et plus faciles à dépolluer – qui ont pris le relais. Y a-t-on perdu au change ? Du point de vue des données brutes, certainement pas : la S8 D4, présentée en 2012, a brillamment pris le relais avec un huit-cylindres biturbo de 520 ch – voire 605 ch pour la S8 Plus –, et je n’ai jamais entendu qui que ce soit se plaindre de ses capacités. Mais il y a l’art et la manière et, à titre personnel, aucune S8 ne m’a jamais autant ému que cette fugitive itération, si noblement motorisée et proposant un agrégat semblable à nul autre. De nos jours, l’attelage combinant V8 et transmission intégrale s’est banalisé (même BMW s’y est mis, c’est dire) et la S8 a peu à peu perdu sa flamboyance, son exotisme et l’exclusivité de sa structure tout alu sur le modèle actuel. Automobile de connaisseur s’il en est, la plus attachante des S8 est aujourd’hui accessible à moins de 40 000 euros. Mais si vous craquez, gare à l’entretien du V10 et de la transmission, qui ne tolèrent pas l’à-peu-près !







