Ligier-Renault JS-6 : la poire coupée au couteau
CLASSICS
CITADINE
FRANÇAISE
RENAULT

Ligier-Renault JS-6 : la poire coupée au couteau

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 14/04/2017

L’année dernière, un anniversaire est passée un peu inaperçu, celui de la Renault 14, la fameuse « poire » qui malgré un bon démarrage vivota jusqu’en 1983 en atteignant presque le million d’exemplaires (999.193 véhicules produits, soyons précis…). Un bide pour la plupart mais là n’est pas l’objet du propos (lire aussi: Renault 14)… Toutefois, il y a un chapitre de son histoire assez méconnue, celui d’un dérivé innovant qui fut à la limite d’intégrer la gamme, contrairement aux versions trois portes ou tri-corps un temps envisagé. Je m’en vais vous contez cette histoire…

Pour cela, il faut revenir quelques années en arrière : à la fin de l’année 1973, Robert Broyer, a qui l’on doit les lignes de la R12 et de la future 14 quitte la Régie pour «jouer solo». Avant cela, il estimait que la plate-forme, la base technique du projet 121 (la future 14 donc) pouvait permettre le développement d’un véhicule encore plus radical, le moteur en position transversale placée très bas permet de dessiner une ligne plus fuyante. Malgré la toute récente crise pétrolière et l’autophobie émergente, Robert Broyer pense que, si les voitures sportives étaient condamnées à plus ou moins brève échéance, il doit y avoir la place pour des voitures plus ludiques, à l’aspect originale. Reprenant ces deux points, il défini trois propositions de style avec pour points communs une ligne avant en coin avec des phares escamotables, un peu comme la récente Matra Bagheera, ainsi qu’un vitrage latéral plongeant. Si les deux premières proposent des volumes arrière plutôt classiques avec des variantes pour le vitrage et le hayon, la troisième présente quant à lui un hayon l’apparentant à un break. Ça existe déjà, c’est d’origine britannique, ça a un nom, c’est un «break de chasse» !!!

Le 19 juillet 1974, le concept est présenté aux dirigeants du Produit de la Régie, Bernard Hanon et François Wasservogel. Le charme opère sur les deux hommes à tel point qu’il est décidé de l’intégrer à la gamme Renault !!! Malheureusement, la charge des usines et le calendrier de fabrication ne permettent pas d’accueillir ce nouveau modèle. Il est donc mis en sommeil !

Présentation de la maquette réalisée chez Coggiola

Pendant ce temps, en Auvergne… Près de Vichy, dans l’Allier… L’usine Ligier assemble les dernières SM pour le compte de Citroën. Cette sous-traitance s’arrête en début d’année 1975 (lire aussi: Citroën SM et Ligier JS2). C’est alors qu’un problème se pose pour Guy Ligier : de quelle façon faire tourner son usine ? La Régie le sollicite et c’est alors que le projet «BC 121» est sorti de son sommeil, ayant trouvé en Ligier un partenaire d’expérience et à la capacité de production suffisante pour ce modèle. D’ailleurs, Robert Broyer est rappelé pour reprendre du service afin d’en assurer le développement.

C’est donc très officiellement que le projet est lancé avec la diffusion d’un cahier des charges qui insiste sur trois points principaux :

– Donner à la future 14 une image moderne et dynamique.

– Intégrer à la gamme Renault un modèle ludique destiné aux loisirs.

– Atteindre grâce à ce modèle une clientèle d’ordinaire hostile à la marque.

Cette note décrit dans le détail les dimensions, l’habitabilité, le comportement routier et les prestations. On y trouve notamment les objectifs de prix et de volumes envisagés : 35.000 Frs clés en mains, avec une production journalière estimée entre 15 et 30 unités. Par la suite, un calendrier un peu serré est établi afin de débuter la mise en production assez rapidement. Les choses s’accélèrent dès le mois d’octobre, après avoir choisi le dessin définitif, les dates clés sont établis :

– Présentation de la maquette au 1/5 et de celle d’habitabilité à l’échelle 1 fin novembre.

– Définition technique et commerciale en décembre.

– Chiffrage définitif ainsi que l’achèvement du 1er proto pour avril 1976.

– Présentation comme étude expérimentale au Salon de Paris d’octobre 1976.

– Lancement d’une présérie de 250 exemplaires dès janvier 1977.

– Commercialisation à l’occasion du Salon de Genève au printemps.

Fin octobre, une réunion réfléchie aux équipements et options : jantes alliage, boucliers couleur caisse, utilisation des feux arrière de la 14 (ceux de la 30 furent au début envisagés), appuie-tête, teintes de carrosseries et sellerie. La première maquette, construite chez Coggiola en Italie, est présentée chez Ligier mi-novembre. Au mois de juillet, enfin, le 1er prototype (et unique…) roulant, immatriculé 506 W 03 (référence au département de l’Allier, où est basé Ligier) est révélé à la direction générale sur la piste du centre d’essais et de recherches de Lardy. Sous le capot, on retrouve le 1218cm3 de 68ch de la future TS bien qu’une évolution à 1365cm3 et 76ch est prévu par la suite. La vitesse maximale est mesurée à 176km/h pour un objectif initial de 170. Pas mal ! Normal quand on sait que la mécanique fut mise au point par les ingénieurs de chez Renault et ensuite peaufiné par ceux de Ligier F1.

Dans le même temps une nouvelle maquette d’habitabilité est dévoilée, elle présente d’ailleurs une sellerie des plus colorées dans un style que l’on retrouvera sur certaines versions des Peugeot 104 et Simca Horizon. Les sièges avant sont repris de l’A310. Quant à la banquette arrière, elle est composée de deux assises séparées réglables indépendamment… Un principe qu’on retrouvera 15 ans plus tard sur une certaine… Twingo !!!

Une montée en cadence progressive des ateliers de Ligier est prévue : pour mars 1977, quatre préséries devront être construites dont deux pour présentation au salon de Genève. Pour avril, 24 autres véhicules dit de confirmation. Suivront ensuite les exemplaires de série : 64 en mai, 119 en juin, 227 en juillet puis 407 en septembre pour une commercialisation en octobre sous le nom de Ligier-Renault JS-6.  Précisons une chose : si la presse a suivi avec attention l’arrivée de la Renault 14 (longtemps nommée… Renault 9 !) elle ignore totalement l’existence de ce dérivé sportif ! Comme quoi, quand on veut être discret…

Et pourtant, le projet est abandonné en octobre… Mais alors, pourquoi ?

Tout bêtement parce que chez Renault, on s’est souvenu qu’on avait déjà des coupés dans la gamme : les 15 et 17. Ces deux modèles, un peu plus « bourgeois » que la JS-6 viennent alors d’être restylé pour le nouveau millésime, contribuant à relancer les ventes avec 86.000 exemplaires produits cette année-là (contre 33.600 en 1975). D’autant que le niveau de performances de la JS-6 la rapproche de la 17 TS. On ne souhaite pas prendre à la Régie le risque de phagocyter les ventes des 15 et 17 encore lucratives avec la JS-6 et ainsi hâter leur fin alors que le projet 136 (future Fuego) à débuter au mois de janvier 1976… La JS-6 sans doute trop en avance (souvenons-nous des Honda Aerodeck et Volvo 480 dix ans plus tard, lire aussi: Volvo 480) tombera alors dans l’oubli mais son prototype est toujours visible au sein de la collection de Renault.

Mais comme le disait Marguerite Yourcenar : C’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt.

Texte : Quentin Roux.

Crédit : certaines informations viennent de l’excellent Christophe Bonnaud. Je vous encorage à dévorer son site LIGNES/Auto

Autos similaires en vente

Renault Nn Torpédo
Renault Nn Torpédo
Renault Nn Torpédo
Renault Nn Torpédo
1927 / Manuelle
15 000 €
Renault R8 Gordini 1300
Renault R8 Gordini 1300
Renault R8 Gordini 1300
Renault R8 Gordini 1300
Renault R8 Gordini 1300
1967 / Manuelle
Vendue

Carjager vous recommande

Nicolas Fourny / 13 août 2023

Renault Floride et Caravelle : c'est encore loin, l'Amérique ?

« La Floride est une stricte automobile de plaisance, calibrée pour le cruising (en ligne droite de préférence) plus que pour l’arsouille »
COUPÉ
FRANÇAISE
RENAULT
PAUL CLÉMENT-COLLIN / 13 sept. 2022

Renault 4 Parisienne : la citadine chic et féminine

Lancée en 1961, la Renault 4 a rapidement pris ses marques sur le marché français (au contraire de sa jumelle Renault 3) en passant en tête des ventes dès 1962 et s’y installant jusqu’en 1968 (excepté l’année 1965 où la Citroën Ami6 créera la surprise). Celle qu’on appelle désormais affectueusement “Quatrelle” fait le plein de clients tant à la campagne qu’à la ville. C’est d’ailleurs une nouveauté pour la Régie qui se doit, avec un même modèle, de toucher deux cibles différentes. En ville, la 4L est souvent la deuxième voiture, dévolue à la mère de famille, ce qui donnera des idées au service marketing naissant : créer de toutes pièces un modèle dédié à cette nouvelle clientèle, la Renault 4 Parisienne.
FRANÇAISE
RENAULT
Quentin Roux / 13 sept. 2022

Renault Estafette : le messager de la route

C’est en allant voir la dernière acquisition d’un ami que m’est venue l’idée de vous parler de l’Estafette. Je me rappelais alors de celle carrossée en marchand de glaces installé dans la zone commerciale de la route de la Charité à Saint Germain du Puy (près de Bourges). La dernière fois que je l’ai vu, c’était sur Leboncoin… J’avais quelque peu hésité à m’offrir cette madeleine de Proust mais mes moyens ne me le permettaient pas…
FRANÇAISE
RENAULT
13 sept. 2022

Renault 4CV Jolly: voiture de plage à l’italienne

Quand l’été approche, l’envie de posséder une voiture dite « de plage » se fait plus présente, lancinante, malgré l’absence de beau temps en cette fin de mois de mai. Les moins originaux rêveront à une Citroën Méhari, dans sa version thermique évidemment (lire aussi : Citroën Mehari), d’autres se laisseront tenter par l’interprétation du genre réalisée par Renault et Teilhol avec la Rodéo (lire aussi : Renault Rodéo), quand les plus audacieux rechercheront une Mega Club ou Ranch (lire aussi : Mega Club et Ranch) ou une Teilhol Tangara (lire aussi : Teilhol Tangara). Avec les voitures de plage françaises, on est plutôt dans l’utilitaire dérivé de sa fonction première pour devenir à l’usage un véhicule de loisir.
CLASSICS
FRANÇAISE
RENAULT
PAUL CLÉMENT-COLLIN / 12 sept. 2022

Renault 10 : quoi ma gueule ?

Puisqu’on parlait il y a peu de la Renault 8 (lire aussi : Renault 8), il serait idiot de ne pas parler de sa sœur la 10. Vous savez, cette sœur mal aimée et un peu laide qui a toujours eu du mal à exister à côté de la petite mignonne. Censée être plus grande, plus luxueuse, plus statutaire, plus puissante aussi, elle remplaça la R8 Major en 1965. Trois ans plus jeune que la 8, la 10 paraît pourtant plus vieille, déjà dépassée, tandis que la pimpante truste les charts et s’offre une désirable version sportive dénommée Gordini.
FRANÇAISE
RENAULT
Jean-Jacques Lucas / 05 sept. 2022

Renault 6 : La voiture de Giscard

« 77 PK 63 » (plaque jaune), était-elle vert anglais ou bleu marine ? La famille Giscard d’Estaing usait d’une Renault 6, en service dans sa demeure patricienne de Varvasse sur la commune de Chanonat (Puy-de-Dôme). Le cliché photographique de Gérard-Aimé pour l’agence Gamma-Rapho est bien connu, suivant la petite berline entre Chanonat et Chamalières, au matin du 8 avril 1974. Elle penche du côté droit et une silhouette de profil se détache dans l’habitacle. Olivier Todd, biographe critique en son temps du président Giscard d’Estaing, avait aussi évoqué cet humble équipage dans La Marelle de Giscard (éditions Robert Laffont, 1977). On était venu le quérir en R6, peut-être Edmond Giscard d’Estaing, mais ce n’est que de mémoire, dans une gare proche. Sujette à moquerie au temps de sa carrière, voiture de pépé à casquette et à la conduite somnolente, toujours vue comme coincée entre la Quatrelle et la R16, cette auto a tout de même trouvé sa clientèle entre 1968 et 1980 en France, prolongée jusqu’en 1986 en Espagne, avec une production dépassant 1,74 million d’exemplaires, proche du 1,85 million d’exemplaires de la R16 (1965-1980).
FRANÇAISE
RENAULT
Aurélien Charle / 16 août 2022

FASA-Renault 8 TS : La Gordini à l’aspartame.

Au milieu des années 1960, le marché espagnol n’était pas encore prêt à accueillir une auto populaire sur-vitaminée. La Fasa-Renault lança toutefois la Renault 8 TS, aux performances timidement dopées mais suffisantes pour se faire de belles frayeurs sur le réseau routier vétuste de l’époque et donner accès au sport auto à peu de frais. Elle connut un succès comparable à la mythique Gordini et eut même le toupet de lui survivre jusqu’en 1976 !
FRANÇAISE
RENAULT
PAUL CLÉMENT-COLLIN / 16 août 2022

Renault 15 et 17 : coupés décalés

Il fut un temps où lancer un coupé 4 places populaire ne relevait pas du rêve, mais bien de la réalité, un temps où les SUV n’existaient pas, pas plus que les monospaces. A cette époque, une ligne légèrement sportive trouvait sa place et sa clientèle, même avec de petits moteurs. Dans ces années 70 encore autophiles, malgré deux crises pétrolières en début et fin de décade, Renault n’hésitait pas à dériver pas moins de deux coupés de sa berline moyenne 12 sous les noms de 15 et 17 : deux voitures qui, mine de rien, trouvèrent près de 300 000 clients.
FRANÇAISE
RENAULT
Jean-Jacques Lucas / 16 août 2022

Renault 16 : pas monacale pour autant

Ses phares de format presque rectangulaire contribuent à la dater : des phares comme ceux des Ford Taunus (15M P6), comme ceux des Renault 10 modèle 68, puis des Renault 12 de 1969. La Renault 16 fut une auto de rupture dans l’offre automobile française des années 60, puisqu’elle bouleversait les conventions. Il fallait que l’automobile serve autant par ses fonctions explicites qu’implicites, en avoir pour son argent et son usage, gagner en autonomie. Le leitmotiv Renault des années 80 (« une voiture à vivre ») doit très largement à cette auto. La R16 est une jolie voiture, pimpante et lumineuse, multimodale par l’articulation et le chargement par l’arrière de l’habitacle. Renault entretiendra dès lors deux voies parallèles entre la berline bicorps (la R16, duo de R20 et R30, R25 et Safrane par la suite) et les berlines tricorps à moteur à l’avant (R12 à partir de 1969, continuée par la R18 voire la la R21). Entre les deux s’ouvraient des gammes médianes puisant aux deux familles avec la R14 (1976) puis les R11 et R9. 1 850 000 R16 produites entre 1965 et fin 1979, en presque 20 années, ne disqualifient d’ailleurs pas le quasi million de R14 produites en moins de huit années (1976-1983). Les compactes comme la R14 sont issues de cette pensée de la mobilité traduite par la R16 et sa contemporaine Simca 1100 dans un autre segment.
FRANÇAISE
RENAULT

Vendre avec CarJager ?