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La plupart des restomods sont dus à des officines indépendantes, qui exercent leurs talents sur des modèles souvent emblématiques – en général, des sportives ou des GT de haute lignée. C’est pourquoi le partenariat conclu entre Renault et le designer Ora Ïto a le mérite de l’originalité : coupé populaire s’il en fut, la R17 (1971-1979) a, en son temps, davantage marqué les esprits par son design que par ses performances ou ses qualités routières. Étroitement dérivé des berlines 12 et 16, le duo R15/R17 n’en a pas moins remporté un joli succès dans ses premières années d’existence, et il ne fait aucun doute que le style des deux modèles, élaboré sous la férule de Gaston Juchet, n’y a pas été étranger. En particulier, la R17 fit couler beaucoup d’encre en raison de la répartition très spécifique de ses vitrages, définissant un profil insolite auquel le concept-car actuellement exposé à la « Maison 5 », sise au cœur du VIIe arrondissement, rend un hommage forcément clivant…
Un coupé familial
L’arrêt de production de la Caravelle – dernier avatar de la Floride –, en 1968, avait privé le catalogue Renault de tout modèle à vocation récréative. Occupée par les lancements successifs de la R6 puis de la R12, la Régie Nationale va cependant attendre le mois d’octobre 1971 pour dévoiler deux nouveaux coupés, baptisés respectivement R15 et R17. Fondamentalement les deux voitures exploitent la même carrosserie et ne se distinguent que par leurs optiques avant (deux projecteurs rectangulaires pour la R15 versus quatre phares circulaires pour la R17, censément plus agressive que sa petite sœur) et, surtout, par le traitement de leurs vitrages. Plus modestement motorisée, la R15 (dont la version TL ne dispose que de 60 ch) présente de larges surfaces vitrées, dictant un habitacle particulièrement lumineux. Ici, le caractère supposément sportif s’estompe franchement pour laisser place à des préoccupations plus prosaïques : habitabilité, praticité du hayon arrière et capacité d’emport honorable constituent des arguments calibrés pour séduire les petites familles soucieuses de se distinguer de la grisaille ordinaire que suggère la sempiternelle berline. Pour sa part, la R17 de pointe, baptisée TS, s’efforce d’exhaler un parfum de sportivité et reprend, en toute simplicité, le Cléon-alu de 1565 cm3 issu de la 12 Gordini. Développant ici 108 ch, cette brillante mécanique, dotée d’une injection électronique Bosch encore rarissime en France, autorise des performances honorables sinon décoiffantes – même si l’auto propose un vaste toit ouvrant en toile, associé à un hard-top, sans équivalent dans son segment de marché. Principal morceau de bravoure de l’engin, son profil diffère franchement de celui de la 15, car la 17 renonce aux immenses custodes d’icelle pour scinder ses vitres arrière en deux parties, dont l’une s’abrite par surcroît derrière des jalousies destinées tout autant à préserver l’intimité des occupants de la banquette arrière qu’à évoquer les concept-cars italiens qui font tout le charme des salons de l’auto de ce temps-là.
L’influence de l’école italienne
De fait, à certains égards la 17 respire une latinité que l’on n’attendait plus guère de la part de la Régie. C’est aussi un véhicule dépourvu de toute nostalgie, avec notamment ses pare-chocs au format inédit puisqu’ils sont constitués, à l’avant, d’un large bandeau de caoutchouc encadrant la calandre et les phares, tandis qu’à l’arrière, on trouve un bloc massif de plastique surplombé par les optiques. Renault a fait le choix d’un design fort pour ses deux coupés, lesquels recèlent bon nombre de détails qui les différencient d’emblée du reste de la gamme tout comme de la concurrence européenne ; parmi les constructeurs de masse, ni la Ford Capri, ni l’Opel Manta, ni le coupé Fiat 124, ni les obsolètes VW Karmann-Ghia ne peuvent rivaliser avec la modernité des deux Renault, qui marquent également les esprits avec un mobilier de bord aux formes acérées – les quatre cadrans séparés reçoivent chacun une visière anti-reflets dont le dessin semble, là encore, avoir été prélevé tel quel sur un prototype de salon. Bien sûr, rien ne se démode plus vite qu’un coupé populaire et les R15/R17 ne feront pas exception à la règle, le restylage malheureux intervenu au printemps 1976 ayant achevé de les ringardiser. Leur traversée du désert sera particulièrement pénible, bon nombre d’exemplaires ayant été customisés de façon atroce par des faisans de banlieue, et il faudra attendre la fin des années 1990 pour que des collectionneurs avisés se préoccupent de préserver les dernières survivantes d’une série que beaucoup vont redécouvrir grâce au travail d’Ora Ïto.
Pile ou face ?
Disons-le d’emblée, nous ne sommes guère adeptes de cette tendance un peu lourdingue consistant à affubler des carrosseries anciennes de roues trop grandes et trop larges pour elles – d’où des ailes hypertrophiées dont l’intérêt nous échappe. La R17 à pile a ainsi perdu la gracilité de sa matrice, et c’est dommage. Le profil originel semble émerger de ces boursouflures latérales comme s’il cherchait à s’en débarrasser – mais il faut reconnaître qu’on a vu bien pire dans le genre, cf. la Porsche 928 Nardone… La poupe et surtout la proue sont quant à elles méconnaissables, transfigurées par les inévitables LED sans lesquelles plus aucun styliste ne semble capable de créer quoi que ce soit. Le visage de l’auto s’en trouve banalisé ; de pleine face, ce pourrait être à peu près n’importe quoi, l’original bandeau de 1971 se trouvant hélas simplement évoqué, car à présent noyé dans la masse et privé de toute nuance distinctive ; ôtez le losange trônant sur la calandre et vous pourrez songer aussi bien à un revival de la Ford Sierra qu’à un remplaçant pour le Hyundai Veloster. On est nettement moins trahi des trois-quarts arrière – à notre sens, l’angle le plus intéressant de la voiture, même si ses nouveaux appendices la font ressembler à une caricature d’elle-même. Et puis, saperlipopette, pourquoi avoir dessiné des passages de roues aussi carrés ? Pour « viriliser » la carrosserie, sans doute…
Ramenez moi en 1971
À l’heure actuelle, les designers de chez Renault ne semblent plus capables que de concevoir des SUV plus ou moins inspirés des Peugeot d’il y a dix ans, ou alors des réinterprétations électrifiées d’anciennes gloires de la firme de Billancourt (R5, R4 et bientôt Twingo). Au vu des prises de commandes de la nouvelle R5, un si regrettable manque d’imagination ne semble pas faire obstacle au succès commercial de cette stratégie, qui n’a néanmoins plus rien à voir avec l’audace qui fut celle du Losange dans ses grandes années. Cela étant dit, la R17 électrique – qui a au moins le mérite de ne pas être un vulgaire crossover de plus – sera-t-elle commercialisée ? C’est peu probable, semble-t-il – on se souvient encore des espoirs rapidement déçus que la Peugeot e-Legend avait suscités en 2018. Surtout en l’état, avec cet habitacle qui, nous devons le confesser, a suscité un vrai coup de cœur. Architecture générale, matières, coloris, tout est immédiatement captivant et la traduction contemporaine du tableau de bord d’origine mérite à elle seule une mention, mais rien de tout cela n’est industrialisable… Il n’empêche qu’à l’issue d’un examen attentif, et comme presque toujours lorsqu’il s’agit d’un restomod, l’aquoibonisme nous guette : en somme, tout ça pour ça ? Le puriste qui, en l’auteur de ces lignes, ne s’endort jamais tout à fait, préférerait sans doute qu’on laisse nos anciennes en paix, inscrites à tout jamais dans un passé qui ne demande pas à être « réinventé » mais simplement respecté. « Je suis né dans un monde qui regardait en arrière », écrivait Jean d’Ormesson dans Au Plaisir de Dieu en 1974. Je me demande ce qu’on aurait pensé si, au même moment, Renault s’était contenté de présenter une Celtaquatre revisitée au Salon de Paris. C’est sans doute ça, le drame intime des années 2020 : cette propension à défigurer le passé comme pour en faire un refuge plus acceptable face à un avenir qui fait peur à beaucoup. Et pourtant, quoi que l’on y fasse, la vie, c’est demain !
Texte : Nicolas Fourny
Merci beaucoup de nous lire !