
Chez les constructeurs de voitures de sport, peu de modèles auront subi autant de critiques et de quolibets que la Porsche 924 qui, aux yeux des puristes, cumulait à peu près tous les défauts lors de son apparition. Avec son moteur aux origines roturières, qui plus est refroidi par eau et implanté à l’avant, la première « PMA » (Porsche à moteur avant) trahissait tous les préceptes de la firme et n’a donc pas eu la vie facile, d’autant qu’à l’origine, ses chronos n’avaient rien de particulièrement décoiffant. Pourtant, durant ses treize années de carrière, la définition technique de l’auto n’est pas restée figée, évoluant sans répit dans une quête éperdue de performances dont la très désirable et rarissime Carrera GT incarne une forme d’apogée…

D’Ingolstadt à Stuttgart
Présentée sous la forme d’un prototype baptisé « Le Mans » lors du Salon de Francfort 1979, la 924 Carrera GT annonce le couronnement d’une gamme qui, quatre ans après son lancement, peut d’ores et déjà se targuer d’un authentique succès commercial, n’en déplaise aux grincheux qui, dès le départ, ont vilipendé l’auto en psalmodiant sans relâche le sinistre refrain « c’est pas une vraie Porsche » – et même la très performante Turbo, présentée à la fin de 1978 ne les a pas fait changer d’avis. À leur décharge, il faut reconnaître que la gestation de la 924 s’est faite dans la douleur, le modèle étant le résultat d’un métissage technique entre Porsche et VAG (ce qui, à l’époque, signifiait Volkswagen Audi Group). Initialement développé dans le cadre du partenariat initié à la fin des années 60 pour la conception de la VW-Porsche 914, le projet EA 425, élaboré par le bureau d’études Porsche en intégrant un maximum de composants issus des catalogues Volkswagen et Audi, prend une tout autre orientation puisqu’il est destiné à intégrer la gamme Audi afin de succéder, à terme, au coupé 100 S. Mais rien ne se passe comme prévu : au début de 1975, le président de VAG, Toni Schmuecker, annule le programme alors que celui-ci est pour ainsi dire arrivé en fin de développement. Porsche choisit alors de racheter le projet à VW afin de l’intégrer à sa propre gamme sous le nom de 924.
La vengeance de la douairière
L’auto surprend les observateurs par sa définition technique, aussi éloignée des préceptes d’Audi – qui, en ce temps-là, ne commercialise que des tractions – que de la tradition Porsche. Il s’agit en effet d’un coupé, dû au crayon du styliste Harm Lagaay, dont le design s’inscrit dans une rupture assumée avec l’histoire de Porsche. C’est que la direction de l’entreprise, alors placée sous la férule du professeur Ernst Fuhrmann, a décidé d’en finir avec la 911, considérée comme techniquement périmée avec son architecture « tout à l’arrière », coûteuse à produire et de plus en plus difficile à homologuer sur le marché nord-américain, crucial pour la marque. La 924, dont la production débute à l’automne de 1975, de même que la future 928 alors en préparation sont censées prendre le relais de l’ancêtre avec des solutions techniques plus conformistes mais aussi plus appropriées en termes de rationalisation industrielle. On connaît la suite : contre toute attente, la 911 finira par prendre sa revanche et aura la peau de Fuhrmann, écarté de la direction de Porsche en 1980 – ce qui a ratifié l’échec d’une stratégie paradoxale car, répétons-le, la 924 a été autant rejetée par les porschistes historiques que plébiscitée par la clientèle. Celle-ci est, pour l’essentiel, constituée de nouveaux venus, jusque-là financièrement incapables de s’offrir une Porsche. Certes moins véloce qu’une 911, la 924 est aussi bien plus accessible (en 1977, le modèle est ainsi facturé 69 900 francs (environ 48 000 euros de 2024), versus 107 000 francs pour une 911 2.7).


Avec un moteur Audi, on peut tout faire
Avec sa transmission transaxle rejetant la boîte à l’arrière et favorisant ainsi la répartition des masses, la 924 présente des qualités routières exemplaires, si l’on excepte un freinage assez peu convaincant en début de carrière. Malheureusement pour elle, non seulement son moteur n’est pas implanté au bon endroit pour les thuriféraires de la 911 mais, par surcroît, il s’agit d’un « vulgaire » quatre-cylindres en ligne dont les cotes rappellent furieusement celles du 2 litres Audi que l’on trouve alors dans la berline 100, mais aussi sous le capot de la camionnette Volkswagen LT. Et pour cause : le bas-moteur est le même, les motoristes de Porsche s’étant contentés d’intervenir sur la culasse. À l’arrivée, la 924 européenne délivre 125 ch et tangente les 200 km/h chrono dans les meilleures conditions (par charité, nous ne nous étendrons pas sur les capacités des versions américaines, frappées de plein fouet par la dépollution). Ce niveau de puissance satisfait une certaine clientèle, tout éblouie par le prestige du logo et aux yeux de laquelle les performances chiffrées passent au second plan, la promotion sociale engendrée par le fait de rouler en Porsche s’avérant bien suffisante dans la plupart des cas. Il n’empêche que le tableau d’ensemble demeure bien trop « tendre » pour une Porsche aux yeux des connaisseurs et c’est à leur intention que la firme de Zuffenhausen va se lancer dans une véritable course à la puissance destinée à restaurer la crédibilité de son modèle le plus abordable. Avec ses 170 ch, la Turbo apporte une réponse déjà très honorable, mais ce n’est là que le premier étage d’une très ambitieuse fusée qui, en 1981, va donner naissance à la 944…
Un avant-goût de 944
Une 944 que la physionomie de la 924 Carrera GT, due à Anatole Lapine, préfigure assez fidèlement, avec ses ailes élargies qui densifient une silhouette souvent jugée trop mièvre par les rabat-joie de tout poil. Toutefois, si la 944 héritera d’un moteur 100 % Porsche, c’est encore une fois le groupe d’origine Audi qui trône sous le capot de la Carrera GT (un nom dont le choix n’est pas anodin pour un porschiste). Poussé dans ses derniers retranchements, le valeureux « quatre pattes » d’Ingolstadt revendique à présent 210 ch (il ira encore nettement plus loin dans les GTS, GTP et GTR de course) et l’auto est désormais en mesure d’atteindre les 240 km/h en pointe. Un niveau de performance qui surpasse celui de la 911 SC et que la 944 n’atteindra qu’en 1985 lorsque son gros 2,5 litres recevra, à son tour, le renfort d’un turbocompresseur… Inscrite au catalogue Porsche durant la seule année 1981, la Carrera GT n’a été produite qu’à quatre cents exemplaires (plus six prototypes) avant de disparaître – tout comme la 924 Turbo, occise la même année afin de ne pas faire d’ombre à une 944 moins performante mais aussi plus fiable. De nos jours, la Carrera GT, qui est la plus cotée de toutes les « PMA » de route, se fait rare dans les ventes aux enchères comme en annonces et, si elle vous intéresse, il convient d’être rapide pour ne pas laisser passer l’opportunité de vous offrir cet émouvant témoignage d’une époque attachante et depuis longtemps révolue, celle où Porsche s’appuyait encore sur des sportives à moteur avant !



