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Citroën Méhari : l'âne devenu dromadaire !
PAUL CLÉMENT-COLLIN - 12 sept. 2015Savez-vous quel est le point commun entre le berlingot Dop, le Marineland d’Antibes et la Citroën Méhari ? Ils ont tous le même créateur, le Comte Roland de la Poype, aviateur intrépide durant la guerre, industriel avisé ensuite, et amoureux de l’océan et des animaux marins. Et oui, vous saurez maintenant que Citroën n’est pas à l’origine de la Méhari, même si, rassurez-vous, elle fut bien assemblée et vendue par la marque aux Chevrons. Enfin pas tout à fait…
Voici donc l’histoire rigolote de la Méhari, petit véhicule utilitaire devenu l’icône d’une génération, et désormais prisé par les collectionneurs de tout poil au point de voir sa cote exploser ! Revenons à notre cher Comte de la Poype. Chez ce jeune aristocrate, défendre la patrie est une question d’honneur, et lorsque la guerre éclate en 1939, il n’est pas question pour lui de se défiler, ni pour son père d’ailleurs, qui, colonel de réserve, mourra durant la campagne de mai 1940. Roland lui, est élève pilote à tout juste 19 ans, et après la débacle, passera les Pyrénées pour rejoindre l’Angleterre avec quelques camarades. Là-bas, il intégrera les FAFL (Forces Aériennes de la France Libre), et obtiendra sa première victoire aux commandes d’un Spitfire en 1942 du 602ème Squadron de la RAF. Volontaire pour intégrer un nouveau groupe de chasse français en Union Soviétique, il obtiendra 16 victoires face aux Messerschmitt et autres Stukas au sein de ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Groupe Normandie-Niemen. Autant dire que l’on a affaire à un sacré personnage, lui qui quittera l’armée en 1947 à l’âge de 27 ans, un statut d’as de la chasse, le grade de capitaine, et toutes les décorations qui vont avec !
Le berlingot Dop, une révolution signée Roland de la Poype !Pourtant, Roland de la Poype n’a fait que son devoir, et une fois celui-ci accompli, s’en retournera à d’autres occupations. Car ce personnage a plus d’un tour dans son sac, et plus d’une idée. Persuadé que l’avenir est à l’emballage plastique et au « packaging », il créé la Société d’Etudes et d’Application des Brevets (SEAB). Son plus gros coup ? Créer un emballage souple en polychlorure de Vinyle (PVC) pour la marque Dop de l’Oréal : le berlingot était né, révolutionnant le marché de l’emballage et du conditionnement.
Passionné par son produit, le plastique, il réfléchit à toutes les applications possibles bien entendu. Et pourquoi pas l’automobile ? Sa rencontre avec le designer Jean-Louis Barrault, et avec l’ingénieur Jean Darpin va permettre de réaliser ce vieux rêve. Roland de la Poype le dira lui-même : c’est la Mini Moke (lire aussi : Mini Moke) lancée en 1964 qui l’inspira, se disant qu’il pouvait bien faire la même chose en France. Une carrosserie en plastique transformant une voiture déjà existante en un véhicule de loisir écologique de petite cylindrée : voilà pour l’idée. Justement, deux voitures françaises pourraient servir de base : la Renault 4 ou la Citroën 2CV. Ce sera finalement la Citroën qui servira de base, la 4L ayant un radiateur à l’avant empêchant d’abaisser suffisamment le nez de la voiture.
Roland de la Poype confie donc le dessin d’une nouvelle carrosserie à Jean-Louis Barrault. Elle sera réalisée en ABS (pas le système d’assistance au freinage hein, mais en Acrylonitrile Butadiène Styrène) thermoformé, écologique car recyclable, et surtout légère (35 kilos seulement). C’est la camionnette de l’usine, une AK, qui servira de cobaye dans le plus grand secret. Comme la base est une Citroën, et que la SEAB est déjà fournisseur de la marque pour des éléments plastiques de l’Ami 6 (lire aussi : Citroën Ami 6) ou de la DS, c’est tout naturellement que Roland de la Poype s’en va présenter son prototype à Pierre Bercot, le grand Patron du quai de Javel.
Contre toute attente, Pierre Bercot va immédiatement accepter le projet, alors que le Comte escomptait juste un soutien de Citroën, et produire en kit son petit véhicule déjà dénommé Donkey (âne, pour ceux que l’anglais rebute). Au contraire, Bercot va décider d’intégrer ce nouveau véhicule à la gamme utilitaire de la marque ! Rien que cela. Au gentil nom de Donkey, Bercot va préférer Méhari, ce qui avec le recul ressemble à un coup de génie. Les 12 premiers véhicules de pré-série seront réalisés par la SEAB, dont 8 seront présentés à la presse le 16 mai 1968 à Deauville et en grande pompe. Roland de la Poype ne sera pas du voyage, Bercot estimant qu’il fallait présenter la Méhari comme un « produit Citroën et uniquement Citroën ». Le Comte est un homme d’éducation, et il se retirera des projecteurs, tout en fournissant à Citroën les carrosseries en ABS tout au long de la carrière de la Méhari.
Ces modèles de présérie sont basée sur le châssis de la Dyane, et récupèrent le moteur de l’Ami 6, un bicylindres de 602 cm3 et 28 chevaux. Malgré la présentation à Deauville, la sortie de la Méhari passe relativement inaperçu dans une France chamboulée par les grèves, les manifestations et les affrontements au Quartier Latin pendant ce moi de Mai 1968. Pourtant, cela n’empêchera pas la Méhari de se tailler une image incroyable auprès des français tout au long de ses presque 20 ans de production.
Cette popularité qui ne se dément pas aujourd’hui est d’autant plus incroyable qu’il s’agit d’un véhicule un peu bricolé (ses organes viennent de quasiment tous les modèles de la marque), créant quasiment son marché, voiture de plage pour les uns, utilitaire pour d’autres, ou bien même véhicule militaire pour l’armée ou la Gendarmerie (souvenez-vous du Gendarme à Saint Tropez). Car cette bonne vieille Méhari sera commandée à partir de 1972 à 7064 exemplaires, dont environ 700 serviront comme auto-école : toute une génération de conscrits apprit donc à conduire sur une Méhari !
En 1970, Citroën tenta d’imposer sa petite voiture aux Etats-Unis, notamment sur la côte Ouest. Proposée au catalogue seulement deux années (jusqu’en 1971), elle ne sera pas un succès, puisque seuls 1034 exemplaires y seront vendus. En 1979, une version 4×4 sera introduite au catalogue, sans grand succès : produite jusqu’en 1983, elle ne trouvera que 1213 exempaires, mais c’est aujourd’hui la plus recherchée (et donc la plus chère) des Méhari.
Et notre ami le Comte de la Poype dans tout cela ? S’il continuait à fournir les carrosseries en ABS, il s’adonna à d’autres passions, en créant en 1970 le Marineland d’Antibes, dont il restera le directeur jusqu’en 1986 et le propriétaire jusqu’en 2006. Il mourra en 2012, à l’âge de 92 ans. La Méhari quand à elle sera produite jusqu’en 1987 (d’abord en Belgique à Forest puis au Portugal à Mangualde), à 144 853 exemplaires, et restera ensuite sans descendance, jusqu’à ce que Citroën se rappelle combien son image était forte.
Le Cactus M, descendant de la Méhari ?C’est à l’occasion du Salon de Francfort 2015 que Citroën présentera son évocation de la Méhari sur la base du Cactus (lire aussi : Citroën C4 Cactus), le Cactus M. Sera-t-il produit en série ? Je vous le dirais sans doute la semaine prochaine après avoir assisté à sa présentation officielle. Pour l’instant, il ne s’agit que d’un concept-car selon la marque. En attendant, si vous cherchez une Méhari, sachez que leur prix ne cesse d’augmenter. Sachez qu’il existe le Méhari Club de Cassis qui rénove (voire reconstruit) des Méhari grâce à l’outillage originel cédé par Citroën en 1998.
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