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Aro : la fin sans gloire du spécialiste roumain du 4x4

PAUL CLÉMENT-COLLIN - 5 juil. 2014

Dans ma campagne berrichonne, un drôle de concessionnaire m’a fait de l’oeil pendant de nombreuses années. A chaque départ ou arrivée pour des week-ends champêtres dans la maison familiale, nous passions devant ce garage de la Chapelle d’Angilon, devant lequel trônaient de nombreux 4×4 au look inconnu pour moi. Aux murs, un nom, une marque, inscrite en lettres rouges : Aro (Automobilia ROmania).

Comme j’avais l’impression d’être un familier, je pris cette marque en amitié, et dans les années 90, je suivais son évolution avec attention. Bien sûr, il ne s’agissait pas de véhicules à la mode, attention, mais bien de purs 4×4 rustiques importés en France afin de satisfaire une clientèle rurale ou passionnée de tout chemin.

Aro, avec son 10, ou son 240 Forester, c’est un peu le cousin roumain du Lada Niva. La marque fut fondée dans les années 50, et son premier modèle, dérivé d’un 4×4 russe GAZ sortira en 1957 afin de fournir l’armée roumaine en véhicule léger façon « jeep ». D’autres modèles suivront, mais c’est dans les années 70 qu’apparaît son best-seller, le 240 (en 1972 pour être exact). Comme son compatriote Dacia, Aro noue des liens avec Renault pour la fourniture de moteurs, mais aussi avec Peugeot puisqu’on retrouvera aussi des Indenor sous le capot.

L’entreprise commence à exporter en Europe Occidentale, mais bénéficie surtout d’un marché relativement vaste et fermé à la concurrence au sein du Comecon. Les pays frères importent les Aro, et l’usine de Campulung, dans les Alpes Transylvaniennes, emploiera jusqu’à 15 000 salariés. Après la chute de Ceaucescu puis du mur de Berlin, c’est tout le système économique du Comecon qui s’écroule, obligeant Aro à trouver de nouveaux marchés. Des filiales sont montées au Portugal (Portaro), en Espagne (Hisparo), des projets, notamment au Brésil, resteront sans suite.

Les dynamiques importateurs français, Charles Hoffmann et Jean-Pierre Tardy seront à l’origine d’un modèle spécifique, le Spartana, sorte de croisement entre un Aro 10 et une Citroën Méhari, et sans transmission intégrale. Une sorte de voiture de plage à la sauce roumaine, qui dût faire fureur au bord de la mer noire, mais qui restera confidentiel en Europe occidentale. D’ailleurs, la marque elle-même commence à devenir confidentielle, même en son pays. A la grande époque, Aro produira jusqu’à 10 000 véhicules par an. Mais depuis les années 90, c’est la descente aux enfers, au point de ne produire que 661 véhicules en 2003, et 303 en 2004, pour 1 100 employés.

Il faut dire que la finition des Aro, malgré leurs qualités de franchissement, est déplorable, faisant passer Lada pour une voiture de luxe. Sans véritable technologie, sans avantage produit mis à part son prix, l’Aro, datant des années 70, est totalement dépassée. Difficile dans ses conditions de continuer à peser sur le marché du 4×4, et ce malgré l’explosion du marché des SUV.

Contrairement à ses compatriotes Oltcit (racheté par Daewoo) ou Dacia (racheté par Renault), aucun grand constructeur ne s’intéresse à Aro. Des espoirs insensés naissent cependant en 2005 quand un obscur homme d’affaire, John Pérez, un cubain installé aux States depuis l’âge de douze ans et gravitant dans la distribution automobile, offre au gouvernement Roumain de racheter l’entreprise pour 180 000 $, mais promettant d’injecter dans la foulée 2 millions de dollars pour moderniser l’usine et relancer la marque.

Officiellement, Perez a pour projet de distribuer sous le nom de Crosslander 244 le vieil Aro 240, camouflé sous un peu de maquillage et de cosmétique. En bon margoulin habitué de la vente automobile, il vend du rêve : 8 à 10 000 Crosslander vendus aux Etats-Unis. Ça pue l’arnaque à plein nez, mais tout le monde fait mine d’y croire, y compris des concessionnaires gogos prêts à distribuer la marque au pays des SUV climatisés aux moteurs de camions survitaminés.

En réalité, Perez a trouvé un moyen de se faire du fric à bon compte, sur le dos des concessionnaires (200 d’entre eux paieront 75 000 $ pour accéder au droit de distribuer la « prestigieuse » marque roumaine sans jamais être livrés d’un seul 4×4) mais aussi de l’Etat roumain et des salariés d’Aro. Au lieu d’investir les 2 millions promis, Perez vend toutes les machines et tout ce qui peut avoir de la valeur, et disparaît, laissant sur le carreau 1000 salariés et une usine dévastée.

En 2006, Aro est déclaré en faillite, et Perez est inculpé en Roumanie pour faux et usage de faux (il aurait falsifié des garanties bancaires). La société Crosslander USA, chargée de distribuer Aro aux Etats-Unis, met elle aussi la clé sous la porte. Alors que l’automobile roumaine revit grâce au succès de Dacia (et de son SUV low cost Duster, un nom qu’utilisa Aro à l’export pendant de nombreuses années), le spécialiste du 4×4 roumain meurt bêtement pour avoir cru aux miracles.

Perez fait le mariole devant une Mahindra

Quand à John Perez, sans doute grâce à son bagout de vendeur d’occasions, il s’en sort indemne, et devient CEO de Global Vehicles qui en 2010 tente d’importer des Mahindra aux Etats-Unis. Et comme l’histoire se répète, Perez se retrouve accusé d’avoir détourné 15 millions de dollars versés par les concessionnaires sans avoir livré une seule voiture. On ne se refait pas !

Sur l’affaire Mahindra, lire aussi : Forbes India



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