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Unanimement appréciée et titulaire de nombreuses récompenses, la série The Crown, qui vient de s’achever sur Netflix après la diffusion de sa sixième et dernière saison, a impressionné les historiens comme les spectateurs par la qualité reconstitutive des différentes époques mises en scène, des années 1930 au début du XXIe siècle. En particulier, les amateurs d’automobiles anciennes auront pu, au fil des soixante épisodes de la saga, identifier bon nombre de modèles – le plus souvent britanniques, comme il se doit – ayant joué un rôle plus ou moins significatif dans la vie des personnages. Aux côtés des Rolls-Royce, Bentley, Aston Martin ou Land Rover, plusieurs Jaguar sont ainsi apparues à l’écran dont, au cours de la cinquième saison, la XJ-SC conduite par feue la princesse de Galles entre 1987 et 1991. C’est l’occasion de revenir sur la destinée de cette auto, sans doute l’une des plus photographiées au monde à l’époque…
Rencontre avec E763 KYX
De nos jours, les visiteurs du British Motor Museum, sis à Gaydon dans le Warwickshire, peuvent admirer une partie des collections du Jaguar Daimler Heritage Trust (JDHT). Parmi les modèles exposés figure l’une des 5013 XJ-SC découvrables produites de 1983 à 1988 – une voiture peu courante en soi, mais que son pedigree rend carrément exceptionnelle puisque sa première propriétaire ne fut autre que Lady Diana, épouse malheureuse du futur roi Charles III et grande amatrice de décapotables ! Toujours porteuse de son immatriculation d’origine, E763 KYX n’est pas l’une de ces automobiles statufiées qui ne voient jamais la lumière du jour. Bien au contraire, les responsables du JDHT, partisans d’une politique patrimoniale dynamique, n’hésitent pas à organiser des roulages et, de la sorte, la Jaguar participe de temps à autre à des balades historiques, comme par exemple en 2015 dans le cadre de la Silvretta Classic. Le public peut ainsi contempler, voire approcher de près, celle qui apparut plus d’une fois dans le viseur des innombrables paparazzi prêts à tout – et parfois jusqu’au pire – pour photographier la princesse à une époque où le moindre cliché d’icelle se négociait à prix d’or. C’est ainsi que cette carrosserie, pourtant demeurée marginale dans l’histoire de Jaguar, a connu une célébrité inattendue…
Retour en grâce
Quand la XJ-S apparut, lors du Salon d’Earls Court en septembre 1975, l’accueil de la nouvelle venue s’avéra plutôt frais. Censée remplacer la Type E, l’auto commença par décevoir les observateurs et ne parvint pas, c’est peu de le dire, à rééditer le choc esthétique provoqué par sa devancière quatorze ans plus tôt. Considéré comme trop américanisé dans l’esprit et présentant une esthétique déroutante sous certains angles, le modèle comportait de surcroît une lacune de taille : il n’était proposé que sous la forme d’un coupé, Jaguar – à l’instar d’autres constructeurs – ayant renoncé à développer un cabriolet sur la même base, en raison de l’évolution prévisible des normes de sécurité nord-américaines risquant, croyait-on alors, de condamner les décapotables à court terme. En définitive, ces craintes se révélèrent infondées et, après un début de carrière difficile, la XJ-S fit enfin l’objet, à l’orée de son renouveau commercial, d’une étude destinée à en dériver une carrosserie ouverte. Nous étions alors au début des années 1980, c’est-à-dire au moment où Jaguar, après de longues années d’errance managériale et industrielle, entamait son redressement sous la férule exigeante et passionnée de John Egan. C’est ainsi qu’en octobre 1983, la firme de Coventry présenta sa XJ-SC, nantie qui plus est d’un moteur entièrement inédit – nous avons nommé l’AJ6 !
Mi Jaguar, mi Aston
Toutefois, les amateurs de cabriolets Jaguar authentiques allaient devoir attendre cinq ans de plus pour s’avouer pleinement satisfaits car la XJ-SC n’était somme toute qu’une découvrable façon Targa, reprenant à quelques détails près la formule retenue pour la Lancia Beta Spider : les deux demi-toits rigides surplombant l’avant de l’habitacle pouvaient s’escamoter, tandis qu’une capote repliable en tissu venait épouser le cadre des vitres de custode pour s’accrocher à l’arceau de sécurité fixe qui structurait l’ensemble. Étudiée avec le concours du carrossier Tickford, filiale d’Aston Martin – qui assura également une partie de la construction de la voiture jusqu’à la fin de 1984 – cette formule présentait certes des avantages indiscutables en matière de rigidité torsionnelle et de sécurité passive, mais ne pouvait pleinement convaincre les amoureux des « vrais » cabriolets tels que la Mercedes-Benz SL, concurrente directe de la XJ-SC. Disponible à la fois avec le tout nouveau six-cylindres de 3,6 litres et 220 ch puis, à partir de 1985, avec le V12 de 5,3 litres de 295 ch, la voiture ne manquait certes pas de séduction, aucun autre constructeur ne proposant alors de décapotable ou de découvrable à moteur douze-cylindres, lequel bénéficiait par ailleurs des améliorations décisives apportées par l’adoption des culasses dites « Fireball » apparues en 1981.
Unique à tous égards
Quand les tabloïds anglais publient les premières photos de Diana Spencer, celle-ci roule en Renault 5, vite remplacée par une Austin Metro, puis par une Ford Escort RS Turbo (vendue aux enchères pour 650 000 livres par Silverstone Auctions en 2022). Quelques années plus tard, alors même que Jaguar achève la mise au point du cabriolet XJ-S qui sera commercialisé au printemps de 1988, la princesse de Galles porte son choix sur une XJ-SC alors à son couchant – son exemplaire comportant des spécifications expressément demandées par son illustre propriétaire. Ainsi, la partie arrière de l’habitacle, normalement dévolue aux bagages, est-elle équipée d’une banquette destinée aux jeunes princes William et Harry ; les sièges sont revêtus d’une combinaison unique associant du cuir à un tissu Harris Tweed ; et les projecteurs d’origine sont remplacés par les optiques doubles ordinairement réservées aux versions américaines de la XJ-S. Mais c’est à l’arrière de l’auto que l’on peut observer la modification la plus importante : là encore sur la demande de Lady Diana, la capote souple de la voiture de série est remplacée par un hard-top rigide et fixé à demeure.
Une légende abordable
La princesse utilisera très régulièrement sa Jaguar jusqu’en 1991, après quoi elle fera don de l’auto au JDHT – et la remplacera par une Mercedes 500 SL dont la nationalité provoquera une vive polémique outre-Manche, contraignant Lady Diana à s’en défaire au plus vite ; cette voiture est elle aussi visible à l’heure actuelle, dans l’une des galeries du Mercedes-Benz Museum de Stuttgart. S’efforçant de se rapprocher autant que possible de la réalité historique, les producteurs de The Crown se sont procuré une autre XJ-SC, équipée du moteur AJ6 et d’une boîte manuelle. Ils l’ont fait repeindre dans la même nuance de vert que la voiture originale et équiper d’une banquette arrière ainsi que des doubles phares. Gréée de la sorte, la XJ-SC conduite par l’actrice Elizabeth Debicki fait parfaitement illusion, même si l’immatriculation n’est pas la même. Un détail que les fans de la série – et les amateurs de Jaguar, ce qui n’est pas incompatible… – sauront aisément pardonner, surtout s’ils ont la chance de pouvoir enchérir lors de la vente Bonhams organisée à Londres le 7 février prochain et destinée à disperser plusieurs décors, objets et costumes utilisés dans The Crown, parmi lesquels notre Jaguar (lot n°102), estimée entre 15 et 20 000 livres. Un morceau d’histoire britannique et télévisuelle à ce prix-là, c’est inespéré !
Texte : Nicolas Fourny