Volkswagen reconnaît sa complicité pendant la dictature brésilienne
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Volkswagen reconnaît sa complicité pendant la dictature brésilienne

Par Paul Clément-Collin - 18/12/2017

Volkswagen n’en finit pas de payer son passé. Ses origines nazies lui collent à la peau au point de créer des légendes urbaines tenaces (lire à ce propos : la légende des clés nazies), et l’entreprise est sans doute la seule au monde à disposer d’un directeur de la communication historique (sic), Dieter Landenberger. Alors qu’elle croyait avoir fait un grand pas en effectuant un travail historique afin de déterminer ses responsabilités durant la Seconde Guerre Mondiale, et qu’elle s’était engagée à dédommager les victimes, l’entreprise se voyait à nouveau accusée pour le comportement de sa filiale brésilienne et des membres du directoire de l’époque durant la dictature brésilienne pour la période 1964-1979. L’entreprise avait aussitôt missionné un historien indépendant, Christopher Kopper, histoire de démêler le vrai du faux, un rapport sorti ces derniers jours, reconnaissant l’implication de Volkswagen do Brasil dans la traque d’opposants à la dictature militaire parmi ses propres salariés.

L’usine de Sao Bernardo do Campo pendant sa construction en 1959

Fondée en 1953, Volkswagen do Brasil est intimement liée au Brésil, et considérée comme un constructeur national plus qu’allemand. Comme le Brésil, l’entreprise est paradoxale, offrant tantôt une image douce et joyeuse, tantôt une image brutale et implacable. Entre 1964 et 1979, date du début de la libéralisation progressive du régime (avec notamment une loi d’amnistie pour les opposants, sauf ceux accusés de violences), le Brésil a donc offert deux visages, et Volkswagen aussi.

L’image d’Epinal du Brésil des années 60 et 70, c’est celle d’un pays en pleine croissance, de sa nouvelle capitale Brasilia largement dessinée par Niemeyer, des plages de Copacabana couvertes de jeunes gens en maillots de bain, de Volkswagen Fusca (la Cox de l’époque, lire aussi : VW Fusca) et des petites sportives Willys Interlagos, une Alpine A108 fabriquée localement sous licence (lire aussi : Willys Interlagos). Le Brésil de cette époque, c’est la Bossa Nova, Joao Gilberto, Tom Jobim, Vinicius de Moraes, Baden Powel, mais c’est aussi la Tropicalia, avec Caetano Veloso ou Gilberto Gil puis Chico Buarque. L’ambiance paraissait être à la fête, mais elle ne l’était pas, car le 1er avril 1964 (non ce n’est pas une blague), les militaires menés par le Maréchal Castelo Branco renversait le gouvernement dit progressiste de Joao Goulart, faisant entrer le Brésil dans la dictature.

De son côté, Volkswagen offrait, avec ses modèles emblématiques tels que la Fusca, mais aussi la Brasilia (lire aussi : VW Brasilia), la SP2 (lire aussi: VW SP2) ou le fameux « Combi », une image moderne, joyeuse, gentiment hippie et somme toute sympathique aux yeux du brésilien moyen comme de l’étranger de passage. Pourtant, si l’entreprise jouissait d’un fort capital sympathie, elle n’en restait pas moins attentive à tout ce qui pouvait entraver la bonne marche de ses affaires, et devint même active dans son soutien à la dictature.

Photo: Elói Corrêa/GOVBA

Ce que met en lumière le rapport de Christopher Kopper aujourd’hui est incontestable : les archives de Wolfsburg comme celles de Volkswagen do Brasil, ainsi que les témoignages recueillis au Brésil permettent d’assurer que VW a bel et bien collaboré avec le régime, mais aussi fiché et espionné ses salariés (comme Lula, futur président de la République), voire dénoncé certains d’entre eux censés être des opposants à la « Révolution de 1964 ». Si l’initiative semble être venue directement de la filiale brésilienne, il apparaît aujourd’hui que les membres du directoire de Volkswagen AG étaient bien au courant de l’attitude de ses cadres au Brésil.

Photo: ARQUIVO/ESTADÃO CONTEÚDO/AE/Codigo imagem:6025

Faut-il voir dans cette attitude durant la dictature une volonté politique masquée ? Certains ont voulu voir dans l’attitude de VW do Brasil une résurgence des idéaux allemands d’antan : le premier PDG de Volkswagen do Brasil, Friedrich Schultz-Wenk, n’avait-il pas été membre du parti nazi ? Pire son chef de la sécurité, Franz Paul Strangl, n’avait-il pas été arrêté en 1967 pour avoir commandé deux camps d’extermination pendant la guerre et être responsable de la mort de 900 000 personnes ? C’est d’ailleurs ce dernier qui, semble-t-il, mettra en place le système d’espionnage des salariés au début de la dictature militaire, entre 1964 et 1967. Volkswagen jurera toujours ignorer le passé nazi du chef de la sécurité, tandis que Schultz-Wenk ne fut jamais accusé d’autre chose que d’être membre du parti à une époque où la majorité des allemands l’étaient aussi. Volkswagen à cette époque n’était plus nazie, Hirst (un anglais) puis Nordhoff en furent les garants (lire aussi : l’histoire de Wolfsburg), mais elle était fondamentalement capitaliste, et ceci explique sûrement cela.

Goulart, avant d’être destitué, avait tenté de rééquilibrer les richesses du Brésil, et la bourgeoisie comme les entreprises ne le voyaient pas d’un très bon œil, d’autant que la révolution castriste faisait peur et risquait d’embraser toute l’Amérique Latine. C’est dans ce contexte et sous ce prétexte que les militaires prirent le pouvoir officiellement le 1er avril 1964, avec le soutien, rappelons-le, des Etats-Unis. Le monde se divisait alors en deux catégories, le monde « libre » (capitaliste) et le monde communiste, un monde sans nuance dans lequel les progressistes étaient vite accusés de vouloir imposer le communisme. Les entreprises brésiliennes dans leur majorité, mais aussi, évidemment, les sociétés étrangères installées au Brésil, furent des soutiens plus ou moins forts du nouveau régime : pour faire du business, il fallait la stabilité. Volkswagen ne fut donc pas la seule entreprise automobile étrangère à soutenir le régime : Ford, Chrysler ou General Motors furent elles aussi de la partie.

Les militaires vont en outre bénéficier d’une embellie économique sans précédent, avec une croissance annuelle à deux chiffres, leur permettant de se rallier la classe moyenne ainsi qu’une partie de la classe populaire bénéficiant de cette croissance, et bien entendu, de satisfaire les entreprises engrangeant de juteux bénéfices grâce à ce boom économique. Cette croissance explique les images d’un Brésil insouciant, goûtant au bonheur, qui illustrent cet article, mais elle cachait aussi l’implacable répression vis à vis de toute opposition (d’abord la plus radicale, avant 1968, puis l’opposition plus modérée à partir de 1969), et la censure de la presse et des médias en général. En ce sens, nombre de brésiliens acceptèrent, voire collaborèrent, sans états d’âme : le Brésil passait du statut de pays pauvre à celui de pays riche, malgré des inégalités flagrantes.

De son côté, Volkswagen organisa donc la traque des opposants au sein de sa propre entreprise, livrant en tout 12 salariés de son usine de Sao Bernardo do Campo au SNI (service de renseignement), réputé pour sa pratique de la torture – souvent fatale. Les objectifs de VW do Brasil étaient simples, et finalement plus cyniques que politiques : soutenir un régime favorable aux entreprises, garant de la croissance, tout en muselant toute volonté de rébellion face aux bas salaires qu’elle proposait. Cette politique n’était pas décidée en Allemagne, mais là-bas, on fermait les yeux, tout en sachant ce qu’il se passait : la correspondance retrouvée par Kopper ne fait aucun doute là dessus. Les juteux bénéfices de la filiale brésilienne justifiait qu’on se taise et qu’on laisse faire. L’actionnaire principal de VW, la région de Basse Saxe, en profitait lui-aussi.

« Volkswagen reconnaît sa responsabilité morale pour actes d’injustice commis sous la dictature militaire et veut indemniser les victimes » a déclaré Dieter Landenberger.

En plus de la déclaration de Landenberger, le président de Volkswagen do Brasil, David Powels a lui aussi présenté ses excuses, tandis qu’une plaque commémorative a été dévoilée la semaine dernière : une inauguration boudée par les victimes de la dictature. Le déplacement d’un haut dirigeant du groupe a été annulé, et la filiale brésilienne a mis en garde sa maison mère sur les risques financiers d’une volonté d’indemnisation.

Malgré cela, il faut noter un certain courage de la part de Volkswagen pour avoir commander une étude et accepté sa diffusion alors même qu’elle était accablante ! Dans la même logique que dans les années 90 vis à vis de son passé nazi, Volkswagen assume aujourd’hui les responsabilités d’hier alors même que les hommes de l’époque ne sont plus là pour en parler et/ou prendre leur part, et si certains estiment que l’entreprise tente de se refaire une virginité, il faut reconnaître la capacité de VW à affronter les démons du passé. D’autant que le groupe est une cible facile depuis le « Diesel Gate » alors que, dans cette affaire brésilienne, d’autres sociétés pourraient bien avoir eu les mêmes agissements ou comportements. Avec la commission de la vérité, lancée par Dilma Rousseff (elle-même victime de la torture), d’autres entreprises pourraient (qui sait?) connaître le même sort que Volkswagen do Brasil.

NDLR: une dépêche AFP du 19/12/2017 annonce la mise en examen d’anciens dirigeants de Ford en Argentine pour avoir permis la séquestration et la torture d’opposant au sein l’usine du constructeur à Buenos Aires.

Paul Clément-Collin

Paul Clément-Collin

Paul Clément-Collin est une figure reconnue du journalisme automobile français. Fondateur du site culte Boîtier Rouge, sacré meilleur blog auto aux Golden Blog Awards 2014 et cité parmi les médias auto les plus influents par Teads/eBuzzing et l’étude Scanblog Advent, il a ensuite été rédacteur en chef de CarJager et collaborateur de Top Gear Magazine France. Journaliste indépendant, spécialiste des voitures oubliées, rares, iconiques ou mal-aimées, il cultive une écriture passionnée et documentée, mêlant culture auto, design, histoire et anecdotes authentiques, et intervient également sur des événements majeurs comme le Mondial de l’Auto.

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