Rolls-Royce, Bentley, BMW et Volkswagen : la bataille d'Angleterre
Classics
Anglaise

Rolls-Royce, Bentley, BMW et Volkswagen : la bataille d'Angleterre

Par Paul Clément-Collin - 13/09/2017

Les aventures industrielles et financières sont parfois aussi passionnantes qu’un soap opéra américain. Mais l’affaire dont je vais vous parler aujourd’hui ne se déroule pas en Californie ou au Texas, mais dans la paisible campagne anglaise. Amour, trahison, filouterie, réconciliation, tous les éléments furent là dans cette drôle de bataille d’Angleterre qui vit l’affrontement de deux constructeurs allemands, BMW et Volkswagen, pour la prise de contrôle de Rolls-Royce Motors, propriétaire des marques Rolls-Royce et Bentley, et de la fameuse usine de Crewe.

Malgré ses difficultés à redresser la marque Rover, BMW n’avait pas renoncer à faire ses emplettes en Grande Bretagne. S’il semblait acté que la marque à l’hélice se désengagerait d’une marque généraliste impossible à relever, elle comptait bien se relancer dans le haut de gamme en rachetant le duo Rolls-Royce/Bentley, parfait complément luxe à sa gamme premium, lorsqu’en octobre 1997 le propriétaire, Vickers plc, annonçait la mise en vente des deux marques.

Tout semblait couler de source : Vickers avait choisi BMW comme nouveau motoriste pour ses deux nouveautés, la Rolls Silver Seraph et la Bentley Arnage, prévues pour février 98. Conscient que l’antédiluvien V8 6 ¾ avait atteint ses limites, Rolls-Royce s’était donc tourné vers l’allemand pour lui fournir un V12 pour la Rolls et un V8 pour la Bentley. En outre, si le V12 5.4 litres provenait directement de chez BMW, le V8 4.4 litres lui, s’offrait un cure de vitamine chez Cosworth, filiale elle aussi de Vickers : un accord industriel satisfaisant, qui permettait d’envisager une vente tranquille de Rolls-Royce Motors à BMW.

Mais surprise, lorsqu’en novembre 1997 les candidats furent annoncés, BMW s’apercevait qu’un autre constructeur allemand se positionnait pour le rachat des deux marques : Volkswagen. Le boulimique groupe allemand s’avérait bien décidé à faire tomber deux nouvelles marques dans son escarcelle. Mais BMW, confiant, n’imaginait pas une seule seconde dans quel traquenard il allait tomber, d’autant que le 31 mars, Vickers recommandait à ses actionnaires la proposition de BMW, chiffrée à 340 millions de livres. Tout se passait donc comme sur des roulettes.

La Silver Seraph, prévue pour février 98, est équipée d’un V12 BMW

Mais Volkswagen, sous la houlette de Ferdinand Piech, ne l’entendait pas de cette oreille. Mettant la main au portefeuille, le bouillant patron sortait 430 millions de £ pour l’ensemble. Pire, pour s’assurer de la bienveillance de Vickers alors en train de se débarrasser de ses bijoux de familles, Volkswagen annonçait le rachat, en sus et pour 49 millions de £, de Cosworth, via sa filiale Audi. Une manière aussi de se protéger contre la menace brandie par BMW de stopper toute fourniture moteurs d’ici un an ! Volkswagen l’emportait grâce à son portefeuille, et l’opération était finalisée le 4 juillet 1998.

Dans la bataille, l’usine historique de Crewe reviendra finalement à Volkswagen

Ferdinand Piech se croyait alors le vainqueur absolue de cette bataille d’Angleterre. D’autant qu’en juin, Audi s’était aussi offert une pépite italienne, Lamborghini, pour 800 millions de francs, et qu’en coulisse, Volkswagen s’activait pour boucler le rachat de la marque Bugatti. Ferdinand Piech, maître du monde après la conquête de l’Angleterre ?

C’était mal connaître le PDG de l’apparent vaincu, Bernd Pischetsrieder. Car voyant l’affaire mal tourner, l’homme avait protégé ses arrières d’une manière habile, il faut bien le reconnaître. Car si Volkswagen rachetait bel et bien l’usine de Crewe, et la marque Bentley, l’affaire était plus compliquée en ce qui concernait Rolls-Royce, dont Rolls-Royce Motors, paradoxalement, ne possédait pas la propriété de la marque, mais seulement les droits sur la Flying Lady et la calandre typique en forme de temple grec. Sachant cela, Pischetsrieder s’était empressé de racheter en loucedé la marque, pour 40 millions de livres, auprès de son véritable propriétaire, Rolls-Royce Holding Plc, le fabricant bien connu de moteurs d’avions.

L’Arnage utilise le V8 4.4 BMW passé par Cosworth (turbos), sauf dans sa version Red Label qui revient au V8 6 3/4 fin 1999

Comment une telle manœuvre avait-elle été possible ? Grâce aux liens existant entre BMW et le constructeur aéronautique. En effet, les deux entreprises possédait depuis 1990 une filiales commune (à 50/50), BMW Rolls-Royce (BRR) fabricant les moteurs BR700 équipant notamment les célèbres jets Gulfstream. Alors que Volkswagen se croyait vainqueur, on négociait en sous-main l’achat de la marque, et la réorganisation capitalistique : en 1999, la filiale commune deviendrait filiale à 100 % de Rolls-Royce. En contrepartie, BMW deviendrait actionnaire du groupe anglais à hauteur de 9 %.

Bernd et Ferdinand, enfin réconciliés (image: Capital.de)

Tel était pris qui croyait prendre. Allait-on assister à une bataille homérique ? De mat, on était passé à pat, et cela n’annonçait rien de bon… A moins que chacun, devenu raisonnable, décide de négocier. Les grands patrons sont des prédateurs, mais pas des idiots, à ce petit jeu là, on peut tout perdre. Fin juillet 98, les deux adversaires annonçaient avoir trouvé un accord.

Dans un premier temps, BMW s’engageait à fournir en moteur Rolls-Royce et Bentley jusqu’en décembre 2002. Durant cette période, Volkswagen exploiterait sous licence BMW (mais à titre gratuit) la marque Rolls-Royce, avant de la céder définitivement à BMW le 1er janvier 2003. Volkswagen ne conserverait plus alors que la marque Bentley, et l’usine historique de Crewe dans une nouvelle filiale Bentley Cars. En récompense de l’aide apportée par Rolls-Royce Holdings, BMW lui accorderait au sein de sa future filiale Rolls-Royce Cars un siège au conseil d’administration. De son côté, Piech annonçait que de toute façon, seule Bentley l’intéressait vraiment : une belle pirouette. Pour alléger la facture, Audi revendait tout de même fin 98 la partie compétition de Cosworth à Ford, ne gardant que l’ingénierie automobile.

Pischetsrieder et Piech, côte à côte en 2001: le premier est devenu CEO de Seat, le second est encore CEO DE Volkswagen AG

Voici comment, après plus de 6 mois de bataille, les deux marques de luxe anglaises furent séparées après 67 ans de vie commune. Ironie de l’histoire : malgré cette lutte acharnée, on reste pragmatique quand on fait du business. En 1999, Bernd Pischetsrieder dut quitter BMW, après l’échec de l’aventure Rover. Et où croyez-vous qu’il trouva refuge : chez Vokswagen, en tant que CEO de Seat, de 2000 à 2002, puis, CEO de Volkswagen AG de 2002 à 2007. C’est dans l’adversité qu’on connaît le mieux un homme, et Piech ne l’a pas oublié !

Paul Clément-Collin

Paul Clément-Collin

Paul Clément-Collin est une figure reconnue du journalisme automobile français. Fondateur du site culte Boîtier Rouge, sacré meilleur blog auto aux Golden Blog Awards 2014 et cité parmi les médias auto les plus influents par Teads/eBuzzing et l’étude Scanblog Advent, il a ensuite été rédacteur en chef de CarJager et collaborateur de Top Gear Magazine France. Journaliste indépendant, spécialiste des voitures oubliées, rares, iconiques ou mal-aimées, il cultive une écriture passionnée et documentée, mêlant culture auto, design, histoire et anecdotes authentiques, et intervient également sur des événements majeurs comme le Mondial de l’Auto.

Autos similaires en vente

ROLLS ROYCE Silver Cloud I 1959 occasion
ROLLS ROYCE Silver Cloud I 1959 occasion
ROLLS ROYCE Silver Cloud I 1959 occasion
ROLLS ROYCE Silver Cloud I 1959 occasion
ROLLS ROYCE Silver Cloud I 1959 occasion
ROLLS ROYCE Silver Shadow 1969 occasion
ROLLS ROYCE Silver Shadow 1969 occasion
ROLLS ROYCE Silver Shadow 1969 occasion
ROLLS ROYCE Silver Shadow 1969 occasion
ROLLS ROYCE Silver Shadow 1969 occasion
ROLLS ROYCE Silver Spur Lwb 1983 occasion
ROLLS ROYCE Silver Spur Lwb 1983 occasion
ROLLS ROYCE Silver Spur Lwb 1983 occasion
ROLLS ROYCE Silver Spur Lwb 1983 occasion
ROLLS ROYCE Silver Spur Lwb 1983 occasion
ROLLS ROYCE Silver Cloud I By H.j. Mulliner 1957 occasion
ROLLS ROYCE Silver Cloud I By H.j. Mulliner 1957 occasion
ROLLS ROYCE Silver Cloud I By H.j. Mulliner 1957 occasion
ROLLS ROYCE Silver Cloud I By H.j. Mulliner 1957 occasion
ROLLS ROYCE Silver Cloud I By H.j. Mulliner 1957 occasion

Carjager vous recommande

rolls-royce_phantom_vi_1.jpg
Nicolas Fourny / 12 nov. 2025

Rolls-Royce Phantom VI : noblesse oblige !

« La Phantom se vit de préférence depuis le somptueux petit salon que constituent les places arrière, c’est-à-dire là où l’on peut réellement profiter de l’empattement extra-long de l’engin »
Anglaise
Classic
Rolls Royce
671f924b382ac-2.jpg
Nicolas Fourny / 12 nov. 2025

Rolls-Royce Phantom "Goldfinger" : soixante ans de légende

« Construite sur la base de la Phantom Extended, l’auto recèle de nombreux clins d’œil et références au film, à commencer par son bicolorisme noir/jaune »
Phantom
Rolls Royce
V12
rolls-royce-cullinan-2019-cars-2k-suv-wallpaper-b733936eff98f30f4a2cd2cf2326764d.jpg
Nicolas Fourny / 12 nov. 2025

Le Rolls-Royce Cullinan est-il cool ?

« Par sa capacité à vous isoler du monde extérieur, par le luxe capiteux de ses aménagements, le Cullinan est indéniablement une vraie Rolls, que l’on apprécie sa physionomie ou non »
Anglaise
Rolls Royce
V12
Capture1-1.jpg
Nicolas Fourny / 12 nov. 2025

Rolls-Royce ou Bentley, le long dilemme de l'aristocratie

« Les Bentley étaient nées pour la course, contrairement aux Rolls-Royce, qui exaltaient surtout les vertus du silence, du raffinement et du confort »
Anglaise
Bentley
Classic
Rolls-Royce-Silver-Shadow-Coupe-1967-169Gallery-56549c69-1669966.jpg
Nicolas Fourny / 12 nov. 2025

La Rolls-Royce de Steve McQueen : mieux qu'une Corniche !

Si l’on s’en tient à la traduction du vocabulaire officiel du constructeur, cette 2-door Saloon ne serait donc qu’une banale berline deux portes mais il suffit de contempler l’objet pour comprendre que la voiture a, bien au contraire, fait l’objet d’une étude spécifique ; ce n’est certainement pas l’une de ces Rolls dont on délègue la conduite à un chauffeur.
Anglaise
Classic
Corniche
Rolls-Royce-Camargue-09.jpeg
Nicolas Fourny / 12 nov. 2025

Rolls-Royce Camargue : elle est belle (et vous ne le saviez pas)

Cinq cent trente et un exemplaires en onze ans : à côté de la Camargue, la Renault Avantime ou la Cadillac XLR font figure de best-sellers. À notre connaissance, aucune étude sociologique n’a été menée sur le profil des amateurs du modèle ; qui étaient ces gens ? Des frimeurs ? Des parvenus ? Des masochistes ? Des provocateurs ? Des aveugles ? Des snobs ? Des émirs ? Ou, plus simplement, des hurluberlus qui ont sincèrement adoré ce profil de Fiat 130 superlative, l’extrême rareté de l’objet, voire même l’idée simple et magistrale que le modèle sommital de la firme la plus réputée au monde ne pouvait qu’être un chef-d’œuvre. Nous ne tenterons pas d’apporter une réponse définitive à cette question mais, trente-cinq ans après sa disparition officielle du catalogue R-R, le moment semble venu de dépecer l’animal, d’explorer ses viscères, de lui ôter tous ses masques pour en révéler la splendeur. Vous en doutez ? Lisez donc ce qui suit…
Anglaise
Camargue
Classic
Rolls-Royce-Silver-Dawn-03.jpeg
Carjager / 12 nov. 2025

Rolls-Royce Silver Dawn : de la haute couture au prêt-à-porter

Aujourd’hui, les Rolls ne sont plus du tout Silver — au charme aristocratique de ce préfixe officiellement utilisé pour la première fois en 1925, elles préfèrent dorénavant la vulgarité du bling bling. La filiale de BMW s’est spécialisée dans les paquebots lourdingues pour nouveaux riches tout en exhumant d’anciennes appellations du glorieux catalogue sur lequel les Bavarois ont mis la main en 1998, à l’issue d’une bataille homérique contre le groupe Volkswagen. De la sorte, le beau nom de Dawn (l’aube en français) désigne actuellement un cabriolet dont l’encombrement et le design rappellent fâcheusement ceux d’un Saviem VAB mais, il y a sept décennies de cela, les choses étaient bien différentes ; la berline Silver Dawn dissimulait son luxe derrière une physionomie qu’un esprit superficiel pourrait facilement trouver austère et guindée. Ce qui n’empêcha pas les carrossiers ayant survécu à la guerre d’exercer leur art sur ce châssis que la flamboyante épopée des Silver Cloud a injustement expulsé de la mémoire collective. Puissent ces quelques lignes contribuer à le ramener dans la lumière…
Anglaise
Classic
Rolls Royce
Rolls-Royce-Silver-Cloud-Serie-3-03.jpeg
Paul Clément-Collin / 12 nov. 2025

Rolls-Royce Silver Cloud : entre tradition et rock’n roll

Nuage d’argent : voilà le nom de la nouvelle Rolls-Royce présentée en 1955, la même année que la Citroën DS. Mais si cette dernière défriche des horizons technologiques et stylistiques nouveaux, la Silver Cloud, elle, reste sur son nuage, prônant l’immuabilité et la tradition. Châssis séparé, moteur antédiluvien (enfin, d’avant-guerre surtout), mais une carrosserie (d’usine) statutaire plutôt moderne qui ferait passer la Silver Dawn qu’elle remplace pour une antiquité. C’est là toute la force de la Silver Cloud : paraître moderne sans l’être. Retour sur cette luxueuse berline à la mode de Crewe !
Rolls Royce
Silver
V8

Vendre avec CarJager ?

Voir toutes nos offres de vente