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PGO Hemera : l’étrange petit shooting brake français
PAUL CLÉMENT-COLLIN - 30 juin 2021Voilà quelques années que la vie n’est pas un long fleuve tranquille pour le petit constructeur automobile PGO, installé à Alès dans les Cévennes. Ventes en berne, actionnaires difficiles à comprendre et à suivre, valse des dirigeants : autant de petits et grands problèmes qui ont mis en sommeil l’activité pendant de longs mois. Pourtant, les produits proposés étaient intéressants. Si, à ses débuts, l’entreprise proposait des répliques de Porsche 356, elle s’était par la suite développée avec un petit roadster néo-rétro appelé Speedster II (éternel clin d’œil à Porsche), décliné par la suite en version Cévennes et Hemera. C’est ce dernier modèle qui nous intéresse aujourd’hui, avec son look original et sa proposition étonnante.
De la réplique au néo-rétro
C’est dans les années 80 que deux frères, Gilles et Olivier Prévôt, créent PGO — acronyme reprenant simplement leurs initiales — pour produire des répliques d’AC Cobra et de Porsche 356. L’entreprise vivote sur ce créneau jusqu’en 1998, jusqu’à ce qu’elle soit rachetée par Laurent Skrzypczak et Olivier Baudoin. Les deux hommes décident de se concentrer sur la 356, mais surtout de développer leur propre automobile, inspiration moderne de la petite Porsche. La construction d’un prototype est engagée, avec une carrosserie en fibre composite posée sur un châssis tubulaire conçu en interne. Le proto est présenté au Salon de Paris de 2000 sous le nom de Speedster II et s’offre à l’époque un moteur de 306 S16 (2 litres, 16 soupapes et 167 chevaux). La ligne générale de la voiture évoque bel et bien celle de la 356, mais s’en éloigne assez pour offrir une personnalité propre : le Speedster II séduit le public et la décision de le produire en petite série est prise. Pour financer cette nouvelle activité d’une toute autre dimension et le déménagement à Alès dans des ateliers dignes de ce nom, PGO fait son entrée en bourse en 2002.
Alors que le Speedster II est prêt en 2003 (mais avec le 2 litres de la 206 S16 de 140 chevaux), Porsche se réveille et décide d’attaquer la petite marque gardoise pour contrefaçon et parasitisme. Ce qui aurait pu tourner à la catastrophe pour PGO s’avère un excellent coup de publicité puisqu’en 2004, l’entreprise gagne en appel et peut ainsi continuer son activité : le Speedster II entre dans la lumière tandis qu’un embryon de réseau commercial se met en place (avec notamment un show room à Neuilly). En 2005, le groupe Koweitien Naser International prend 51 % du capital (les actions passeront ensuite à l’une de ses filiales, Symex). Le développement semble assuré et une nouvelle version plus sportive et dépourvue de pare-chocs, la Cévennes, vient compléter la gamme. La marque frôle le dépôt de bilan en 2007 mais est finalement recapitalisée.
Un étrange coupé shooting brake appelé Hemera
C’est dans cette nouvelle dynamique, et rassurée sur son avenir, que la petite marque cévenole décide d’agrandir encore plus la gamme avec un tout nouveau modèle. Si les Speedster II et Cévennes conservent cet indubitable air de famille avec la 356, malgré leur style modernisé, l’Hemera, présentée au Salon de Paris 2008, propose tout autre chose. Certes, elle reprend la face avant de sa sœur Cévennes dont elle dérive étroitement (même châssis, même moteur), mais sa poupe n’a plus rien à voir ou presque. Alors que les Speedster II et Cévennes sont des cabriolets, l’Hemera est un coupé. Plus qu’un coupé même, puisqu’il s’agit en réalité d’un shooting brake, à la manière d’une Reliant Scimitar GTE ou d’une Aston Martin Virage Shooting Brake. En France, on appelle cela, de façon impropre, “break de chasse”. L’idée est originale, bien réalisée, et l’ajout de ce coffre donne à l’Hemera une réelle personnalité.
Le nouveau coupé de la marque entre en production en 2009 dans l’usine d’Alès. Si PGO semble pleine de projets, les ventes globales peinent à décoller. Les chiffres sont difficiles à trouver mais la production semble tourner aux alentours de 20 exemplaires par an. En 2011, seules 7 unités de l’Hemera sortent des ateliers. Pour moderniser ses modèles utilisant toujours et encore le 2 litres PSA de 140 chevaux, la marque va alors se tourner vers un constructeur allemand, BMW, et ainsi récupérer le 4 cylindres 1.6 turbo “Prince”, utilisé notamment par Mini. Les négociations et le développement durent depuis 2010. Cette année-là, une Hemera photographiée sur le parking de BMW à Munich déclenchera de nombreuses spéculations de la part d’amateurs automobiles, imaginant qu’il s’agissait là d’un nouveau modèle de la marque à l’hélice, sans connaître la petite marque française et son étonnant shooting brake.
Du renouveau au doute
C’est au Mondial de Paris qu’est annoncé, en grande pompe, le nouveau partenariat (et la garantie BMW sur la partie moteur, permettant l’entretien dans ses propres concessions) : une manière d’offrir plus de puissance (184 chevaux) et une assurance d’entretien et de dépannage pour des clients toujours frileux de s’engager avec une si petite marque. En outre, PGO présente deux très petites séries, la Cévennes Coastline (3 exemplaires) et la Cévennes C (dotée d’un hard top et produite à 5 exemplaires). La marque semble avoir le vent en poupe tandis que l’Hemera, elle, subit un restylage. Pourtant, ce sera le début de la descente aux enfers. La production diminue drastiquement (environ 8 à 10 modèles par an, toutes versions confondues) tandis que les pertes se creusent (plus de 6 millions d’euros en 2014, 5 millions en 2015). La firme change son management et fait appel à Loïc Pérois fin 2017. L’homme tentera de révolutionner l’entreprise, de lui redonner une vision stratégique, mais il se heurte vite à des actionnaires réticents à le soutenir comme à investir. L’Hemera, comme ses sœurs, n’est plus produite qu’au compte-gouttes (une production totale de 4 à 5 exemplaires en 2018).
Le récent P-DG décide alors de placer l’entreprise en redressement judiciaire fin 2018, mais les actionnaires le désavouent et s’intéressent de nouveau à PGO. Loïc Pérois quitte l’entreprise, qui disparaît de la cote Euronext à la faveur d’un rachat total par l’actionnaire Symex (97,5 % du capital). La production est officiellement relancée en 2019 avec un nouveau management à la tête du constructeur, mais il faut bien l’avouer : la gamme commence à vieillir, tandis que la notoriété reste quasi nulle en France comme à l’étranger. En l’attente de nouveautés, l’Hemera, comme ses sœurs, continue son petit bonhomme de chemin et reste disponible sur commande.
Difficile de savoir combien d’exemplaires ont été produits depuis 2009. Sans doute entre 20 et 30, mais sans aucune certitude. Reste qu’il s’agit d’une auto attachante, avec un concept étonnant et une bouille craquante, pesant à peine 12 kilos de plus que la tonne, agile et puissante (184 chevaux sont largement suffisants). Si l’envie vous vient de rouler véritablement décalé, alors mettez-vous en chasse de cette Hemera qui, dès son lancement, était vouée à devenir collector.